Voilà cinq ans, presque jour pour jour, débutait l'aventure de ce site que vous lisez encore aujourd'hui. Cinq ans de cernes et de cigarettes abusives, et finalement plusieurs milliers de papiers tapés frénétiquement puis envoyés dans le cyber-espace. Mais comment tout cela a-t-il commencé ? Et d'ailleurs, qui s’en soucie ? À compter toutes les lettres de candidature que nous recevons, certainement plus de gens que nous aurions pu le penser au départ. L'histoire de Gonzaï, racontée par ceux qui l'ont fait mais aussi par quelques témoins de longue date, est après tout peu connue. « Comment ils vécurent ? Comment sont-ils nés ? » Voilà pour les livres d’histoire.

Gonzaï c’est qui ? N’importe qui ayant approché le vivier de prés vous le dira : Gonzaï c’est Bester. L’impulsion première, les bras ; les nuits blanches et les cernes, c’est lui qui les porte. Assez fièrement même (on verra ce qu’en dira son médecin dans six ans). Il est « l’homme de la situation », l’Hannibal de ce petit groupuscule de presse underground. Et il faut bien le dire : un patron de presse d’un nouveau genre. Celui de la génération Web.

Ce type autoproclamé Bester Langs, je l’ai rencontré à la fin de l’année 2005. À 25 ans, il portait déjà ces chemises à fleurs incompréhensibles et possédait ce sens de l’humour outrancier qui vous fera toujours penser, au premier contact, qu’il est un enculé. Lors de l’un de ces concerts qu’il organisait déjà dans  feu le Triptyque – devenu depuis l’immondice Social Club, la première phrase que j’ai entendue de sa bouche restera à tout jamais gravée dans ma mémoire : « Ce resto italien est pas mal, j’ai baisé la serveuse ». Quand on a 18 ans et que l’on découvre Paris, ce genre de personnage vous file légèrement la nausée. Pourtant, je sentais que nous étions frères de quelque chose. Déjà, nous portions le même prénom – qui signifie « les jumeaux » en grec. Puis il m’avait fait rencontrer mon idole de jeunesse : Patrick Eudeline. Alors… Une histoire d’amour pouvait pointer le bout de son nez.

Si notre amitié reste du domaine du droit privé, Gonzaï est un enfant bien exposé sur la place publique. La préhistoire de tout cela réside dans une publication disparue, dont Bester était le rédacteur en chef : le trop bien nommée One Shot. Distribué dans les « clubs branchés » de la capitale (la vieille rengaine), One Shot condensait déjà beaucoup de la ligne de conduite qui allait être la notre. Les couvertures en témoigneront à ma place : Frédéric Taddei, Patrick Eudeline, Jacno et Jad Wio, Albert Dupontel. Faute de publicité, les rotatives arrêtèrent de tourner et Bester décida de passer sur le Web. Il m’intègra à l’équipe pour une rubrique nommée le « Juke Box Gonzo ». Des réunions de conception sont prises avec tout le monde pendant l’été 2006… Problème : personne ne répondra jamais à l’appel. Gonzaï allait pouvoir naître.

Alors ce nom, GONZAÏ, contraction exacte entre « Gonzo » et « Banzaï », d’ou vient-il ?

La vérité est qu’il était le cri de guerre de l’un de mes amis de lycée, exotiquement appelé Pacos : un enfants mexicain brillant adopté par une famille des hauts de Rouen. Cet ami avait pour habitude de dire « on va se la faire Gonzo / Gonzaï ! » en parlant de nos beuveries adolescentes. Évidemment, en voyant ce que nous étions en train de créer, le nom est apparu comme plus que légitime. Bester pensait qu’il faisait trop « variété de makis ». L’histoire ne l’a pas vu de la même façon.
Car Gonzaï est né d’une grande envie de liberté. Nous venions tous deux du webzine Froggy Delight, dont le créateur (David Didier) nous avait montré que sur Internet, nous avions le droit d’écrire ce que nous voulions. Pas de limite de signes, pas de limite de ton, pas de limite tout court. Le gonzo journalisme avait donc pu renaître sur Internet et dans la pléthore de magazines gratuits qui étaient en train de se créer – jusqu’à ce que le Bonbon et autres saloperies clôturent la fête. En bons lecteurs compulsifs de Hunter S. Thompson et de Lester Bangs, notre ligne était toute tracée. Influence majeurs ? Rolling Stone, Cream et Rock & Folk. Évidement, ce que la presse « rock » avait fait de mieux dans l’histoire. Le carburant de tout cela : redistribuer les cartes, punir les menteurs et sauver les martyrs. En bref, Gonzaï devait être un magazine spécialisé en causes perdues. Sur le créneau romantique, on plaide coupable.

Beaucoup de personnes vous diront qu’elles ont fait partie de Gonzaï. Certains racontent même à leurs entretiens d’embauche qu’ils l’ont fondé. Pourtant, l’équipe originale était minime : une fois le site prêt à être lancé, le recrutement s’est fait naturellement autour d’une poignée de personnes. Résultat des courses : nous étions cinq pour réaliser le premier numéro. Adrien Duran (aka Dhüsse), désormais leader du groupe Bon Voyage, a posté 1000 JPEG sur Myspace et écrit quelques papiers le premier mois. Edouard Verdavaine (aka Doud) se contenta de boire de l’absinthe sur un toit en passant dans le champ de notre première interview vidéo : celle du groupe Sabotage 79. Puis notre webmaster, Julien, qui avait opté pour une home page bien orange. Autour de ce premier noyau volage vint se greffer l’équipe que nous appellerons « historique » : celle qui fit de ce magazine ce qu’il est, en tenant la barre bien plus d’un an. Elle comportait Juül, un graphiste de génie qui savait comment acheter du LSD a Jardiland, un garçon à qui nous devons le délire visuel de ce foutoir. Mais aussi Charles Von Strynine, accompagné par son obsession pour Alain Pacadis, qui avait crée une rubrique « Gonzo Sex » – la douche dorée ou le bondage y étaient expliqués aux plus jeunes. Sans oublier Virgile Biechy, notre premier photographe, vieil ami de Bester, suivi de près par Audrey, qui, comme beaucoup de filles dans ce magazine, ne fit qu’un temps. Quelques semaines plus tard et voyant que des jeunes se bougeaient par là, trois plumes géniales arriveront : Syd Charlus, que nous avions prié de nous rejoindre dès le début, et qui prit légèrement son temps. Puis deux pros, dragués malignement par le biais d’interviews : Pierre Mikailoff et Jean-Emmanuel Deluxe.

Le Gonzaï de cette époque se déplaçait en meute : nous squattions des fêtes, emportés dans une grande entreprise de destruction des lieux que nous visitions. Mon anecdote préférée en 5 ans dans ce magazine : le vernissage de l’expo Pierre et Gilles au Jeu de paume. Parrainé par l’incontrôlable attaché de presse de chez Scali, Jack Marshall, nous avions regardé les portraits acidulés du couple en retroussant le nez, les salles d’exposition expédiées en moins de 10 minutes. Les photomatons, eux, avaient retenu toute notre attention. Jack s’arrêtait devant, racontant des histoires sur Pacadis, les Gazolines et tous les anonymes qui avaient fait l’époque. Alors que l’ensemble des mondains était d’une politesse alarmante, nous avions attaqué l’open-bar d’Absolute vodka, le squattant des heures durant, jusqu’à atteindre une ivresse qui justifiait qu’on nous foute à la porte. Dehors, la magie totale : le jardin des Tuileries rien que pour nous. Vidant nos poches de tout ce que nous avions pu voler dans le musée (essentiellement des verres, et peut-être une bouteille) nous avons entrepris une partie de rugby dans l’ancien jardin du roi. Puis j’avais passé le balai sur toute la rue de Rivoli et nous avions fait des photos avec Christophe Willem, croisé devant la Comédie française. Une beuverie comme tant d’autres, qui ne signifiait qu’une chose, au fond : nous y étions arrivés. Bob Dylan, plein de sagesse, disait « ne rêvez pas d’être quelqu’un, devenez quelqu’un. » Avec cette bande, nous nous sommes réalisés. Aucun fantasme, aucune expectative : nous avions cette satanée destinée au creux de notre paume.

De l’autre côté, nous commencions à faire vivre le magazine en travaillant d’arrache-pied tous les dimanches. C’était notre rendez-vous hebdomadaire avec Bester. Nous y faisions des dossiers sur les groupes les plus laids du moment, des playlists, des feuilletons littéraires… Tout cela, et les papiers tels qu’ils existent encore sur le site. Très rapidement, l’équipe commença à s’étoffer, pour arriver à la quarantaine de personnes qui font Gonzaï aujourd’hui. Tellement de contributeurs que nous ne nous connaissons même pas tous. Cela, c’était moins de deux ans après la création du site. Pour la suite de l’histoire, laissons la parole a ceux qui ont approché la bête de près et qui continuent de lui donner à manger toutes les semaines.

SYD CHARLUS : JOURNALISTE CHEZ  GONZAÏ ET MAITRE À PENSER.

« J’ai choisi Bester Langs, comme pseudo. J’adore. Les types vont confondre : “Lester Bangs, le mec de Gonzaï’’… »
– Ouais, ca fait un peu Jack Lang, aussi. Moi, je signe Little Johnny Jet. Les Dogs. Je viens de Rouen.
– Voilà, on est deux. Avec toi, ça fera trois, si ça te dit… Ce ne sera pas un “city guide” à la con, pas un site culturel non plus. On ne va pas faire comme tous ces ringards qui recopient les Inrocks sur leurs blogs en se donnant des airs de journalistes. Journaliste, plutôt crever. »

J’avais 35 ans, soit dix et quinze ans de plus que ces deux types. Mon groupe de rock s’effilochait dans des bars de plus en plus vides, devant des publics de plus en plus chauves. Je redoutais l’ennui et, par-dessus tout, l’enclos que dessinent les horaires de bureau. Un hypocondriaque suractif, amateur de jeux de mots, et un gamin normand fantasmant sur le 19siècle et le Gun Club : tout à fait mon genre de gnôle. Le lendemain, je m’amusais à trouver à mon tour un pseudo. Quatre ans plus tard, je serrais la main de Mick Jones du Clash en souriant niaisement. La pilule de la quarantaine fut moins amère que prévu.

SAM RAMON : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ, PRODUCTEUR DE LA RADIO GONZAÏ ET DJ DE GÉNIE

Plein été 2007, Strasbourg – 21h.

Dans un local de répétition du côté de Neudorf, je suis en train de mixer laborieusement le deuxième album de Toxic Kiss en vue d’une édition sur le label Növalis Impulse ; label qui, un mois auparavant, venait dignement de fêter la sortie de  « The Moon Sessions », sa seconde compilation. Un truc rapidement enregistré et donné sous le manteau dont aucun journal ne semblait faire écho. Jusqu’à ce coup de fil :

« Bonsoir, Jean-Pierre (Syd Charlus) du magazine Gonzaï, vous connaissez ?
– Vaguement.
–  J’ai écouté votre compilation, m’accorderiez-vous quelques instants afin de m’en dire un peu plus ? »

Ces quelques instants ont duré plus d’une heure, intrigué qu’il était par ce morceau-là, Strax Burg Town, et tout y est passé : Lou Reed (évidemment), Bowie, Yves Adrien (qu’il a immédiatement reconnu dans cette allégeance au tréma), la piscine vidée du Gold Star Studio, Beach Boys, Tricatel, Xavier de Maistre, Philippe Garnier, Pavement, les Dogs, Paris et toutes ces sortes de choses que les journalistes semblaient ne pas pouvoir aborder plus d’une minute sans bégayer. Mince ! Plus qu’honorable, c’était inespéré.

S’en est suivi un beau papier, puis des bavassages par Myspace interposé, la lecture journalière de Gonzaï (interview phénoménale de Nicolas Ungemuth, vidéos sur Dantec, Burgalat, monomanies cinématographiques de Syd Charlus, Alf, certaines mésaventures de Bester flanqué à la porte d’un rockritick petit mais connu, etc.). C’était grand, foutraque, juteux, polémique et frais ! Et ça l’est toujours ! Sans Gonzaï, on pourrait faire autrement, mais ce serait largement moins amusant.

MATT OÏ : COMMENTATEUR HISTORIQUE ET GONZAÏ PASSÉ À L’OUEST DEPUIS PEU.

Je me rappelle une anecdote plutôt sympa, en tant que jeune lecteur, sur un pamphlet à la Bester concernant l’avenir de la musique et tous les tocards que Myspace mettait en avant au détriment d’un « circuit productif » de qualité, il y a donc bien longtemps, quand Ruppert Murdoch n’était qu’à son premier pontage coronarien. Un grand classique. Comme d’habitude, l’article avait généré environ deux-cent-cinquante-douze commentaires, pas moins, à base de « Myspace est un ramassis de merdes prêtes à vendre leur mère pour sonner comme les Stokes », ou encore « rien de bon n’émergera de cette partouze de demeurés tout juste bons à prendre en photo leur imitation Stratocaster achetée 2 balles 50 chez Toys’R’Us ». Des trucs de ce genre. Et je me rappelle avoir indiqué y découvrir régulièrement de très bons groupes, citations à l’appui : MGMT, Lightspeed Champion ou encore Cercueil dont personne, même pas Bitchphoques, n’osait encore prononcer le nom, si tant est qu’il fût connu de leurs services secrets où les geeks étaient encore à parité avec les marketteux. La belle époque je vous dis. Et bien six mois après, ces trois groupes faisaient la une de tous les magazines en France ou à l’étranger, et moi je me suis dit qu’un jour je ne me contenterai plus de les citer. C’était le jour de trop.

SYLVAIN FESSON : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET FAN DE RADIOHEAD

Pffff c’est con à dire mais wouah 5 ans, déjà ! Un souvenir ? Une anecdote ? Celle qui me vient d’emblée c’est celle de mon arrivée là-dedans, bien sûr. C’était à l’été 2007, donc. J’avais appris l’existence de ce site de rock critic gonzo littéraire par le truchement d’un article de Technikart, qui opposait/rassemblait Gonzaï et Fluokids, si je dis pas de bêtises. Les tenants d’une approche écrite, cultivée et rock de la chose, aux autres neuneus electro-cheesy American Apparel style. J’avais été sur le site, j’avais aimé les groupes mis en avant et l’écriture des gars. Bon, c’était plein de fautes d’orthographes aussi, c’est comme ça que j’avais tiré mon épingle du jeu, en saoulant les gars sur l’air de « cool ton papier, et si je peux me permettre, tel paragraphe telle ligne y a telle faute, etc. » Mais c’était bien envoyé. Clairement. Cet été-là j’avais donc rencontré Bester pour la première fois. RDV dans un bar à Bastille. En vélo qu’il était venu. Décontracte. C’était l’été quoi. Dolce Vita. Toute de suite on a vu qu’on n’avait pas les mêmes goûts. On s’était pas entendu sur Interpol, que j’aimais, lui pas. Mais voilà, il avait vu, comme moi de mon côté, que y avait quelqu’un en face. Un passionné. On s’est revus ensuite. Et j’ai fait connaissance avec tous les autres Gonzaïeux (ou Gonzayboys ?) petit à petit. Et avec eux aussi j’ai vite vu qu’on n’avait souvent pas les même goûts, ni la même écriture. Mais ce qu’est bien c’est que 1) à leur « contact », en comparaison ça m’a aidé à peaufiner mon style, ma « valeur ajoutée » en tant qu’écrivant-journaliste, et 2) comme c’est des passionnés et des mecs globalement talentueux, y a une émulation, ça te tire vers le haut tout ça. Pfff c’est con à dire mais franchement, participer à Gonzaï ça reste une petite aventure personnelle et collective qui a changé et continue de changer ma vie.

STÉPHANE GUINET : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET PRO DE L’UNDERGROUND DIGITAL VENDU À 55 COPIES SUR ITUNES.

Souvent à la fin des entrevues que j’ai pu faire pour ce site, on me demande comment fonctionne Gonzaï. Je ne sais jamais vraiment quoi répondre, parce qu’au fond je n’en sais trop rien. J’imagine encore Bester à 23h le dimanche soir, occupé à caresser son chat pendant qu’il met en ligne les papiers de la semaine, et je me demande toujours s’il le fait en pantoufles. Avant d’être ce site coquin et coquet, je me souviens du blog orange, remplis de papiers écrits par des mecs « la main sur le colt, le coeur sur la main », pour citer Dick Rivers. J’ai dû commencer à écrire pour le site dans sa version 2, avec du violet dessus. Depuis, et ça fait presque 4 ans, je pense qu’il ne s’est pas passé trois mois sans que j’entende parler d’une nouvelle nouvelle version. S’il fallait évoquer une seule anecdote, ce serait ma rencontre avec Bester. C’était à Bruxelles, on fumait les même cigarettes et ça s’est terminé dans un bar à hôtesse qu’apparemment Jean-Claude Van Damme a pour habitude de fréquenter quand il revient en ville. Je n’y suis jamais retourné mais les filles étaient sympas, ça reste un bon souvenir. Comme Koudlam à l’International, le concert de The Oscillation à la Java ou avoir pu rencontrer Peter Kember.

ROSARIO LIGAMMARI : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET ABATTEUR DE SIGNES

Et merde, UNE anecdote, impossible ; des rencontres ? — non, on a dit UNE, okay okay, alors… UNE… Première fois, par exemple, le déclencheur, une initiation. Reprenons : une rencontre, une première fois. On y est, allez hop, une interview, la première ; nickel chrome, l’interview, c’est une rencontre sauvegardée, par extension inoubliable, et authentique — la bande sonore témoin ne vient pas idéaliser l’affaire. Premier rendez-vous à trinquer, avec un Arthur Peschaud — patron de label, stress, groupie machin — et qui, d’entrée de jeu, m’affirme au degré premier : « S’il y a bien un truc que je trouve inintéressant, c’est de lire une interview ! » Aheemm. Pendant environ 3 heures, sera exprimée une vision de la musique à laquelle on peut apposer, sans tortiller, des termes tels que : sincérité, passion, érudition, radicalisme, modernisme, fantasme et fanatisme. Un baptême arrosé au vin et à la bière qui donne la Foi : il faudra alors, pour la suite des entretiens, répéter les mêmes rituels, « pour que ça soit aussi bien que la première fois ». À partir de ce point Génial, tout se recoupera — même l’interview d’Esben & The Witch, avec la même question à répétition (jamais retranscrite), même la rencontre avec l’éditeur Carlotta qui ressemblait à une auto-interview, un monologue pour expliquer ce qu’est Gonzaï. A propos de Gonzaï, une fois j’avais dit à Bester, des trucs comme « large éventail de possibilités », « liberté introuvable ailleurs », « il y a dans ce site énormément de textes incroyables que j’aimerais bien pouvoir lire sur papier,  conserver dans ma bibliothèque…» Et merde, on avait dit UNE anecdote…

ISMÈNE DE BEAUVOIR : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ  ET CHERCHEUSE EN NOUVELLE GÉNÉRATION

Un souvenir Gonzaï par excellence, pour moi ce serait le concert de Mustang dans le squat de la Gare aux Gorilles en janvier 2010. C’était à la fois festif, improbable et parfait. La salle — à manger — était pleine à craquer, le public, comme le groupe, sagement déchaîné. Et pour rendre le moment encore un peu plus mémorable, et parce qu’une soirée n’est vraiment parfaite qu’avec sa parenthèse de honte suprême, je confesserai que c’est à cette occasion que j’ai découvert en le présentant à une amie — et après une année de conférences de rédaction, de soirées diverses et de conversations animées — que Serlach ne s’appelle PAS Christophe (Deodato). Depuis, il m’appelle Aline… pour que je revienne…

LE POULPE : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET MOLUSQUE

Ça faisait dix ans déjà que j’avais créé un site sur la musique classique avec la passion qui te fait bosser 16 heures par jour. ResMusica m’a donné des tonnes de bons et mauvais souvenirs, d’immense bonheur et d’intense fatigue pour un site maintenant devenu une référence internationale.  II n’en aurait pas fallu plus à beaucoup de monde pour s’en contenter et se regarder le nombril. Mais j’avais un manque, le besoin de retrouver la passion des débuts, revenir à mes premières amours musicales. La mise en place d’une grande rubrique pop rock sur mon site se heurtait à la désapprobation du staff et je n’avais pas envie d’écrire pour des webzines creux et sans âme comme il y en a des tonnes. J’ai reçu les premières lettres d’info Gonzaï en 1998 (NDLR : Cela devait être 2008, mais bon) et là, entre deux fous rires et quelques ecchymoses laissées par les claques que je prenais en lisant la qualité et la diversité des articles, j’ai contacté le chien Bester, que je connaissais déjà sans le savoir. Une lippe sur le bulbe et je pénétrais le Temple. Je ne le regrette pas, car appartenir à une équipe aussi talentueuse est une consécration absolue. Depuis je suis Gonzaï et resterai Gonzaï.. until death.

CHARLINE : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ AYANT GAGNÉ LE CONCOURS DE LONGÉVITÉ FÉMININE

Puisque chaque détail compte pour Gonzaï et que l’obéissance n’a jamais fait partie du contrat, faire le choix d’une seule anecdote est hors de question. Il y a cinq ans, j’avais rédigé un télex pour annoncer la naissance de Gonzaï sur le site d’un magazine de pop moderne, où j’étais une stagiaire disciplinée. J’ai proposé mes premières contributions quelques mois plus tard : « Avec un prénom comme Charline, tu n’as même pas besoin de te choisir un pseudo », m’avait dit le chien savant Bester, que j’ai rencontré devant le Palais De Tokyo quelques mois plus tard.
Car mes premiers articles, je les ai écrits alors que j’étais expatriée à Dublin, ravie d’avoir trouvé le plus cool des médias, qui acceptait en plus de publier mes souvenirs vaporeux de clubbing à l’irlandaise. Depuis mon retour en France, avec la team Gonzaï, à qui j’ai livré des papiers avec une irrégularité punissable, je ne choisirai que deux micro anecdotes : finir un passionnant entretien avec Burgalat dans le RER après son concert à Chelles et faire l’une des premières interviews françaises des XX avec notre photographe Cyprien les faisant poser dans le local à poubelles.
Gonzaï a surtout déclenché assez de rencontres indirectes pour qu’on ne sache plus trop s’il était bon ou non qu’elles arrivent, tant leur impact ne devrait jamais s’expliquer en quelques lignes.

MR IG : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET MOBILISATEUR NÉGATIF

Des souvenirs? Un dur week-end bourguignon, l’air maussade d’un fake-festival où tout sent le plastique chinois d’Ikea, l’odeur nauséabonde d’un folk en appartement, d’une salle vide devant Nicolas Ker et d’une péniche grisonnante sous l’air d’ignares fins de races. Comme une adolescence fraîche et sans acné, je me souviens avec délectation du Kill your pop festival à Dijon, sa déferlante haineuse, son record de commentaires, des groupes Facebook anti-moi et le blacklistage d’une ville entière. Oh mon Gonzaï, vecteur de haine conflictuelle, sans toi j’aurai déjà signé chez Magic. Je ne te remercierai jamais assez de me l’avoir évité. (NDLR : Moment de vie typique du Gonzaïeux moyen : « Tu fais quoi dans la vie ? » « J’écris chez Gonzaï » « Putain, je connais un mec de chez vous, insupportable… Mr Ig ». Pour cela, nous ne le remercierons jamais assez non plus.)

SERLACH : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ, PROGRAMMATEUR DE SOIRÉES ET HOMME BAVARD

Je ne sais pas comment j’en suis arrivé là, certainement ma grande gueule qui m’a encore joué des tours, bref je me suis retrouvé à organiser des concerts Gonzaï. Putain j’ai couru toute l’après-midi après une sono, un ampli guitare, de la bouffe et des bières. Je suis crevé, j’ai un marteau qui me cogne au fond du bulbe et le moins que l’on puisse dire c’est que ça ne va pas aller en s’arrangeant. Il reste deux groupes à faire jouer dans un squat où la foule compacte et passablement déchirée fait trembler les murs. Ils sont combien ? 400 ? Ça tiendra jamais… Parano et enfariné pour la circonstance, je scrute le moment où la baston va partir. Easy, easy, les gens sont cool… N’empêche que si ça part, ça va être un sacré merdier… Oh et puis fuck, je m’en cogne, j’me tire pioncer, qu’ils se démerdent. Là dessus, une petite bobo bonnasse en robe de soirée soulève ses talons aiguilles d’un bras diaphane et crie « moi j’veux sucer le chanteur ». Un gros nerd barbu tendance punk hardcore me jette un regard complice et navré. Cool quand même ce mini chaos, un bon trip. Le batteur du groupe qui vient de finir son set m’arrache le tympan droit : « Ça va être chaud de sortir le matos ». À ma droite Johnny Jet, le vice au coin des lèvres, vient de prendre d’assaut la sono pour balancer un Cramps bien salace. Je lui sourie, chope la grosse caisse des mains du batteur et rentre direct dans la grappe humaine. Putain j’adore ça…

MATHIS UP BLOATER : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET MÈCHE D’ACIER

J’avais décidé d’abandonner un temps le patronyme que m’avaient confié les parents. Mathis Up Bloater, c’est l’anagramme qui me plaisait bien. Jusqu’à ce qu’un traducteur Internet de bas niveau m’annonce que mon pseudo signifiait « Mathis le Hareng Bouffi ». La lose. Ça commençait mal. J’ai encaissé, et je suis rentré dans la meute au cours de la troisième année. J’écrivais mon papelard hebdo loin des pavés, dans ma tanière tropicale… Puis je me suis décidé à monter, mirer la gueule de l’homme-chien. La messe rédactionnelle se déroulait encore dans le XIXe. Je comprenais, enfin ! Tous ces com’ faciles faisant allusion aux chemisettes du boss… Putain si vous saviez ! J’étais conquis, bien décidé à ravir le patron de par des lignes pleines de bière qui feraient éclore les fleurs printées sur ses fringues. Une année passa, quelques confs, dont une qui s’est soldée par une quiche rouge pinard sur le chemin du retour. Une piètre façon de faire le métier, aurait hurlé ma mère. Mais en cette cinquième année, j’ai rien gratté. Fallait de l’argent, j’avais plus le temps. Mes étagères se vidaient quotidiennement de toute presse culturelle. L’onglet Gonzaï était là, mais je ne cliquais plus trop dessus… Quand vint subitement ce goût amer dans la bouche, le manque, une ébullition dans les veines, les papelards qui montent au goitre… Et pour m’achever, le coup de sabre fendant ma glotte en plein préliminaire larmoyant. Je veux parler de ce mail de Jet qui crache la nouvelle et veut ses lignes d’anniversaire. Cinq ans et ils sont encore là, les bâtards. Tout remonte, les étoffes bigarrées de Bester, les expressions acides signées Serlach, la force tranquille du fameux Jet comme les arrivées si remarquées d’Ismène… Elwood Blues ruminait « Nous sommes en mission pour le Seigneur ». Je le crois, et aujourd’hui la lumière je l’ai vue. Faut toujours pisser dans le vent, alors me revoilà, guys. Un moment… Tant qu’il y a du vent.

ROMAN OSWALD : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET GONZO AU CIVIL

Étant partie prenante du webzine depuis un an, je tiens à faire part de mon inquiétude face à la recrudescence de commentaires à forte contenance bipolaire. Le point Godwin ayant été atteint la semaine dernière lorsqu’un papier sur Pâcome Thiellement (lui-même ancien commentateur anonyme sous le nom de « r », repenti depuis) a rouvert la plaie originelle.

Reconnu comme établissement d’utilité publique par décret du ministère de l’Intérieur en date du 3 février 2012 (publié au Journal Officiel), l’Association des Amis des Commentateurs sur Gonzaï a pour but de réunir hommes et femmes afin qu’ils partagent, entre eux et par voie orale, leur expérience de « com addicts ». Qu’ils puissent ainsi résoudre leur problème commun (syndrome de la Kommentairïte aiguë) et peut-être passer à autre chose ou, du moins, hacker un site autre que http://gonzai.com/.

Le désir d’arrêter de pourrir le journal de banalités à tomber et autres gnoses inutiles est la seule condition pour devenir membre de l’association. Si vous avez tendance à alterner des épisodes d’euphorie exagérée avec des moments de total repliement sur vous-même, allez d’abord consulter un psy avant de proposer votre candidature à l’AACG. L’Association des Amis des Commentateurs sur Gonzaï regroupe déjà une dizaine d’adhérents et est représentative des dommages collatéraux que peut engendrer la fin d’un journal comme SVMac Hebdo (sondage BVA). La plupart des mesures de protection du portail Gonzaï ont été prises à l’initiative de l’AACG, légitimant ainsi son action de manière plénière.

URSULA MICHEL : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET SPÉCIALISTE DE L’HÉMOGLOBINE FACTICE

Seul le détail compte (surtout s’il pèse 10 kg !). Dans Gonzaï, il y a « gonze », et des mâles, dans la rédac, il n’y a que ça. Des grands, des maigres, des en slim, d’autres en chemises hawaïennes, c’est le Rungis des mecs, on trouve de tout même si c’est pas la saison. En tant que femelle célibataire, je me disais que je dézinguerais des disques, rencontrerais des stars ou des baltringues, mais, éthique oblige, je ne draguerais pas sur mon lieu de travail. Tant pis pour ce concentré de testostérone. Mais après neuf mois de bons et loyaux services et quelques coups de krautrock plus tard (il se reconnaîtra), le premier bébé Gonzaï était né.
Comme quoi, on trouve de tout à Gonzaï, même le père de ses gamins !

PIERRE MIKAÏLOFF : ANCIEN JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET EX-POP STAR POUR TEENAGERS

Aucun être humain n’est vraiment préparé à une rencontre avec James Chance. Ce New Yorkais d’adoption est autant connu pour avoir fondé la no wave que pour son caractère difficile. Le premier quart d’heure, l’homme paraît docile, calme, presque somnolent… Ne pas s’y fier ! Une fois avalé le premier Baileys, au détour d’une question qui l’agace, le volcan se réveille. Et vous songez alors au critique musical du Village Voice, Robert Christgau, que Chance se mit à boxer en plein milieu d’un concert — Christgau était pourtant l’un de ses premiers fans et le resta après l’incident. Notre interview aussi connaîtra un petit moment de tension, quand il estimera que j’évoque trop souvent ses confrères new-yorkais. Il menacera de partir si je ne l’interroge pas immédiatement sur son « actualité ». Oui, mais quelle actualité ? Nous sommes en 2007 et, depuis « Off White », en 1979, sa discographie ne s’est guère étoffée. Il me demande de l’attendre et s’éclipse. Les minutes passent. La pause perdure… Je croise le regard du cameraman : il est clair qu’il ne nous reste plus qu’à plier bagages. Quand soudain, James redescend. Il me tend un album live — datant de plusieurs années et jamais distribué en Europe — et m’annonce : « Voici mon actualité ! » Le pire était évité. Je me suis épongé le front, j’ai réajusté ma cravate et nous avons terminé l’interview.

JEAN-EMMANUEL DELUXE : ANCIEN RÉDACTEUR CHEZ GONZAÏ ET GOUROU BUBBLE-POP

Avec Gonzaï, j’ai  engrangé une pleine malle de bons souvenirs. Mais laissez-moi dérouler le négatif en premier, c’est-à-dire cette satanée politique de laisser n’importe quel troll abusif et anonyme rejoindre le point Godwin derechef via ses inutiles commentaires, non je ne crois pas au Net participatif. D’ailleurs je ne crois à rien de participatif. Si on avait « laissé les gens décider », Citizen Kane ressemblerait certainement plus à Bienvenue chez les Ch’tis qu’au chef d’œuvre que l’on connaît et « Sergent Pepper » à la Danse des Canards.
En ce qui concerne le positif, je soulignerai la totale liberté de ton que  Bester m’avait laissée pour mes articles, et l’occasion d’interviewer via la vidéo des artistes  enthousiasmants tels Jodorowsky, Bertrand Burgalat et Joe Boyd. Grâce à Gonzaï, j’ai également eu la chance de connaître des gens géniaux tels que Pierre Mikailoff et Munster Muntz, l’épatant photographe.

In fine, je suis heureux qu’un site tel que Gonzaï existe, même s’il est prisonnier à son corps défendant d’une époque 2.0 où tout est bénévole et gratuit. Je pense qu’un bon journaliste (rock ou pas) doit avoir les moyens de sortir de sa chambrette et pouvoir aller chercher l’information à sa source. La critique rock française pêche souvent par excès d’exercices de style sans infos, ni budget… « Un songwriting étincelant… Des riffs crépusculaires… Une pop qui  nous tient par la barbichette à coups de bisous esquimaux » et autres pauvres figures de style en guise de cache-misère !!! … Gonzaï évite avec grâce depuis cinq ans cet écueil et les clichés. Finalement Gonzaï fait ce qu’il peut dans un pays qui s’appelle la France. Un Hexagone qui produit nombre d’artistes de talent, mais qui ne les soutient souvent pas comme ils le mériteraient. En guise de contre-feu, le webzine sous vos yeux a su jouer les Zorro avec panache ! J’espère qu’un jour Gonzaï rencontrera un mécène qui lui permettra d’envoyer ses plumes autour du monde. Parce qu’écrire gonzo c’est quand même mieux avec une caisse de rhum à Cuba qu’au Kremlin-Bicêtre en compagnie d’une bière tiède ! Courage les ami(e)s.

BESTER : CHEF DE MEUTE ET CO-FONDATEUR DE GONZAÏ

Au départ, j’étais plutôt opposé à cette idée de commémoration des cinq ans. Je crois que je n’aime toujours pas cette idée qu’on fige le temps pour s’auto-congratuler ; ça se finit toujours un peu de la même façon, cette envie de souvenirs de vieux combattants, on commence par recycler des vieux sujets, on arrête de se battre et sans s’en rendre compte on publie une rétrospective des meilleurs papiers et cela donne les 20 ans des Inrocks sur papier glacé. Ça fait, comme on s’en doute, froid dans le dos.
Je ne sais même plus vraiment comment tout a commencé. Enfin si. Je venais de me prendre une tôle sur un fanzine papier qui portait très bien son nom — One Shot — où j’avais décidé de mettre la réédition des écrits bibliques de Lester Bangs en couverture. Un flop assuré, quatre numéros plus loin j’étais pour ainsi dire sur le trottoir. C’était la fin de l’année 2006 et le début des années Myspace ; je crois que je me faisais un peu chier dans ma vie de jeune salarié, à faire des blagues que personne ne comprenait à la machine à café. C’est à ce moment que ce gamin aux cheveux longs a débarqué, avec sa fascination pour Patrick Eudeline, les boots américaines et quelques autres névroses que je n’ai jamais comprises. Mais enfin, c’était déjà bien suffisant pour se sentir moins seul. Appel d’air. Nous voilà assis tous les deux face à un écran avec une envie commune — créer un truc qui nous appartiendrait, sans un connard de rédac chef pour s’attribuer tous les mérites, avec 100 € en poche et à peu près aucune connaissance sur le 2.0, et pour seule satisfaction un pauvre logo tout raté. Loin de moi l’envie de vous faire rêver avec des souvenirs nostalgiques, je crois que c’est un peu la même histoire pour chaque média qui fête ses 5 ans ; on regarde abasourdi le chemin parcouru en disant qu’il faut véritablement être un reclus social de premier ordre pour niquer autant de week-ends et de soirées sur un projet que votre entourage méprise ou, pire, ne comprend pas. Ça marche pareil pour les philatélistes, les fans de modélisme et les collectionneurs de vinyles ; les gens « normaux » ne peuvent comprendre ce genre de passions déraisonnées.

« Tu fais quoi dans la vie ?
–  J’ai créé un site qui s’appelle Gonzaï.
– Non mais sinon tu fais quoi dans la vie ?
–  … »

Gonzaï c’est aussi de grands moments tels qu’on souhaite en revivre aussi souvent que possible. Des papiers dont je me souviens en dépit de leur piètre qualité (« Soko : pire que la castration chimique »), d’autres qui ont fait grand bruit pour pas grand chose (La Maison Tellier, où je comparais le groupe à l’une de mes pires angoisses : porter un pull en laine en plein été) et d’autres encore qui déclenchèrent des polémiques qui me valurent moult coups de téléphones, insultes et même une menace de procès en diffamation, tout ça pour notre point de vue sur la musique et une sacrée dose de mauvaise foi, avouez qu’il y a des luxes dont on se passe difficilement. Il y a aussi ces fragments de souvenirs de soirées Gonzaï, des bides formidables comme cette soirée au Divan du Monde pour la « revanche des loosers » avec une troupe d’artistes complètement avinée face à un public qui se comptait sur les doigts d’une main, toutes ces soirées à patienter sur le trottoir dans l’espoir que les gens finissent par arriver, en vain. Koudlam aux Disquaires le jour de la fête de la musique, 20 personnes qui dansent dont deux prostituées nibards à l’air. Sentiment d’échec et voix off qui tourne en boucle : « Cette fois j’arrête, on ne m’y reprendra plus. » Trois ans plus tard en y repensant, ça me fait sourire. On s’est souvent pris les pieds dans le tapis, mais on n’a jamais baissé les bras.

Repenser à ce premier « quinquennat » de Gonzaï, c’est surtout penser aux gens de cette équipe, dont la majorité sont depuis devenus des amis. Sans jouer la fibre corporate type McDonald’s, Gonzaï est lentement devenu un mode de vie où tout se mélange, les passions et les soirées, le travail et les projets sans lendemain, une drôle de vie où faire partie du « clan » Gonzaï est devenu quelque chose de précieux, quelque chose qui permet encore aujourd’hui de dire qu’on a trouvé là sa famille, des gens aussi déglingués que vous qui s’excitent pour des choses ô combien superficielles. Une communauté d’esprits débraillés et capables de supporter qu’un type surnommé Bester — et affublé d’un masque de chien ! — puisse prendre la parole pour transformer ses névroses en prophéties. Ca vaut ce que ça vaut, on se plante souvent mais cinq ans plus tard, cette famille est toujours là.
Après tant de temps passé à se bronzer la figure sur les écrans plats, une chose n’a pas changé. D’une semaine à l’autre, je ne sais toujours pas de quoi sera faite la prochaine édition ; chaque semaine c’est toujours un peu la même angoisse : « putain, est-ce que j’aurai assez de papiers ? » Chaque semaine, c’est un petit miracle, les papiers tombent dans la boîte comme par magie et dans 80 % des cas ils sont bons, subjectifs, bien écrits et parfois même drôles. C’est l’un de ces petits luxes de l’aléatoire qui donne à Gonzaï cette odeur de miracle DIY, un truc qu’on n’explique pas et que comme les tours de magie je ne cherche plus à comprendre.

ALIENOR BRITTMAN : ROUQUINE À PEINE MAJEURE, FRAICHEMENT KIDNAPPÉE

Un article «spécial anniversaire», c’est comme une carte vœux : on se dit que c’est une bonne idée , mais l’on ne sait pas exactement quoi écrire, et l’on se retrouve à écrire une charmante phrase de circonstance. Lorsqu’il a été demandé en conférence de faire un petit papier s’apparentant à une carte d’anniversaire pour les 5 ans de Gonzaï, j’étais mitigée.

D’une part, que dire puisque cela fait à peine quelques mois que je suis là, et d’autre part ,j’avais quelques idées sur la question. De grosses anecdotes croustillantes je n’en ai pas, d’un autre côté je me demande ce que serait Gonzaï si il concurrençait Paris Match. Bref, en attendant l’illumination divine tout en hésitant avec le mail annonçant mes plus plates excuse pour mon absence de participation au pot commun, je me suis souvenue de quelque chose d’évident.

Il y a à peu près 3 ans je faisais une recherche sur les Frenchies, groupe français des années 70 rattaché à la mouvance glam rock. Après moult recherches diverses et variées, mais surtout infructueuses, j’ai fini par découvrir un article sur un site dont le nom des sujets ne m’évoquait rien sinon une incompréhension quasi total, grand moment de solitude où je me suis sentie petite novice perdue dans un monde musical tellement vaste que ce que je pensais connaître de bien pour mon âge était en réalité infime et plat par rapport à ce qu’il me restait à découvrir. Rien ne me parlait sauf l’article sur les Frenchies, but de ma recherche. Et voilà que je tombe sur un papier retraçant le groupe et interviewant l’un des membres, qui habitait à Avignon, tout comme moi à l’époque. À cet instant, je me suis dit qu’il y avait finalement quelque chose de bien dans ce coin paumé et ennuyeux à mourir lorsque l’on est ado et qu’il n’y a rien d’explosif dans le sud sauf en Corse. Ce site, c’était Gonzaï.

À 15 ans on se croit supérieur aux autres sur certains points, moi c’était la musique, et j’ai vite compris l’étendue de mon ignorance. Mais bon, j’étais la seule à le savoir et c’est tout ce qui importait. Dans mon coin j’ai découvert Hunter S. Thompson autrement que par les adaptations cinématographiques, les vinyles remplacèrent les CD, mes cigarettes ne furent plus en chocolat. À mille lieues de m’imaginer que j’aurai un jour écrit des articles pour cet e-magazine, j’étais tout aussi loin de penser que la distribution de disques s’apparentait à une partie de Frisbee où le but est d’attraper le disque au vol avant qu’il ne te crève un œil en t’atterrissant dessus. Comme quoi, la vie est bien faite, trinquons aux cinq ans à venir.

VIC VEGA : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ ET FAN ÉMÉRITE DE GUY-MICHEL THOR

Plutôt qu’un évènement, anodin, débiloïde ou mindfucked, marquant quoi qu’il en soit, j’avais initialement choisi de relater une année, de refaire 2009 au scalpel. La plus folle de ce début de siècle en terme de sorties d’albums (Primary Colours des Horrors, Tarot Sport de Fuck Buttons, Crystallized de Sinner DC, Goodbye de Koudlam, le solo de Jaumet, Beak, A71 de Mustang, Kill For Total Peace, B de Turzi, Arnaud Fleurant-Didier…), quasiment tous chroniqués sur Gonzaï. L’année de mon entrée dans le jeu, aussi. Je voulais évoquer ma première visite flippante sur le FTP de Gonzaï, une conf’ de rédac’ insensée, les projets tous avortés de l’époque. J’ai échoué à faire court comme à ne pas vernir le passé. J’ai tout effacé pour ne garder que la conclusion : « Reste qu’en 2009 Gonzaï m’offrait l’arrogance de préférer le métaphysique et le subjectif au chiatique débat sociétal qui fait autorité froide au quotidien. Et cette mission est sans fin. »

VERNON : JOURNALISTE CHEZ GONZAÏ, EX-MARSEILLAIS AU COEUR DE ROCKEUR

Octobre 2009, ma première conf de rédac Gonzaï.  L.J.Jet part au ravitaillement, je fais le malin en réclamant une bouteille de Jack Daniels. Le con m’en ramène une. Je sors de là complètement bourré, après avoir assisté à une attaque de pizzas par une trentaine de jeunes gens hirsutes : je suis aussi effrayé que le livreur. Mais je ris aussi beaucoup. J’ai pris un bon coup de vieux au passage mais sinon, depuis trois ans et demi, Gonzaï a changé ma vie. Je vous en souhaite tout autant.

SYLVIA HANSCHNECKENBÜHL : SR CHEZ GONZAÏ

La première fois que j’ai lu la prose de Bester, il m’a fait grimper aux rideaux. C’était en avril 2008. Par un raccourci malheureux, il insinuait que mon premier album (qu’il n’avait pas écouté) ne cassait pas trois barreaux de chaise à un canard. Quoi ? Dire du mal de la chair de ma chair, qui était en train de se faire presser à l’usine ? (C’est tout de même plus pratique que de se coltiner neuf mois de grossesse, pas besoin d’arrêter de boire.) Mon sang n’a fait qu’un tour, et les insultes, telles des pâquerettes, ont fleuri sous l’article. Sur ces entrefaites, Sylvain Fesson me fait une interview dans le dos. Fumeux concept, qu’il faut ici éclaircir : ledit Sylvain, avec qui j’étais vaguement pote, me propose de boire un verre. On discute de tout et de rien, sans qu’aucun dictaphone ne fasse son apparition. Quelques jours plus tard, je découvre avec stupeur ma tête dans Gonzaï, assortie d’une interview reprenant approximativement les propos que j’avais tenus en buvant ma pinte.
Si cet article n’a pas spectaculairement boosté mes ventes, il a eu pour effet de me faire lire régulièrement ce blog. J’aimais bien le ton, les sujets, mais, mon Dieu, les fautes d’orthographe… Alors, dans un élan altruiste, j’ai proposé à Bester mes services de correctrice. C’est ainsi que je suis devenue la SR du magazine. Un métier riche en rigolade, où l’on trouve parfois, dans les campings des festivals, des tentes qui en juxtaposent d’autres plutôt que de simplement les jouxter. Où l’on croise des insomniaques somnambules, pourtant si rares, où la haine est conflictuelle (parce que généralement, c’est bien connu, la haine n’a que peu de rapports avec les conflits), et où les gens s’auto-flageolent (j’imagine qu’ils se cuisinent des flageolets à tous les repas, ou quelque chose d’approchant — c’est leurs collègues de bureau qui doivent être contents).
Pour toutes ces belles images, j’aime les rédacteurs de Gonzaï. D’amour.

JACK MARSHALL : ATTACHÉ DE PRESSE ET GONZAÏ FRIEND

En 2007, j’étais l’attaché de presse d’une maison d’édition spécialisée dans la contre culture ayant publié le premier article de Boris Bergmann « Viens là que je te tue ma belle » – il avait 15 ans à l’époque – d’ailleurs la maison a fini en faillite frauduleuse depuis… Bref, je reçu un mail laconique de Bester Langs, ce charismatique personnage, qui se se terminait par « toujours motivé par la subjectivité objective ».
Le Gonzo journalisme allait m’impressionner. Je n’avais jamais lu Hunter S. Thompson, bien que je connaissais le film de Terry Gilliam. De mes souvenirs avec eux, il y a Little Johnny Jet (un « journaliste » au grand coeur avant tout) … Sa chasse au Hunter de février 2012 est remarquable. Puis ces soirées mémorables, comme au Divan du monde en juillet 2007 avec Patrick Eudeline (NDLR: soirée où Mr Marchall finira par assommer à coups de livres les danseurs de la salle). Sur Gonzaï, chaque semaine met l’accent sur une « autre culture », loin des narrations hyper formatées de nos médias actuels. Une pensée à Charles Von Strychnine, trop fou pour vivre « normalement »

MIAM MONSTER MIAM : PATRON DU LABEL FREAKSVILLE ET GONZAÏ FRIEND

La première fois que j’ai rencontré la Gonzaï team c’était en 2007, je venais de sortir mon album pop « L’Homme-libellule », l’histoire d’un être mi-insecte mi-homme qui détient le code de l’amour universel et est kidnappé par des terroristes d’une secte japonaise. Croyez-le si vous voulez, mais ces mecs étaient les seuls représentants du peuple français à aimer cet album, et ils m’ont intégré rapidement dans leur famille, un peu comme un cousin d’outre-quiévrain ou un oncle belge pédophile ! Depuis lors, chaque fois que je viens à Paris pour un concert ou un studio, c’est la tradition, on se fixe rendez-vous au Buffalo Grill à Pigalle et on discute de tout et de rien. Fender Jazzmaster ou Fender Jaguar ? La poupée gonflable a-t-elle un avenir fiable et écologique pour l’homme ? Pourquoi Bester Langs écoute-t-il de la musique médiévale et voue-t-il un culte à Bert Jansch ainsi qu’aux têtes de chiens collées sur des corps humains ? Et puis aussi cette question qui fascine chaque Français : pourquoi est-ce la radio belge qui diffuse en direct le concours de Miss Belgique et pas la télévision ? Le mystère est entier… Et puis Johnny Jet avait toujours le chic et le talent d’un Laurent Gerra pour l’imitation de l’accent belge !

Nous sommes en 2012 et les Gonzaï boys n’ont pas changé, leur slogan résonne plus que jamais car chez eux : seul le sens du détail compte ! Et bien si l’amitié transfrontalière est un détail, je suis ravi d’être toujours à leurs côtés !

JACQUES DUVALL : AUTEUR / COMPOSITEUR / INTERPRETE ET GONZAÏ FRIEND

J’aime bien Gonzaï parce que c’est le seul magazine qui pense à dépêcher un journaliste jusqu’à Avignon pour nous faire un papier sur Michael Memmi. Bravo. Et puis aussi j’aime bien Gonzaï parce que dans un article de 2009, un critique avisé de ce blog pas comme les autres m’a comparé à Dieu, qui est effectivement plus une de mes références que les certes plus médiatisés Serge Gainsbourg ou Alain Kan. Que quelqu’un d’autre que moi fasse enfin le parallèle m’a soulagé. Que dites-vous ? C’était pour rire ? Ah, mais c’est encore mieux comme ça !

ALEX ROSSI : AUTEUR / COMPOSITEUR / INTERPRETE ET GONZAÏ FRIEND

Je ne sais toujours pas ce que Patrick Eudeline a joué au piano pour m’accompagner sur une lecture ce 16 octobre 2008 aux Disquaires. Quels accords a-t-il plaqué ? Il a fini les doigts en sang. Je lisais une de mes nouvelles, qui s’appelle Souvenirs de presque rien, et cette Fear and Loathing avait pour nom « BORDEL’IN ».

CHEVAL BLANC : AUTEUR / COMPOSITEUR / INTERPRETE ET GONZAÏ FRIEND

Bah voilà tout est dit,
Comment mettre du silence au début du poème ?
Comment t’as fait pour tomber
La seule fois où j’ai du hashish
Dans l’année ?

« Je serai toujours nostalgique de l’époque Little Johnny Jet, Charles Von Strychnine, Bester Langs et Jüûl. »

Bien à vous,
Cheval Blanc

NICOLAS KER : AUTEUR / COMPOSITEUR / INTERPRETE ET GONZAÏ FRIEND

Hier j’ai perdu ma CB puis mon téléphone dans un bar antillais de la rue Léon (mon bar préféré au monde, l’Internet mis à part car l’Internet est un troquet infini). Puis j’ai rêvé de Nick Cave et je suis allé au bar ce matin, ils avaient ma CB et mon téléphone ! Allah est grand ! Résultat, j’ai payé une tournée générale et je suis de nouveau raide à cause de leur rhum papaye venu de l’enfer et distillé par Satan. J’ai donc loupé mon avion pour Berlin (je dois jouer ce soir avec Aladdin). On ne se refait pas. Voilà : c’était une journée dans la vie d’un idiot psychédélique. A day in the life, et mon cul c’est du poulet, oui.

11 commentaires

  1. En souvenir du bon vieux temps et pour garder la trique je signalerai juste cette faute de frappe mon cher LJJ : « Charles Von Strynine, accompagné par son obsession pour Alain Pacadis, qui avait crée unE rubrique « Gonzo Sex ». Oui, juste ça, parce que si je m’écoute vraiment, et que par exemple je rebondis sur cette phrase « Pourtant, je sentais que nous étions frères de quelque chose », je vais finir par écrire un roman !

    Sylvain
    http://www.parlhot.com

  2. J’aimerais bien avoir ici une double pensée,
    une pour la mystérieuse serveuse de ce café italien (c’était une blague cher LJJ, hein, mais tu étais encore jeune et naïf en 2007) et une autre plus sérieuse pour notre cher Hilaire Picault sans qui beaucoup des belles choses réalisées n’auraient été possibles.

    Allez, vivement le deuxième mandat, pour plus de mandales.

  3. Je viens d’arriver à la dernière ligne du dernier comment. Des frissons dans la colonne, le wiggle in flesh de quand ça vit pour de bon. Et H.P., ouais, big up blondin.Ton comment t’honore, BSTR et je m’y joints, comme dit Bob. Mais ça fait aussi un peu mal au cul.
    Envoyez plutôt les mandales, camalades, un truc pour détourner l’attention. Un truc fou, un truc drôle, un truc bien écrit, un truc Gonzaï. Avec un G majuscule.


  4. Si c’est l’instant sentimental « les absents toujours plus près de toi mon dieu », j’aimerai évoquer (invoquer?) la mémoire de Munzt Thermunch qui n’était pas un photographe exceptionnel (il était quasi aveugle) mais c’était un vrai barjot qui conversait avec le fantôme d’ike turner, était a moitié manageur de la souris déglingué et a moitié flic, et faisait des alcool lui même complètement géant. Un bon camarade.

  5. « redistribuer les cartes, punir les menteurs et sauver les martyrs » – merci LJJ pour cette maxime que j’estime anthologique.
    Bon la suite de gonzai, c’est quoi ? Pour les 5 prochaines années : une version papier ??? Je vous distribuerais avec mon charriot dans la Drôme.

  6. Hommage à toi Hilaire, mon maître à community manager et bravo à tous pour votre persévérance pleine de références et d’irrévérence.

  7. Bravo c’est vraiment bien votre truc, bien le bordel. et la Gare aux gorilles c’était coool (qu’est-ce que ça devient d’ailleurs ?)

  8. Ça fait rêver.
    Je n’arrive à lire que vous, pourtant mon acolyte achète tout ce qu’il peut de torchons indigestes et fades… Merci pour ça.

  9. Misère ! Little Johnny! J’ai zappé le mot pour les 5 ans 🙁

    Joyeux anniversaire !
    Mais vous n’avez que 5 ans ?.

    Moi qui pensais avoir noué en 2007 un partenariat avec le webzine le plus influent de la capitale française, je m’aperçois que c’était la loose totale en fait.

    2007, c’est l’année ou je me suis lancé dans le monde du travail. J’avais 35 ans.
    Gonzaï fut ma première rencontre professionnelle et mon premier partenariat.
    C’est Miam Monster Miam qui m’avait orienté vers vous – un super blog qui cartonne, bla bla… – pensant que vous seriez les seuls à croire en mon projet.
    Le jour ou Bester m’a dit « ok », j’étais fier comme un coq. Faut dire que je connaissais rien à ce monde-là, j’étais très naïf. Bref trop content. Parti de rien, j’avais noué un partenariat avec le webzine du moment qui est top et qui cartonne etc… Le petit Belge avait conquis Paris.

    J’ai rien vu venir, même quand je me suis demandé pourquoi vous insistiez pour que le partenariat soit « à vie ». Je m’aperçois aujourd’hui de la supercherie. En fait vous creviez la dalle, vous bouffiez à tous les râteliers.

    Mes Gonz-aïeuls adorés, je vous ai oubliés sur ce coup-là.
    Plusieurs fois j’ai oublié ma femme ou mes enfants, mais vous, jamais.
    Vous êtes le dernier cornet de mon cerveau qui s’effrite.

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