Imaginez que votre premier rencard se soit bien passé, mais que reste encore à mettre un pied dans la porte pour convaincre votre partenaire de céder à vos avances (non, vous n'êtes pas Harvey Weinstein) et que vous deviez lui siffler la mélodie du serpent pour lui ôter ses derniers doutes. C’est un peu la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui Emile Sornin à l’heure de la sortie de « La Pantoufle », deuxième album qu’on aura du mal à baiser dès le premier soir.

« On pousse, on pousse, mais ça ne rentre pas ». De prime abord, ça fait le même bruit qu’une commode normande qu’on voudrait rentrer dans une chambre de bonne. Ça grince aux entournures, on a peur de s’écorcher l’oreille à force d’écouter un disque peut-être trop grand pour les conduits. Le fait est que de l’eau a coulé sous les ponts depuis « Rhapsode », premier album d’Émile publié en 2014, à une époque où ses potes de chambrée Aquaserge et Chassol n’avaient pas encore conquis le cœur de millions de Français prêts à reprendre en chœur leurs chansons sans refrains.

Trois ans plus tard donc, tombe cette « Pantoufle » à la pochette abracadabrantesque et dont on ne sait pas si elle se fout de la gueule de l’auditeur, si c’est un suicide commercial de premier ordre ou simplement, un coup de génie. Pour paraphraser ce disque à la gueule de brocante, la première écoute ne permet pas de savoir si on taille trop petit ou trop grand pour cet album qui s’annonçait comme celui de la consécration.

La peur du second rendez-vous

Le succès de « Rhapsode », toutes proportions gardées, a fait des ravages. Pas des terribles, hein, on est en territoire pop. Mais quand même. Il s’est infiltré dans les mémoires. Trop peut-être. Etre qualifié de petit génie contemporain pouvant autant se revendi(s)quer de Jean-Claude Vannier que de Francis Lai ou De Roubaix, ça tasse un peu les épaules. Peut-être la raison qui pourrait expliquer que la première rencontre de « La Pantoufle » soit aussi distraite et qu’on peine à véritablement rentrer dedans (sic). L’album est plus pop que son prédécesseur, plus chanté aussi et, paradoxalement, plus difficile d’accès. Il faut dire que « La Pantoufle », produite avec Benjamin Glibert (Aquaserge), ne vise plus seulement les Diggers en obscurités françaises fans de flanger et de parties de claviers où se croiseraient Bach et Morricone, mais un public plus large qui, fatalement, devrait agir sur les fans de la première heure – ces ingrats – comme un répulsif. C’est là toute la tragédie des deuxièmes albums : en marche vers un destin plus grand, on perd parfois ses premières plumes. C’est un peu le voyage d’Icare appliqué aux sillons d’un 33 tours ; et ce basique antagonisme fait qu’on aurait parfaitement pu, si l’on n’avait pas un peu insisté, passer à côté d’un disque fou.

L’homme à la soupe de choux

« La Pantoufle », en fait, est un bon gros 47 déguisé en taille fillette. Les trois premiers titres, faciles et convenus, un peu décevants, feraient presque bailler ? Les dix autres, eux, sont fantastiques. Citons sans tomber dans la micro-chirurgie du piste à piste Jonathan en Rosalie qui évoque le « Planète Sauvage » de Goraguer et d’autres territoires prohibés, sexuellement parlant. Puis ce Hutre montrant la direction vers la seconde partie d’un album qui, à partir de là, devient complètement loufoque. Le temps d’une messe spatiale qui aurait parfaitement trouvé sa place dans La soupe aux choux (Père), nous voilà à Débileland.
C’est tellement flagrant à l’écoute Les Cordes, marqué par son gyrophare de police 70’s, qu’on en vient à se demander s’il s’agit bien de l’album décrit dans le deuxième paragraphe. Un peu dérouté, on réécoute La Pantoufle est dans le puits et son final récité par une voix de maman flippante, et l’on se dit, qu’en fait nous sommes en présence d’un film kubrickien qui aurait mal tourné et où les Droogies d’Orange Mécanique auraient croisé le Jack Torrance de Shining dans une cour de récréation. Et c’est de pire en mieux.

© Corentin Fohlen
© Corentin Fohlen

L’inspecteur Harry rencontre Romy Schneider

Et ça continue. Les Cordes est une musique de film érotico-policier où l’inspecteur Harry errerait dans un magasin de porte-jarretelle à la recherche d’un tueur de prostituée, Cancre, un chef d’œuvre orageux où Sornin déverse son courroux coucou sur une ligne de basse tonitruante ; et la fin du disque est telle un sprint avec Romy Schneider dans un Paris pluvieux (Au pas de l’assassin). Sur la ligne d’arrivée, Forever Pavot parvient l’exploit de pondre un morceau de la trempe de La ritournelle de Tellier, avec cette batterie décalée obsédante sur Ça lance, et tout cela en cradassant consciemment le morceau dans un grand final katerinien (« Les groseilles au fond du jardin, on n’y a pas droit, c’est défendu », ad lib).

Parvenu à la fin du disque après s’être pris dans la gueule ces 2 minutes de toute beauté que constitue La Belle Affaire, on se refait le film en se disant que si l’on n’a pas tout compris au dialogue, on le regarderait bien encore une fois, ne serait-ce que la beauté des scènes. On se dit, aussi, qu’on s’était complètement planté sur cette histoire moins plan plan qu’il n’y paraît. Et que si l’un des deux chaussons a disparu, il est certainement dans la chambre d’enfant. Parce que ce deuxième album, in fine, est tout sauf le disque de la maturité tant redouté.

Forever Pavot // La Pantoufle // Born Bad
http://www.bornbadrecords.net/releases/bb099-forever-pavot-la-pantoufle/

Forever Pavot en concert 

16/12 : POITIERS – Confort Moderne  (soirée Born Bad avec Frustration)
18/01 : ROUEN – Le 106
26/01 : QUIMPER – Le Novomax
27/01 : ANGOULEME – Le Mars  (avec JC Satan et Magnetix)
02/02 : BORDEAUX – iboat
07/02 : RENNES – UBU
08/02 : NANTES – Barakason
23/02 : LORIENT – Le Manège
14/03 : VILLENEUVE D’ASCQ – La Ferme d’En Haut
15/03 : PARIS – La Maroquinerie – RELEASE PARTY

8 commentaires

  1. Emile Sornin est talentueux ,mais a force de faire à longueur d’album du François de Roubaix à un moment ou un autre sa va tourné en rond et il va se mordre la queue ,il est urgent qu’il Évolue et trouve sa propre voie 🙂

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