De lui, on connait les symphonies à 100 guitares et le regard ténébreux à la Lloyd Cole, mais qui est vraiment Glenn, icône de la no wave new-yorkaise et disciple des minimalistes ? En bon professionnel des musiques déviantes, Rubin Steiner propose une session de rattrapage pour tout savoir sur le parrain de Sonic Youth.

On dit souvent à raison que Glenn Branca symbolise à lui seul l’héritage actuel du mouvement No Wave, pourtant il fait partie de ceux que Brian Eno a (volontairement?) oublié d’enregistrer dans sa fameuse compilation « No New York » en 78, et qui popularisera cette scène partout dans le monde. Les compilations « New York Noise » de Soul Jazz ont réparé cette erreur au début des années 2000 en le remettant au centre du phénomène avec ses groupes Theoritical Girls et Static, ainsi que sous son propre nom. Ce sont en effet ces deux groupes, fondés à New York en 76 après des années de théâtre expérimental, qui seront pour lui le point de départ d’une multitude de projets menés de front : l’enregistrement de l’album de Y Pants pour 99 records, son très noise « guitar trio » avec Rhys Chatham et Nina Canal de UT, ses deux premiers disques sous son nom propre (« Lesson No. 1 » et « The Ascension ») chez 99 records, et le lancement de Neutral Records, le label qu’il va monter pour sortir le premier album de Sonic Youth (puis Y Pants et Swans entre autres)…

Trop « Soho » (comprendre trop « arty ») pour vraiment s’enfermer dans le statut d’icône de l’épiphénomène D.I.Y. que sera la No Wave (mouvement trop « jeune » et peut-être aussi trop « drogue » pour lui), Glenn Branca composera dès la sortie de son deuxième album de grandes et ambitieuses symphonies pour orchestres de guitares électriques (et batterie), qui mélangeront microtonalité et noise « harmonique » sous couvert d’un certain mysticisme et d’une approche quasi mathématique du son. Avec « Symphony No.3 (Gloria) » qu’il sortira sur Neutral, il entame un travail au long cours sur les harmoniques, qu’il considère être la structure sous-jacente de toute la musique, mais aussi de la plupart des activités humaines – sous haute influence de l’astronomie humaniste de Dane Rudhyar, de la théorie physiologique de la musique de Hermann von Helmholtz, et du travail sur les gammes microtonales de Harry Partch. Comme ce dernier, il va pousser son travail jusqu’à fabriquer ses propres instruments, comme des cithares à trois chevalets et autres guitares préparées (ses célèbres « harmonic guitars », dont la fameuse avec un manche et un corps à chaque extrémité, et autres « mallet guitars » jouées comme des percussions) pour produire des sons dont Sonic Youth feront par la suite leur marque de fabrique (grâce au « third bridge » notamment).

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Le travail sur les harmoniques de Glenn Branca relevant des mathématiques et de la musicologie avancées, on n’ira pas plus loin dans les détails, mais « Symphony No.3 (Gloria) », sous titrée « music for the first 127 intervals of the harmonic serie » ou encore « The Ascension » et « Lesson No.1 » s’écoutent très bien même si on n’a jamais fait de solfège, de la même manière que l’émotion procurée par un solo de John Coltrane ne nécessite pas de connaître le sens du mot mixolydien. Les connaisseurs de Sonic Youth par contre comprendront très bien de quoi il s’agit si on leur parle du son des cordes grattées entre le sillet et les mécaniques, le tout passé dans une pédale de distorsion. On entend des sons comme ça dans la « Symphony No.3 », mais multipliés par 1000, au moins. « The Ascension », sa pièce essentielle et inaugurale de 1981, dont il présentera pour la première fois cette année la 3ème partie pour quatre guitares, une basse et une batterie (Ascension III), élabore une cathédrale sonore de lave en fusion dont les échos s’entendent frontalement sur de nombreux enregistrements de Sonic Youth ou My Bloody Valentine : une façon de jouer de la guitare qui changera radicalement l’approche de l’instrument chez ceux qui inventeront dans les années 80 et 90 le post-rock, le shoegaze, la noise en général. Le fait que Thurston Moore et Lee Ranaldo de Sonic Youth, Page Hamilton de Helmet, ou Michael Gira et Dan Braun des Swans aient joué dans les Ensembles de Glenn Branca n’y est évidemment pas pour rien non plus, vous vous doutez bien. Et je préciserai ici que les pièces de Glenn Branca, bien qu’effectivement radicales et « soniques », sont surtout absolument magnifiques à écouter.

Reconnu académiquement depuis la fin des années 90 comme figure du post-minimalisme, Glenn Branca compose aujourd’hui pour des orchestres classiques traditionnels, mais continue son travail avec les guitares, comme ses duos avec sa femme et sa fameuse 13th Symphony pour 100 guitares électriques, qui a fait le tour monde – vous pourrez même la voir à la Philharmonie de Paris le 20 février 2015 – et dont la première avait eu lieu trois mois avant sa destruction au pied du World Trade Center à New York. Réduire l’oeuvre de Glenn Branca à ses début No Wave est aujourd’hui très réducteur : il est beaucoup plus juste et pertinent l’associer à l’héritage des minimalistes, notamment Steve Reich et Charlemagne Palestine.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce personnage haut en couleur, mais le mieux serait que quelqu’un se penche sur le sujet sérieusement et écrive une biographie digne de ce nom (qui n’existe pas encore à ma connaissance). Vivre l’expérience live de Glenn Branca (et James Chance, Lydia Lunch, Thurston Moore, Kim Gordon et quelques autres) c’est embarquer à nouveau pour un voyage dans les grandes heures du New York Noise : profitons-en tant qu’ils ont encore la flamme.

http://www.glennbranca.com/

DISCOGRAPHIE

Lesson No. 1 (99 Records, 1980)
The Ascension (99 Records, 1981)
Glenn Branca / John Giorno – Who You Staring At ? (Giorno Poetry Systems, 1982)
Symphony No. 1 (Tonal Plexus) (ROIR, 1983)
Symphony No. 3 (Gloria) – Music For The First 127 Intervals Of The Harmonic Series (Neutral Records, 1983 )
Symphony No. 6 (Devil Choirs At The Gates Of Heaven) (Blast First, 1989)
Branca Featuring Z’ev – Symphony No. 2 (The Peak Of The Sacred) (Atavistic, 1992)
The World Upside Down (Les Disques Du Crépuscule, 1992)
Symphony Nos. 8 & 10 (The Mysteries) (Atavistic, 1994)
Symphony No. 5 (Describing Planes Of An Expanding Hypersphere) (Atavistic, 1995)
Symphony No. 9 (L’Eve Future) (Point Music, 1995)
Indeterminate Activity Of Resultant Masses (Atavistic, 2006)
The Ascension : The Sequel (Systems Neutralizers, 2010)
Symphony No. 7 (For Orchestra): Live In Graz (Systems Neutralizers, 2010)
Ensemble – Live At Primavera Sound 2011 (Free Music Archive, 2011)

1 commentaire

  1. m’avait filé un disque d’un de ces protégés (jacket rose!) commençant par un prenom, ce jr la in my room avec la Lydia, le cunningham & un mec du label de Barcelona oublié leurs noms.

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