Qu'il s'agisse des gothiques portés SM ou des amoureux du disque, le vinyle est une matière qu'on caresse toujours avec envie. Après Alexandre, patron du label Croque Macadam, voici une mémoire vive de la musique : Larry Debay. Défenseur de la contre-culture, il a de la bouteille millésimée, et tient aujourd'hui un magasin : Exodisc, disquaire du 18e arrondissement de Paris.

Contrairement au légendaire Rob Gordon de High Fidelity, Larry n’est ni un vieux con sénile ni un poireau bougon et désabusé. Il suffit de passer régulièrement à sa boutique, au 78, rue du Mont-Cenis, pour constater que c’est un lieu de rencontres et d’échanges. C’est pas pour rien qu’on retrouve souvent le sexagénaire en train de conter une histoire, une anecdote, à des interlocuteurs captivés qui ne demandent jamais à être remboursés. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’Exodisc demeure un des meilleurs disquaires de Paris. Pas d’Elton John ici. Faut dire que Monsieur Debay a vu beaucoup de choses, et côtoyé beaucoup de beau monde.

Allô Paris – Ici Londres

Nous sommes en 1963. Le poste à transistors est une mini-révolution et le petit Larry, âgé de douze ans et dernier d’une fratrie de trois, s’initie à l’achat de vinyles. À la moindre occaz il se taille en Angleterre, là où les gens le « comprennent tout de suite ». Lors de ces séjours linguistiques, il suit des cours le matin puis flâne dans les magasins de disques et les boîtes de nuit le reste du temps. On est en pleine période mods VS rockeurs. Larry passe la plupart de ses étés à Brighton, destination favorite des mods et théâtre de nombreuses rixes avec les rockeurs, immortalisées dans le film Quadrophenia. Ayant des potes dans les deux clans, Larry préfère se rendre au bowling, bien se saper et danser au son ardent du juke-box. Surtout pas jouer au bowling.
Au lycée, il copine avec Klaus Blasquiz, futur chanteur de Magma. Les deux discutent musique sans discontinuer et écoutent la seule émission radiophonique potable de l’époque, Pop Club. À cette époque, Larry est même membre actif d’un groupe qui a du mal à percer face à un marché français méphitique. Faut dire qu’en 1969, les Anglais, eux, peuvent se targuer d’avoir une major considérable comme EMI, qui crée le label Harverst Records afin de promouvoir le rock progressif britannique. Pour Mister Debay, la France est un pays aux traditions littéraires, qui ne fonctionne pas de la même façon que nos amis anglo-saxons. « Toutes nos racines musicales viennent des États-Unis et d’Angleterre, ce n’est pas contre la culture française, c’est un simple constat. » À cette même période, les rosbeefs ont John Peel, nous Maritie et Gilbert Carpentier.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Larry fait alors partie de cette bande d’inadaptés dont le principal intérêt est de se cultiver. Musarder dans les boutiques de vinyles, lire des romans, regarder des films, c’est le quotidien que mènent Larry et d’autres. Le patron d’Exodisc me conseille vivement Ici Londres, un livre témoignage de Barry Miles, acteur de l’époque, et Privilège, un film de 1972 réalisé par Peter Watkins, portant sur la construction médiatique d’une pop star. Ils vivaient la même chose, et avaient les mêmes aspirations. Les rencontres étaient faciles en ce temps-là, Burroughs côtoyait les musiciens, les musiciens croisaient Warhol, Larry Debay traînait avec les graphistes de Bazooka et ainsi de suite. Cette cohésion ambiante est moins significative aujourd’hui, moins flamboyante.

Un disquaire haute fidélité

Aujourd’hui retiré dans sa boutique avec sa compagne Dominique, « Barbe Verte » continue de s’exalter à l’écoute de nouveaux artistes. Ce surnom, il le doit à son ami Marc Zermati, fondateur de l’Open Market et du label Skydog. Au début des seventies, alors que le punk rock montre ses premiers pics, Larry Debay, lui, arbore fièrement une barbe verte et de longs cheveux, ce qui ne passe évidemment pas inaperçu auprès de ces précurseurs.
Son antre est un lieu de rencontres, perpétuant une certaine tradition. Un petit éden qui a survécu malgré une concurrence déloyale. S’élever contre la grande distribution et ne pas plier, un leitmotiv d’envergure quand on sait que Fnac et autres Virgin ont causé la disparition de nombreuses petites enseignes. « On est le pays qui s’est le plus vautré dans la grande distribution », souligne-t-il. Coup de bol, la chute de l’industrie du disque profite aujourd’hui aux disquaires. La monnaie de la pièce, quelque part. « C’est tant pis pour eux, nous on n’a jamais abandonné, ce qui nous donne une vraie crédibilité. » Larry constate une clientèle plus nombreuse et plus fidèle depuis quelques années. Pour la contre-culture, Barbe Verte n’a jamais changé sa ligne de conduite : « J’aime la musique qui fait bouger les lignes. » Par contre, n’allez pas lui faire dire qu’aujourd’hui y a plus rien à se mettre sous la dent. Comme Alexandre de chez Macadam, il porte un regard optimiste sur la scène musicale actuelle. « Depuis 3 ou 4 ans, on a jamais autant ramené de groupes contemporains. » Il cite Electric Moon, un groupe psyché aux longs solos de guitare, ou Dirty Beaches, un mec bridé au son très néo-Suicide. Après toutes ces années, Larry ne semble jamais rassasié, et l’émotion ressentie lors de l’écoute d’un vinyle est toujours intacte. « Moi je reste un gamin, lorsque j’ouvre un carton, que je découvre une pochette cool, je suis tout excité. » Un peu comme un gosse au matin de Noël. Sans l’odeur du sapin.

Exodisc, 78, rue du Mont-Cenis.
Ouvert du mardi au samedi de 12h00 à 20h00

Photos : Florian Sanchez 

8 commentaires

  1. Voilà une série qui mérite de durer longtemps. Je vous propose de l’étendre à des auditeurs lambda, et pas uniquement à des acteurs de la scène musicale. En tous cas, c’est plaisant de lire ces mecs, de voir le rapport au vinyle, de sentir l’amour de la chose…Exodisc rules.

  2. Super article à la hauteur du bonhomme. Une visite à la boutique suffit pour comprendre qui sont Larry et Dominique.
    Pour le coup n’hésitez pas à leur poser des questions si vous êtes perdus ou même cherchez quelque chose en particulier. Ce ne sont pas le genre à vous regarder avec les gros yeux parce que de votre coté vous entamez juste votre odyssée musicale.
    J’arrive souvent en cherchant dans mon bac de de prédilection, y trouve la plupart du temps des disques que je cherche; mais en fait le vrai plaisir quand je viens chez eux c’est la phase de découverte quand le temps le permet et qu’il n’y a pas trop affluence. Au final je repart toujours avec plusieurs disques incroyables que je n’aurais peut-être pas pris la peine d’écouter, ou dont la pochette ne me parlait pas forcément et qui pourtant sont de vrai bijoux. Des gens géniaux et qui font leur boulot avec passion sans aucun doute.

  3. Ancien Parisien parti vivre dans le sud, je ne manque jamais de passer les voir pour un moment de convivialité et, partir avec des disques sublime !
    Cordialement, jmt

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