Georgio n'est pas un compositeur de western. Ni un acteur de Lynch. En fait je ne sais pas qui il est. Au fur et à mesure de nos rencontres, j'ai cru le savoir. La classe d'Elvis intégrant The Dead Science pour jouer du Can sauce Dead Meadow? Après avoir écouté son nouvel album, je ne suis plus sûr de rien.

frontDans une précédente chronique je vous parlais de l’importance de la géographie et je vais en rajouter une couche. Vous pourriez me rétorquer et vous auriez bien tort, que la géographie ne fait plus sens en musique dans ce monde globalisé aux distances abolies et différences polies. Vous pourriez aussi m’opposer l’argument que les Suédois peuvent sonner plus californiens que les Californiens et à cela je vous dirais oui. Mais, et j’arrêterais de pérorer là-dessus, c’est justement bien la géographie qui fait que les Suédois, encore plus soumis aux caprices du temps qu’un lorrain, se créent une carte du monde et des voyages en musique (je tiens ces propos de mr Akerfeldt d’Opeth, d’où la légitimité incontestable que je leur accorde).

Floridien exilé un week end à Détroit pour y rester une demi décennie s’étant acoquiné d’une luxembourgeoise pour finir en Belgique et chantant un italien velouté…L’œuvre de Georgio pourrait bien être l’heureux fruit de cette instabilité. Voilà, maintenant on commence l’exploration où chaque détail fera sens.

Dans ce milkshake, une étonnante cohérence se dégage qui tient dans le trio lui-même. Une bassiste, Patrizia, d’une assise rythmique dont tout groupe de rock rêverait car garnie en plus d’une excellente inventivité mélodique. Un batteur, Benjamin Meunier, dont on peut en dire autan,t avec une force de frappe malade. Et puis le charismatique Georgio, ce type immuable comme sa compagne. Qu’il pleuve neige ou que le soleil brûle, ils sont identiques tels des personnages échappés de Mulholland Drive. Tout ce qu’ils touchent passe par ce prisme particulier, le nourrit, et ressort avec une identité sonore forte (très forte même en live).

Rarement il m’a été donné de chroniquer un disque si complet et complexe à la fois. Les quatre faces représentent quatre possibles, quatre lieux et temps, imagés par autant d’artworks différents. La face une, Georgio ‘The Dove » Valentino & la société des mélancoliques ouvre la pyramide et lance un inquiétant appel qui annonce la couleur. Rangez votre fil d’Ariane vous allez de toute façon vous perdre. Rangez aussi vos références car on ne sait plus à quoi nous avons affaire. I wish we were insects résume dès l’introduction l’improbabilité de cet album hors norme. Entre vacarme krautrock, son de guitare rock’n’roll aux relents de mythe américain et voix de crooner romantique sur la tangente psychologique à placer entre Nick Cave et Bowie avec des intonations à la Sam Mickens. D’ailleurs on pourra trouver quelques points psychiatriques communs entre « Mille Plateaux » et « Villainaire » des tarés de The Dead Science. En écoutant cet album, j’ai autant pensé à des réalisateurs qu’à des groupes et me suis dit que si Tarantino et Lynch faisaient un duo ils avaient là leur bande originale. Roberto Rodriguez veut refaire un bon film? Appelle Georgio mon vieux. Ils auront même des tubes aux irrésistibles catchlines tels que Don’t do me any favors ou encore le somptueux Japanese dream qui nous fait voyager on ne sait où, mais à ce moment on s’en fout on voyage c’est déjà beaucoup. Dans cet ensemble cinématographique les images sonores sont souvent hypnotiques à l’instar de la basse magmaienne de The gift of fury qui flirte ensuite avec la batterie sur « Mille plateaux » avec un post punk dérangé.

Les arrangements donnent la part belle aux invités mis à l’honneur par une production au poil, un son bourré d’imaginaire et d’espace. Et quels invités! Parmi eux il y a Blaine Reininger au violon (Tuxedomoon) dissertant tel Warren Ellis sur les travers distordus de la beauté.

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Pour la face B nommée I won’t betray you, on peut facilement s’imaginer Amon Düul II en train de visiter Memphis et d’en faire une tirade folle de dix-sept minutes sur délires mariachis. Un hommage à Chuck Berry, surtout à la création au delà des conventions ces dernières étant encore plus explosées par l’intervention magistrale de Luc Van Lieshout à la trompette. Quand la folie aura pris place en vous, Georgio saura vous montrer la sortie. Le scénario ne souffre pas d’impasse, il regorge de relances et de moments tendres. C’est l’entertainement dans sa version audacieuse.

Rien que donner un titre à ses faces comme aux phases d’un synopsis fait que je doute de plus en plus de leur réalité. Finalement comme toujours avec les personnages, seules leurs résonances dans le réel comptent. S’ils n’en ont pas, ils deviennent mythiques. Aussi mythique que les évocations imagées de Washed-out world qui sent le bitume chaud dévalé en eldorado, dans un temps et un décor indéfini, anachronique comme un studio hollywoodien. Cette troisième face centre son approche autour d’une douze corde, reprenant ainsi deux titres de la première face comme des fins alternatives, des director’s cut et s’achève sur la grande cavalcade Bête noire, morceau indomptable.

Avec sa dernière face, ce disque réussit ce que le traité Transatlantique n’a pu réussir: réunir l’Amérique et le vieux continent sans globaliser l’un dans l’autre. Le charme provocateur à l’américaine avec le romantisme d’une nuit italienne. De loin, le plus étonnant du disque consacré à Piero Campi (t’inquiète pas moi aussi je découvre). Georgio y chante en italien, brouillant encore plus les pistes en rajoutant du torride à un tempo enlevé. Piano certes, repos non car Todor Stefanov fait crier ses touches avec en sus une insécurité mélodique, toutefois relâchée sur Sul porto di Livorno, comme si le Tom Waits de « Foreign Affairs » s’était épris du charme du patrimoine italien par une romantique nuit de pleine lune. Il vino jouera avec le sens énigmatique, évoquant Christian Vander composant pour Paolo Comte. Oui, la logique n’a aucune place ici et tant mieux. Les arrangements doux et la trompette qui sonne comme un cri nocturne rendrait alerte l’oreille de Jim Jarmush.

« Mille plateaux » est un véritable jeu de pistes, un labyrinthe dingue où entrée et sortie se mêle, passé et présent aussi mais où le but n’est plus de trouver la sortie. Il s’agît plutôt de se perdre le plus longtemps possible, seul Georgio connaît la fin du scénario.

Georgio The Dove Valentino // Mille plateaux // Trinity
http://www.georgiothedovevalentino.com

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