De la même manière que je trouve intriguant d’inventorier les qualités et les défauts des natifs d’un même signe astrologique, je suis gênée par la possibilité de coller des qualificatifs à toute une génération – le plus gênant étant de réaliser que JE rentre sans effort dans ces cases.

Alors que je me suis toujours targuée d’un certain anticonformisme, récemment il m’a fallu me rendre à l’évidence : ma manière de penser est générationnelle, induite par des influences rationalisables et analysables. J’aurais pu le comprendre quand à 15 ans ma personnalité s’était définie sur le calque de celle de Daria, héroïne de dessin animé made in MTV. Cynisme et tendances dépressives, mon surmoi s’était construit sous l’influence d’une chaîne télévisée experte dans l’art de faire passer des produits calibrés à l’extrême pour des perles brutes d’originalité. De fait, trop névrosée pour être vraiment capable de m’amuser, j’avais toujours méprisé la légèreté du jeune. Aujourd’hui, alors que je me rapproche dangereusement de la trentaine, j’en viens à m’interroger sur la jeunesse, la mienne et celle des autres :

A quoi rêve le jeune ? Par extension, à côté de quoi suis-je passée ?

Pour essayer de répondre à ces questions, j’ai décidé de me pencher sur les aspirations de ma génération en m’inspirant de l’enquête menée au début des 60’s par Jane Deverson qui conclut qu’il était illusoire de croire à l’épanouissement absolu des baby-boomers au seul motif que ceux-ci n’avaient pas connu de guerre et profitaient d’une situation économique florissante. Plus tard, la Génération X – héroïne du roman du même nom de Douglas Coupland – a eu à se satisfaire d’une situation économique chaotique et de bouleversements sociologiques majeurs. Issus d’une génération tampon, ses natifs sont pleinement conscients de leur précarité à la fois matérielle – difficultés croissantes à trouver du travail –  et affective – augmentation du nombre de divorces. Enfin, la Génération Y, englobant les individus nés entre la fin des 70’s et le milieu des 90’s, a connu une situation géopolitique stable associée à une économie en crise constante ou présentée comme telle. Ses digital natives, curieux et constamment sollicités par toute sorte d’écrans, souffriraient de difficultés à maintenir leur intérêt pour ce qui constitue leur univers.

Jusque-là, tout semble clairement compartimenté, rassurant de simplicité : dis-moi quand tu es né et je dresserai la liste de tes névroses. Le problème est que j’en suis venue à m’interroger sur la réalité du fossé existant entre les deux dernières générations. Si entre boomers et Gen-Xers, il a eu une rupture historique certaine – un après-guerre chaotique qui bouleverse les perspectives d’avenir -, il est plus compliqué de distinguer un clivage entre Génération X et Génération Y. Existe-t-il un espace pour la rupture lorsque l’on est soumis aux mêmes difficultés, que l’on écoute la même musique, que l’on porte les mêmes vêtements et que la jeunesse est une vertu qu’il convient d’abhorrer au détriment de la traditionnelle scission adultes responsables/ jouvenceaux inconséquents ? A quel moment la génération Y s’est-elle élevée contre les valeurs sociales de la génération précédente ? Est-ce qu’être digital native change fondamentalement notre manière d’appréhender le monde, au-delà de l’appréhender… vite ?
Pour éviter de limiter mon postulat à des déblatérations creuses, j’ai rédigé un questionnaire que j’ai adressé à une tranche d’âge déterminée de laquelle – à un an près – je m’exclus. Plusieurs raisons à ça, la première est objective : pour éviter de m’éparpiller, j’ai pris le parti de limiter ma recherche à une tranche d’âge ronde : les 15/25 ans ; la seconde, moins rationnelle, a été évoquée plus tôt : je me suis toujours positionnée en marge de la catégorie « jeune ». Au final, cette délimitation me permet de préserver le peu de subjectivité que je pourrais avoir. J’admets d’ailleurs avoir eu certaines difficultés à formuler mes interrogations de manière à ce qu’elles ne paraissent ni trop naïves , ni condescendantes.

Une fois mon questionnaire rédigé, j’ai réalisé un peu étonnée que mes contacts avec la jeunesse se bornent à croiser ma demi-sœur lorsque l’alignement des planètes y est favorable – soit une fois l’an en moyenne. Si j’étais un garçon, il est probable que je me taperais à l’occasion des filles à peine majeures et que j’aurais alors tout le loisir de sonder les tréfonds de leur âme. Mais jusqu’à preuve du contraire, je suis une fille (à l’occasion une femme, lorsque mes cernes se font trop apparentes). Il a donc fallu chercher le jeune, notamment sur Twitter, en essayant de faire en sorte que les réponses me parviennent d’individus aux univers aussi divers que possible :

« Ma vie de rêve : une vie toute simple (famille, amis et travail) » D.D.

Là où je pensais trouver perte de repère et décadence, je n’ai eu en retour qu’un discours raisonnable, policé, parfois un brin vieille France. Même si j’ai pris le parti de ne questionner ni sur le sexe ni sur les drogues, ce qui m’a été donné de voir m’a paru bien éloigné d’un scenario de Larry Clark.

« Oui, je pense me marier un jour, j’aime l’idée de l’union, et je pense qu’une femme veut se marier. Enfin pas toutes, mais prouver à sa fiancée que l’on lui appartient et que l’on est prêt à beaucoup de choses, de sacrifices pour elle, je pense que c’est important. » L.S.

 

«A 21 ans, je ne me vois pas non plus finir ma vie avec la même personne (…). Je pense me marier mais au vu du divorce de mes parents je pense faire un contrat de séparation des biens.» M.E.

 

Ma première surprise a été de découvrir que pour la plupart, la cellule familiale apparaît comme plus importante que l’entourage amical. La famille reste une valeur refuge et étonnamment, le mariage/PACS, bien que perçu comme une convention sociale, n’a pas perdu son attrait. La grande majorité affirme d’ailleurs aspirer à court ou moyen terme à avoir une relation stable tout en précisant toutefois qu’ils n’entendent pas « stable » comme « éternelle »:

« On va dire que je suis de confession musulmane. Je ne bois pas, je ne mange pas de porc, ni de viande qui n’est pas hallal (…) mais je pense que ca tient plus d’habitudes, j’ai été élevée comme ca, donc j’ai intégré les rituels. » I.B.

 

Le désintérêt pour la religion est par contre confirmé, même si beaucoup ont baigné dans un environnement où la religion était  présente, ne serait-ce qu’au titre de valeur traditionnelle. Malgré tout, certains choisissent de se construire une croyance patchwork, piochant çà et là des éléments leur permettant de guider leur vie tout en rejetant les aspects trop contraignants des religions traditionnelles :

« Je ne pense pas avoir besoin de beaucoup d’argent pour vivre, juste assez pour manger, avoir un toit et sortir. » J. Z.

Leur avenir apparaît comme assez nettement dessiné, pas d’ambitions démesurées mais une envie assez universellement partagée de ne pas passer toute leur vie derrière un bureau. Arrivée à ce point, il me suffit de prendre trois définitions dans le Génération X de Douglas Coupland pour finir de dresser le portrait de mon époque :

Mc Job : Boulot à petit salaire, petit prestige, petite dignité, petit profit et sans aucun avenir, dans la branche des services. Fréquemment considéré comme un choix de carrière intéressant pour les gens  qui n’ont jamais eu le choix.

Apathie staro-induite : Attitude selon laquelle il ne sert à rien de se décarcasser si ça n’apporte pas la gloire ; l’apathie staro-induite imite la paresse mais avec des racines beaucoup plus profondes.

Manque historique : Vivre à une époque ou rien ne semble arriver. Parmi les symptômes majeurs, être accro aux journaux, aux magazines et aux infos télévisées.

Enfonçant le clou, je citerai Nick Hornby qui, dans Haute Fidélité, dit des baby-boomers qu’« ils ont des opinions et [lui] des listes ».

« Je n’ai pas confiance dans les hommes politiques, pour moi ils ne respectent aucune de leurs promesses, dans n’importe quel parti, même si je peux comprendre la difficulté de leur travail. Je n’ai pas envie de prendre du temps pour m’y intéresser davantage. » D.D.

La question de l’idéologie n’a pas encore été évoquée. L’intérêt pour la politique apparaît plus que relatif. Au mieux, certains expliquent s’y intéresser parce qu’« il le faut » mais seule une infime minorité affirme se reconnaitre dans l’un des partis de gouvernance. Sur ce point, les retours n’ont fait que confirmer ma théorie : se revendiquer d’une idéologie/d’un parti nécessite un travail d’analyse et de compréhension de concepts que seule une poignée d’individus est prête à fournir. Moi-même, partisane du moindre effort diplômée d’un master de sciences politiques, je serais bien en mal de tenir une conversation de plus de cinq minutes sur les limites du libéralisme.

Finalement, mis à part la démocratisation du porno via l’accès internet haut débit, pas grand-chose n’a évolué entre la jeunesse des Gen-Xers et celle des Gen-Yers. Difficile pourtant de partir de ce seul élément pour crier à la révolution des mœurs. Suis-je plus (ou moins) épanouie sexuellement que ma mère au même âge ? Rappelez-moi d’en parler à mon père.

Illustration pour Gonzaï: http://babsillus.ultra-book.com/

9 commentaires

  1. Je comprend que vous doutiez.
    On ne dira jamais combien le XXe siècle a accouché d’une classe moyenne qui, malgré ses illusions, n’a pas d’avenir collectif.

    Seul, un destin individuel peut renverser le cours gris et terne qui se profile pour chacun(e), et eu égard à l’accueil très mitigé que reçoivent les jeunes adultes dans le monde des « grands », on peut comprendre qu’ils cherchent plus ou moins consciemment à rester, au delà du raisonnable, dans la chaude protection de la cellule familiale malgré ses vicissitudes.

    À moins qu’ils ne s’acharnent pour certains d’en recréer une avec l’utopie de réussir là où leurs parents ont échoué: rendre heureux leurs enfants.

    En France, on se défie inexplicablement des jeunes personnes et on prétend que celles-ci n’ont pas la valeur de leurs aînées.

    Les générations x et y si elles souffrent c’est, non pas du sous-emploi, il existe depuis beaucoup plus longtemps qu’on ne le dit, car la plupart des « boomers » ont connu ce purgatoire des petits boulots quand ils étaient vingtenaires avant de décrocher les CDI qui seulement permettent de s’établir durablement.

    L’élite, quant à elle, n’a pas connu l’avanie d’une socialisation économique difficile. Mieux, l’élite des « boomers » s’est emparée des quolifichets de la contestation et a réussi à faire croire qu’elle avait dirigé la révolte de la jeunesse pendant ces années là des dernières barricades.

    En réalité, comme d’habitude, sévèrement égarée dans les luttes de pouvoir aux seins des groupuscules gauchistes, l’élite a récupéré après coup, la révolte et, la première dans l’histoire a commencé de fabriquer, non pas une énième mythologie « jeuniste », mais des produits dérivés d’une révolte qui n’a pas eu lieu.

    Cette récupération marchande a escamoté toute dimension historique et sociale de ce mouvement des jeunes gens pauvres nés après la guerre et qui avait fait des études jusqu’au moment où ils se sont aperçus qu’il n’y avait pas de place prévue pour eux dans les organigrammes des organisation économique, financière ou administrative.
    On voulait bien en faire des « petits » cheffaillons. Pas plus.

    Ainsi dans les années 70, cette décennie qui aurait pu être « dorée », fut-elle celle des désillusions violentes et de l’expectative comme s’il y avait eu des « surplus » d’intelligence et que ceux-ci se fussent abîmés dans la contemplation en dehors des villes.

    Finalement, le grand changement tient à ce paradigme, qu’une société passe de l’écrit « libre » à l’image « libre ».

    Les visions du monde diffèrent quand on les tire soit des textes soit des spectacles cinématographiques ou télévisuelles.

    Et si les générations x et y diffèrent entre elles, ou du moins le paraissent, c’est seulement en terme de références, les images de la générations x se référencent encore des écrits passées tandis que celles de la génération y ont pour référence les images archivées des décennies précédentes et ce qui fait une profonde différence.

    Sinon rien, génération b, x ou y, nous sommes encombrés chacune de nos corps. Mais c’est une autre histoire, celle de l’ère de la Grande Disponibilité.

  2. Ce dernier commentaire a des allures de poème: « nous sommes encombrés chacune de nos corps. »

    Le reste se passe commentaire, magistral.

  3. Egide vous êtes Pierre Bourdieu marié à Keynes?

    Bstr, explique moi la psycho-sociologie cognitive de la nouvelle terminologie « culturisme » qui a sailli l’emblématique Gonzo! Les cellules grises pumpent aussi vite que les brachials?

  4. @ Sylvain fesson
    « Je suis ce que je suis : le bébé d’une époque. »
    C’est de Arthur Cravan.

    @ RecelBanx

    Bour Dieu de Bour Dieu ! Une chimère !
    Pitié, grâce ! On ne choisit pas d’être minoritaire, on le subit.

    Ah Keynes, en 1927, ce futur lord avec, entre autres, sa copine Virginia Woolf, déguisés en improbables mamamouchi extrême-orientaux, se font recevoir le plus sérieusement du monde sur un croiseur de la Royal Navy au large de Southampton comme une délégation étrangère.
    Les imbéciles du Foreign Office n’y voit que du feu !
    Révélée peu après le raout diplomatique, l’affaire fait un scandale énorme.
    Précurseur des Yes-men, pas mal pour le génie de l’économie.

    Grand merci pour ce très flatteur exemple.

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