Si le dernier album de Fujiya & Miyagi, Ventriloquizzing, était sorti en 2006, quand Cocosuma et Zero 7 étaient mes amis cosy, j’aurais été très content. Aujourd’hui, malgré leur virtuosité, leur disque m’agace. Mais le sujet est Gonzaï, comme dit le patron, alors on y va.

C’est mon dernier jour de stage et Bester m’envoie interviewer Fujiya & Miyagi : « C’est bien qu’on couvre ce genre de trucs ». Merci Bester. Deux mois durant, j’ai lu, écrit, twitté, transféré et mis en page des articles dont au moins un sur deux s’assimilait au courant krautrock. Steve Lewis (clavier) et David Best (guitare et voix) rentraient bien évidemment dans le quota.  Je riais nerveusement avant de me rendre chez PIAS. Belle maison, chez PIAS. Un accueil vitré, des toilettes propres, du café Nespresso, un tapis vert recouvrant l’escalier de bois foncé. Et deux Fujiya & Miyagi patientant dans un grand bureau bourgeois. On pourrait y mettre au moins quatre employés, soit deux musiciens de l’intelligentsia english pop. Je fais une overdose de claviers, de mélodies qui se répètent, de voix douces. En fait je suis un bourrin. Je vais les rencontrer, l’attaché de presse va nous dire « See you in 30 minutes », Steve et David vont précieusement refuser un deuxième verre d’eau et nous serons entre six yeux. Et là promis, s’ils sont hype, s’ils ont les cheveux rasés sur les côtés, ou trop longs, s’ils ne sourient pas, s’ils adorent Kraftwerk, je pète les plombs. Je prends leur clavier, je me l’éclate sur la gueule, je bois mon sang, je vomis ma hargne et je pars en rampant et en roulant à moitié à poil.

Pas de bol, ils sont très gentils. Plus timides que moi.

Ils sont anglais, de Brighton. Donc trop bien éduqués,  qui sait, peut-être même ont-ils pris une douche avant de venir. Leurs visages, banalement habillés des reliefs des plus ordinaires, marquent les traits d’une journée de promotion qui s’étire. Mais qui s’étire comme un chat : doucettement, couci-couça. Les Anglais n’ont pas de violence dans la voix, pas la force de me faire remarquer qu’ils s’en foutent, de ce que je pense de leur disque.

C’est mon dernier jour chez Gonzaï et ma première interview désintéressée. Alors on parle d’autres choses, à une distance supportable du krautrock.

La première chose que je voulais vous demander est : qui a eu l’idée de faire exploser la tête à vos avatars sur votre site ?

David : Le webmaster. C’est aussi lui qui a fait la vidéo du trailer de Noël pour notre album. C’est marrant ce qu’il fait. L’album est plutôt sombre, alors ça équilibre un peu.

Le trailer vidéo que j’ai vu est une sorte de remix de Chucky, The Shining et d’autres. Vous voulez écrire une bande-son de film d’ailleurs, je crois ?

Steve : On adore John Carpenter, Vangelis.
David : On adorerait. Faire la bande-son d’un film à petit budget, indépendant.

Un film d’horreur ?

Steve : Pas nécessairement d’horreur, mais de science-fiction, oui.

C’est curieux que vous vouliez faire la musique d’un petit film, avec une musique pourtant pas du tout lo-fi.

David : Oui mais je ne pense pas qu’un réalisateur célèbre ou un gros studio nous laisserait faire (rire honnête).
Steve : Nous ne sommes pas Daft Punk, on ne va pas faire Tron.

(Nous passons ici tous ce qui concerne la création du groupe et les influences d’un genre douteux) C’était dur de démarrer ?

Steve : Oui, c’était très dur de commencer. Au début, ça nous est arrivé de prendre un an pour aboutir à une chanson que nous aimions tous. C’était difficile de nous accorder, nous écoutions tous des choses très différentes.

Steve, vous faisiez de la techno ? C’est vous qui êtes fan de Matias Agayo ?

David : Non, c’est moi. Je l’adore. J’adore beaucoup de choses de chez Kompakt. Mais lui, surtout, quand j’ai entendu Minimal, j’ai trouvé ça fantastique. Il renouvelle le genre, il est drôle. Ce qu’il fait est unique, je trouve.

Pourquoi l’album s’appelle-t-il Ventriloquizzing ?

David : Nous aimions bien l’aspect visuel des marionnettes. Et l’idée de mettre ton idée dans les mots de quelqu’un d’autre. C’est un peu l’idée de ce que fait un journaliste en parlant d’un groupe, ou de ce que fait un chanteur qui représente un groupe.

Et qui tient la marionnette ?

David : C’est une belle image puisque cela peut représenter l’industrie du disque, les médias, la perception des fans. Il y a plusieurs niveaux d’analyse et c’est ce que j’aime.

Comment définir la trame qui relie les morceaux entre eux ?

David : Ce n’est pas comme un concept-album, plutôt comme un album thématique dans les textes. Avec des thèmes comme le contrôle, la perte de contrôle, la frustration, la rage, la résignation… Et puis il y a une ambigüité entre les paroles et la mélodie : Sixteen shades of black & blue parle de violence, et pourtant je le dis d’une voix douce.

Oui, d’ailleurs comment écrivez-vous les paroles ?

David : Parfois j’ai juste une idée de titre, et je trouve ça bien alors je développe. Parfois, cela peut être une connexion d’idées. Je prends des notes jour après jour et après je les regarde, les choses se rejoignent, expriment un sentiment.

C’est facile pour vous ?

David : C’est bizarre. Parfois je ne peux plus écrire un mot. C’est très dur d’écrire sur rien du tout. Mais avec une guitare par exemple, je peux y arriver assez vite. J’ai juste besoin d’une idée de la mélodie.

Pour vous, Steve, la musique vient facilement ?

Steve : Ça dépend, vraiment. Ça peut venir très vite. On a tous une manière propre d’écrire la musique. Parfois je viens avec une idée électronique et on part de là.

Ça vous est déjà arrivé de composer en cinq minutes ?

David : Oui, parfois. Mais on a déjà travaillé six mois sur des chansons qui ne nous ont rien fait gagner.

Comment vous savez si les gens apprécient ?

Steve : Journaux.
David : C’est important, financièrement, mais de mon point de vue artistique je m’en fiche.
Steve : Ça dépend, la critique peut être constructive. Mais il ne faut pas que cela affecte tes travaux.
David : C’est comme quand tu sors avec une fille, tu l’aimes bien mais elle est un peu chiante. Tu peux le dire, mais si quelqu’un d’autre le dit ça t’énerve. C’est pareil avec les journaux. Mais c’est délicat.

Donc vous ne lisez pas la presse ?

David : J’ai arrêté, cela me touchait trop.
Steve : Moi si.
David : En tant que chanteur, c’est dur. Si les gens n’aiment pas la guitare ou le clavier, c’est une chose. Mais s’ils n’aiment pas la voix, les paroles… C’est plus personnel.

Dernière question : quel est, selon vous, le meilleur argument de vente de Ventriloquizzing ?

David : Le chant et la guitare je pense. (Puis rire, puis d’autres trucs très vrais)

Après, ils reprennent leur accent. Je ne comprends plus rien, ponctuant bêtement de « hum » et de hochements de tête. Ventriloquizzing est un album classe, peut-être plus varié que leurs précédents. En fait c’est même assez suprême, pour qui veut bien prendre le temps d’écouter.

Fujiya & Miyagi // Ventriloquizzing // Yep Roc (PIAS)
http://www.fujiya-miyagi.co.uk/

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