Des câbles débranchés se soudent au piano de l’orchestre et un robot sort des rangs. Francesco Tristano, ancien élève de la Julliard School de New York mais nouveau spécimen, collabore avec Carl Craig. Et la formation classique laisse place à une nouvelle exploration musicale. Interview débranchée de celui qui transforme le vieux Steinway en vaisseau spatial.

Fort de son double statut de vedette des conservatoires et de celui de robot des studios de Détroit, Michigan, Francesco Tristano continue d’explorer les possibilités du son. De l’acoustique à l’électronique il n’y a qu’un fil électrique qu’il prend, tord et court-circuite. Brouiller les pistes, c’est le crédo du maestro luxembourgeois dans ce grand jeu sans règle qu’il appelle « musique ». Son pari hybride de flouter la limite entre la musique classique et ce qu’il appelle, non sans respect, la « techno », fait de lui un savant (un peu fou) de la dernière race de crossover imaginable. La première et la dernière musique inventées par l’homme, le piano et le synthé, l’humain et l’ordi. Comme cela, on pourrait penser à un androïde infernal qui ferait rien qu’à abâtardir la tech et la musique à mémé. Oui, mais il y a du génie là dedans. Est-ce que ça ne défoncerait pas un peu des barrières sociales que de faire un melting pot de ce que n’écoutent pas les vieux avec ce que n’écoutent peut-être plus les jeunes ? Une sorte de mésentente commune dans laquelle tout le monde se retrouve ? Francesco Tristano, sous ses airs de mec sympa et bien droit dans ses souliers commerce équitable, n’en reste pas moins une pointure de la musique minimaliste moderne. À 29 ans, il a déjà collaboré avec Aufgang, Murcof et Agoria. Et en novembre il sort Idiosynkrasia, 3ème album solo entièrement postproduit à Détroit, dans les studios et avec l’aide de M. Carl Craig. L’attachée de presse lui a débranché la fibre optique, le temps d’une journée promo à Pigalle, entre une tournée en Angleterre et un récital à Berlin. Propos échangés avec un compositeur croisé.

Pouvez-vous présenter Idiosynkrasia, votre dernier projet, son acheminement et son accueil ?

Il s’agit d’un projet qui explore les possibilités du son acoustique du piano et du son électronique des synthés et boîtes à effets. Une espèce de musique de chambre où j’ai pu vraiment aller au plus loin dans cette combinaison, ce mariage des sons électroniques et acoustiques. L’album s’est enregistré à Détroit l’année dernière mais je suis dans cette démarche depuis que j’ai découvert l’électronique il y a une quinzaine d’années. Idiosynkrasia est inscrit dans le temps. Sur mon premier album chez Infiné il y avait déjà une tendance à aller vers l’électronique.

Ca aurait pu sortir à un autre moment.

C’est une recherche dans le temps et l’espace et l’album n’est pas fini. Il est juste une partie de ce processus de recherche de symbiose entre ces deux musiques. De manière surprenante, c’est toujours bien reçu par le public. Dernièrement j’étais en tournée au Japon dans des salles classiques et je finissais par quelques boîtes de nuit. Ça m’a donné espoir : j’ai vu des gens qui n’étaient jamais allé en club de leur vie, venir me voir en boîte et découvrir un nouveau son, un nouvel univers.

La manipulation, c’est de ramener du public classique à l’électronique, et vice-versa ?

Irrémédiablement on va vers cela. Entre les interdictions des rave parties à la fin des années 90 et maintenant les passages électro dans les salles classiques, il y a un vrai progrès permis grâce à la prise de conscience des programmateurs. Évidemment, le classique a besoin de la techno et vice-versa. Le public classique ne peut pas se fossiliser, on a besoin d’éduquer les plus jeunes à la musique classique. Et malheureusement, c’est difficile et c’est souvent un problème de milieu social.

Vous êtes le médiateur ?

Je ne peux pas me positionner au milieu de tout ça. J’ai toujours eu les pieds entre plusieurs scènes, je ne réfléchis pas en termes de « genres » et je fais de la musique libre. On va, j’espère, toucher un public de plus en plus vaste. Comme notre société nous impose d’avoir tout en même temps, je pense qu’on va vers un truc innommable, un genre qui regrouperait les autres. Si la dernière musique créée par l’homme est la techno, alors la prochaine sera : « rock-folk-classico-électronique » [nom en cours de discussion, version non définitiv, ndlr]. Moi, je peux aller dans plein de directions, j’utilise des médiums différents.

D’abord Aufgang, Agoria, une collaboration avec Murcof et maintenant Carl Craig. Curieux pour un pianiste, ce besoin d’évoluer en groupe.

Carl a surtout joué le rôle de producteur exécutif. C’est le mec qui fait que tout roule comme sur des roulettes dans son studio. Il a observé le processus, m’a expliqué les machines et m’a donné ses conseils. Mais si j’avais besoin d’être seul, il partait (le travail de pianiste s’effectue à 95% seul). Cela fait 25 ans qu’il est dans la musique et il a une distance monumentale à la production. S’il est producteur, c’est justement parce qu’il est assez généreux pour m’avoir laissé faire ce que je voulais. Sa participation vient directement sur le dernier morceau Hello, où je joue en live. Je lui avais demandé d’envoyer mon son dans l’espace, il a activé 50 modules. Il n’y a que pour Aufgang où là on est en bande, entre frères, qu’il y a un esprit de groupe. On voyage ensemble, on joue ensemble. Là on vit une autre vision de la scène.

« Je lui avais demandé d’envoyer mon son dans l’espace, il a activé 50 modules. »

Le pont est jeté et les fondations sont solides. Effectivement, c’est de la techno, ou du classique, ou on s’y perd mais sans chercher à se retrouver. Le boulot est chiadé par un orfèvre, et pavé de bonnes intentions. Faire swinguer, ensemble, main dans la main, ravers et retraités. Reste un problème : ça s’utilise comment ce truc ? A l’enterrement d’un jeune ou à la Bar Mitzvah d’un vieux ? Parfois, c’est con, t’as un beau bijou, mais t’as le doigt trop gros pour le porter, alors tu l’exposes. Tristano, tu le caches parce que la pochette est moche.

Francesco Tristano // Idiosynkrasia // InFiné
Sortie le 15 novembre
http://www.myspace.com/francescotristano

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