Avec le temps qui passe et les moments accordés à la musique qui s’effacent, je me rends compte que les surprises deviennent de plus en plus dures à décrire. Comment raconter le disque qui m’a coupé le souffle quand je m’attendais à un énième rond voué à bouffer la poussière sur l’étagère dans la maison ? Peut-être en racontant l’histoire d’un sentiment. Ou le sentiment d’une histoire. Tout ça, c’est à vous de voir. Take care.

L’allumette vient tout juste de s’embraser et l’odeur se répand en spirale dans tes narines abîmées. L’allumette s’éteint et la fumé se propage. À contre-temps, pars avec moi, exploser tout là-haut.

Le moteur de notre bonne vielle caisse chevrote pleins tubes. La seconde a du mal à passer, comme d’habitude. Tous les deux, nous ne voyons pas le bout de la route, or toi, tu peines également à situer l’espace dans lequel on évolue. Tout est sur la brèche, le trip, la bagnole, nos gueules et mes artères. Le temps a passé et nos escapades ne sont jamais les mêmes. La voiture commence à faire son effet, celui qu’on connaît, le tout premier sur l’échelle des pèlerinages tourmentés.

Tu écris, carnet sur les genoux, alors que je me déchaîne pour faire prendre un peu de vitesse à notre tacot. Petit à petit le bruit du moteur s’estompe, le claquement du pare-chocs branlant cesse et le craquement du gravier sous les roues, idem. Juste le vent s’autorise à frapper de sa mélodie nos visages illuminés. On taille cette foutue voix express à vive allure quand je t’entends crier en décalé. Tu es pourtant, comme toujours, juste à côté. Alors, le volant se stabilise, l’infini se dessine et l’on peut fermer les yeux, presque rêver, les rouvrir…

– Merde, tu déconnes ou quoi ?!
– Laisse-moi rire !..

« Regarde la route », conclues-tu en souriant. Ta cigarette se consume vitesse grand V à la fenêtre, quand un morceau de cendre se détache. Un oeil le suit, l’aperçois virevolter dans les airs avant de se faire propulser lamentablement sur le bitume à 120 miles. Tout zigzague, mais nous sommes seuls ici et nous pouvons nous le permettre.

Après dix minutes toutes semblables, s’invite l’impression d’avoir déjà tout vécu de cette virée. Tu parais déçu, mais je fais mine de ne pas comprendre. Tu en demandais sûrement plus, pas moi. Ton sourire tombe d’un coup, tu écris plus lentement sur tes genoux. Au fond de toi, tu as senti que je ne veux pas en rester là. Tout ça, tu t’en doutais. Je me concentre, savourant la cuite de la veille qui se diffuse dans mes viscères. Le coeur bat soudainement trop vite, un rot aigu sort de ma gorge. Tu te remets à sourire, mais bêtement cette fois-ci.

– Arrêtons-nous ici…

En sortant du véhicule, la porte de la voiture claque avec difficulté. On file sur la gauche de la chaussée, à l’intérieur d’un champ sans fin. La nuit se lève petit à petit et, voulant reprendre goût au moment, tu décides de nous faire courir. Le son du frottement de nos shorts sur nos cuisses rythme nos pas en même temps que les tiges des blés fouettent nos mollets irrités. La douleur nous stoppe en quelques instants devant un trou en plein milieu du champ. Rentrer dans ce terrier à échelle humaine pourrait s’avérer stupide, mais idéal afin d’y trouver un zeste de calme. Le racines dansent dans le vide, rattachées au plafond de terre. En levant tes yeux, tu perçois la vie, celle qu’il y avait dans la maison que tu imagines construite au dessus de nous, au milieu des blés. Fatigué, tu sors de ton sac un drap en lin blanc taché d’huile. Ce dernier nous apporte une chaleur adéquate pour entamer une sieste et apaiser les plaies de nos jambes mutilées pas les blés.

C’est alors, au réveil, que tu m’invites à creuser pour embarquer au fond du terrier la musique qui continue d’avancer au loin, dans la voiture, et que les vents nous apportent par moments. Ce brin de folie lié à l’instant et qui ne cesse de faire des siennes, il te convainc d’aller plus loin. Tu fores le sol dix, vingt, trente minutes, peut être plus. Ce travail éprouvant ne t’enlève pourtant pas ton sourire. Mais moi, dans tout ça, je commence à manquer d’air. C’est lorsque que tu t’en rends compte que, sans hésitation, tu opines du chef. Ça sera ta façon de me répondre « sortons d’ici, bordel à queue ! ». Tu creuses une ouverture au dessus de nous, une herbe verte tombe à nos pieds, et un rayon violacé pénètre le terrier. Tu me fais la courte échelle comme si tu voulais que je te pardonne le temps qui s’écoule lentement. N’y pensons plus, car le spectacle est renversant. Devant nous, le sol se courbe vers le centre du monde et la vue s’étend jusqu’aux premières neiges d’une montagne affutée. L’impression de paraître plus grands traverse nos esprits et tu te rends compte sans piper mot que notre champ visuel est décuplé.

-Tu te sens grandi ?
-Oui. Aussi.

« Une photo ! » disons-nous en choeur. Tu le gueules, je le susurre. Tu ris, je souris. Tes mains tremblent et j’imagine d’avance le rendu miteux de la photo au vu des réglages chaotiques que tu effectues sur ton réflex. Ton attitude instable me fascine, ce pourquoi je te laisse faire dans ta démarche. Nous prenons cette photo ensemble. Elle nous montre tous deux, sous-exposés, nous tenant debout sur ce monde arrondi qui pourrait tenir dans la main d’un géant.

– Marche lentement, ne parcourons pas tout d’une traite.
– C’est peut être plus grand que ce que l’on croit.

Nous décidons de marcher normalement. Après quelques jours passés à chevaucher montagnes courbées, herbes folles penchées, bêtes détalant sur des diagonales interminables ou nuages qui nous approchent comme la mort arriverait aux yeux d’un vieillard tombant d’un escalier, nous entendons une douce ligne de E-bow caresser, ou plutôt effleurer, les cordes d’une guitare à peine distorsionnée.

– C’est un concert au loin !
– Je ne vois rien, mais cela semble amusant.
– On court ?
– Non.

Finalement, notre allure estimée à quatre ou cinq kilomètres par heure nous fait arriver à la source  sonore si convoitée en peu de temps. Nous sommes sur un chemin de terre sans fin et le bruit surgit du sol. Stupéfiés, l’idée de creuser encore et toujours à la rencontre du son ne nous rebute pas plus que ça. Toi et moi, nous avons oublié le temps que cette nouvelle étape nous a coûté. Mais au bout de quelques mètres de profondeur, en se penchant au fond du trou, nous apercevons la voiture que l’on avait garée un temps plus tôt.

– Tu sautes en premier ?
– Je saute en premier.
– Descends doucement et tiens-moi les mains.
– Ouais.
– Attache-toi à une racine pour descendre jusqu’à la bagnole.
– Passe-moi en une.
– Voilà. J’arrive aussi. Take care !


La racine éclate, se désagrège et disparaît, nous faisant tomber à plat ventre et bien plus bas sur le capot poussiéreux de cette caisse que nous n’avions auparavant jamais lavée. Respiration coupée, tu me regardes, l’air hagard, et c’est en nous retournant sur le dos que l’on mire la coquille de terre qui s’envole et disparaît, avalée par un ciel clair où quelques étoiles scintillent mollement, mais non sans classe… Un peu comme cette note jouée au E-bow que nous avons suivie si longtemps, pour arriver jusqu’ici.

Quand nous raconterons cette histoire, d’aucun penseront que nous étions dans notre état normal, mais l’on sait se convaincre que la musique nous fait toujours cet effet. Celui qui me colle dans une belle mouise à chaque fois qu’il faut y mettre des mots pour Gonzaï. Toi aussi, tu que sais que ces trips presque oniriques se font si rares ces derniers mois. Je le sens. Car c’est par petites touches qu’ils s’invitent au creux de nos nerfs jusqu’à défoncer nos synapses verrouillées. Voilà d’ailleurs pourquoi on décide de se donner rendez-vous quand on en tient un. Pour ressortir du garage cette bonne veille tire dans laquelle tu avais, il y a dix ans de ça, réalisé un branchement de furieux pour installer ton discman à la place de l’autoradio. Ce voyage est pour l’instant le plus beau de l’année.

– Au fait, c’est à ton tour de mettre de l’essence ?
– T’es vraiment qu’un connard, tu sais…

Explosions in the Sky // Take Care, Take Care, Take Care // Bella Union
http://www.explosionsinthesky.com/

Explosions in the Sky in Los Angeles from The Hirsches on Vimeo.

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