Benoit Bidoret et Vic Vega retracent le script d’une semaine à résonner de la rétine et s’écarter les tympans. Le tout pour cette compilation de bobines électriques. Extraits du carnet de bord,

Benoit Bidoret et Vic Vega retracent le script d’une semaine à résonner de la rétine et s’écarter les tympans. Le tout pour cette compilation de bobines électriques. Extraits du carnet de bord, en essayant de ne pas rayer la bande, avec Bidoret on the road.

1. Slap the Gondola/ All Tomorrow’s parties

Premier jour, regarder des gens heureux. D’abord une comédie musicale muette et poissonneuse, charmante mais inutile. Marie Losier y a invité ses amis Tony Conrad, April March ou Genesis P. Orridge, en bonnet de bain et déguisement de sirène. Ne manque que les étoiles de mer sur les tétons. Il y a des couleurs et de la joie. J’ai l’impression de regarder les photos de vacances d’inconnus.
Le festival démarre vraiment avec All Tomorrow’s parties, tourné pour les 10 ans du festival. Prenant place dans un village de vacances à l’anglaise, un groupe plutôt indie y est désigné comme curator. Entre un concert improvisé de Daniel Johnston ou Lightning Bolt sur la pelouse, c’est un défilé entre nostalgie et excitation. Patti Smith, Sonic Youth, les Boredoms, Grinderman, Anima Collective, Saul Williams… Artistes et public finissent par se confondre. Ils sont tout guillerets d’être là, de se balader dans cette cité où la musique prend tous les droits pour une poignée de jours. Et on est content de les voir s’amuser.

2.  Curtain Raising / Mr Catra O fiel / Rapping in Tehran

Curtain Raising et Mr Catra O Fiel nous montrent respectivement en Afrique ou au Brésil, favelas et bidonvilles, des soundsystems branchés sur les lignes haute-tension. Pour le premier c’est le portrait de chanteurs comme Flavaboy venu de Nairobi pour grimper ou Kampala qui lui a réussi. Dans le second, on suit une star du Baile Funk entre tensions policières, marijuana, plus d’une dizaine d’enfants à nourrir et le quintuple de bimbos à baiser. Andreas Johnsen, petit danois à casquette, les a réalisés tous les deux. Après les images de ghettos insalubres et de danses hystériques, il nous explique que Flavaboy chante maintenant du Gospel. Non pas qu’il ait été converti par les prêcheurs. Simplement, ça rapporte plus. Je me demandais en ricanant pourquoi en plus de la misère, ces pauvres gens s’infligeaient une telle musique. Mais Johnsen n’a pas traîné sa blondeur sous les BPM pour nous ramener de l’exotisme un peu tam-tam: le commerce de la danse, c’est simplement un moyen comme un autre de survivre. Je vous épargnerai les débats de spécialistes sur les nuances hip-hop ou reggaeton du Baile Funk. Les nuances. Hum.
Rapping in Tehran a un peu les mêmes images. Sa petite bourgeoisie iranienne se terre dans des home-studios pour y rapper de la révolte et du sexe. Au-delà du frisson de la transgression, c’est encore une culture occidentale à la fois fantasmée et complètement remaniée, de la haute-technologie dans la poussière.

3. La faute des fleurs

Pour une fois, le style documentaire ne consistera pas à mal filmer des gens passionnants. Vincent Moon suit Kazuki Tomokawa dans un Japon sans néons. Chanteur de folk confidentiel, il boit comme un trou, s’étrangle sur des typhons de guitare et de violoncelle. Il peint aussi, va aux courses et parle de sa découverte de la poésie. Un jeune fan ou un de ses musiciens nous racontent comment il cogne sur les spectateurs indélicats, inattentifs au cri de l’âme. Comment tout juste arrivé à Tokyo, il vendait ses poèmes dans la rue. Tout, du récit de la mort d’un frère à ce fils qu’on reconnait au premier plan alors qu’il le connait à peine, participe à forger un personnage d’un romanesque inespéré. Estampe violente et triste, une belle histoire.

4. Squeezebox

Fellations et bouteilles de bière dans les fesses : Peut-être pas du meilleur goût mais ca réveille dans un tourbillon de boas. Squeezebox, c’étaient les soirées du vendredi au Don Hills. Dans ce club new-yorkais, un punk de travelos, trans, tatas bandait dur dans les 90’s. En directe filiation de W/Jayne County – devenu(e) en ces murs légende vivante- on voit même sa réconciliation avec Handsome Dick Manitoba quelques décennies après leur historique accrochage. C’est aussi l’histoire du New-York de Giuliani, de la chimie urbaine quand on aseptise. De la fête qui meure avec le ligotage des marginaux. On pense à Paris. On croise John Waters ou Debbie Harry, Boy George et Anthony Hegarty; journalistes et couturiers viendront vite à l’épuisette dans ce vivier de perruques et rouges à lèvres. Car c’est plus qu’un revival en résille de Max’s Kansas City. C’est une descendance portant son modèle au paroxysme. Des Dragqueens, certainement, mais à l’héritage bien accroché. Go-go dancers et danseuses, orgies, outrances. Guitare lance-flamme, pour enfiler le punk comme une robe. Almodovar au C.B.G.B quoi, et comme le dit la pancarte : If you can’t handle it, Fuck Off.

5. Alchemists of Sound/ Theremin

Alchemists of Sound nous raconte le BBC Radiophonic Workshop jusqu’à sa fermeture en 1998. Des personnages comme Delia Delbyshire y étaient chargés des effets spéciaux sonores et des génériques de la chaine (du type mythique, à la Dr. Who). On reste ébahi devant l’audace télévisuelle de ces prémices drone, effrayant le spectateur. Derrière ce tube cathodique devenu antre d’innovation musicale, on découpe des kilomètres de bande magnétique, pendants des murs comme des wormtapes. Le séisme de l’arrivée du Moog ou du Vocoder y seront vécus comme un glas, brèche industrielle dans cet artisanat electro-précurseur. On retrouvera d’ailleurs Moog dans le second, nous contant son adolescence de bidouilleur passionné, construisant ses propres Theremin.
Avec la thématique Man/Machine, l’accouchement de la musique électronique est montré sous tous les angles. Elle y est une machine à vapeur, entre orchestre et pop-music, circuits et bois verni.

6. Sun Ra / Harry Partch

Deux chapeliers fous, dont un jazzman qui s’inventa un univers cosmique pour échapper au racisme, plus terrestre. Sa philosophie est longuement délivrée en costume de pharaon. Joseph Ghosn nous assure qu’on retrouve Sun Ra à un niveau subliminal, chez Sonic Youth par exemple. Epatant c’est sûr, mais ses chorus ne m’ébouriffent pas. Ce qui est impressionnant en revanche, c’est la découverte de son groupe… Sa secte ? Des musiciens qui arrivent, partent mais vivent tous ensemble. Dans la même maison, le travail remplace la liberté grâce à la figure oubliée du meneur. Il s’agit de croire à Sun Ra. En son message. En son génie, sa compréhension de la musique qui serait plus profonde encore que celle de Monk ou de Bird. On illumine le rêve collectif par le culte du chef. Le fun par la foi. A partir de là, plus de problème pour justifier le sacrifice de sa vie sociale à l’instrument sans arrêt, toute la nuit. Pas de souci mec, on les portera tes toges et maquillages. Une fois plongé dans le son, plus de doute. Rien d’autre n’existe.
Harry Partch cherche ce genre d’échappée. Ancien hobo, il invente un système de gamme microtonale à 43 degrés, son système de notation et les instruments qui vont avec. Très percussif, étoffé de chorale primitive et stellaire, sa musique coule entre les doigts. Il projette dans les dissonances et des modes oubliés son vrombissement ethno-hypnotique. En plus, Pacôme Thiellement m’a recommandé Fury of delusion.

7. We don’t care about music anyway

Incroyable découverte de bruyants Tokyoïtes. Yamakawa Fuyuki, un micro-contact sur le cœur, fait résonner dans le noir chant diphonique et mur de guitare au rythme de ses battements qui font clignoter des lampes. Et oui. Sakamoto Hiromichi torture son violoncelle, en ponce le pied pour faire jaillir des étincelles, tire des coups de pistolet à billes qui claquent sur le bois. Umi No Yeah gronde sur une plage en combinaison argentée. Ce sont des séquences de concert, de performance, de ville et de décharge mais sans longueurs pour diluer les images marquantes. Les discussions des musiciens restent pertinentes. Le son lui, ne s’arrête que rarement. Ils préfèrent creuser là où la plupart des artistes de 135th Grand Street ne font que déconstruire par manque de moyens. L’épaisseur du son leur semble un réservoir de profondeurs. Ce traitement du bruit comme matériau n’est pas si loin de Harry Partch et autres alchimistes avant-gardistes.

Bonus Track

Une semaine de festival, ça fait beaucoup pour un article. J’ai trop appris pour m’égarer à parler de l’endroit ou du public. Par exemple, je sais maintenant que les films les plus marquants sont toujours ceux que l’on va voir sans enthousiasme particulier ; qu’en regarder plus de trois d’affilé me donne l’impression d’un prolapsus cérébral. Filmer la Musique cafouille parfois sur l’organisation, notamment les sous-titres, souvent absents. Mais il a le grand mérite de dénicher des pellicules aux parcours parfois alambiqués, présentées par des invités en nombre.
Alors j’ai retrouvé une saveur. A force de chercher le grand disque de ma génération sur ma playlist dégénérescente, j’avais oublié. Mon seul objet musicalement générationnel n’est pas un album. C’est Dig ! Du psychédélisme dans une époque que je croyais dévolue au grunge. C’était des freaks, du maudit imprévu.
A Filmer la musique, c’est la même sensation. Six jours devant un Tracks spéléologique, en quelque sorte. De cette éternelle figure du génial inconnu au destin d’égotique asocial, destructeur et occulté, on découvre de nouveaux avatars. On repêche un artiste, un club, un moment qui avait coulé. En fait, on omet toujours un continent ou un angle de rue. Le départ du Point Ephémère se fait donc des noms plein la liste. De quoi se nourrir jusqu’à l’année prochaine – ou cet automne, quand Filmer la Musique s’exportera pour la première fois à Berlin – et sa livraison de bizarreries.

http://www.filmerlamusique.com/

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