Quand une bande de jeunes blancs-becs s’amusent à trafiquer les codes de la promo standard en publiant un EP à partir de quatre single-clips, ça donne une musique directement inspirée par le cinéma… Et la Contrefaçon dont il est question sera sur scène, toute griffes dehors, aux prochaines Transmusicales de Rennes.

Déjà, si vous décidez de vous appeler Contrefaçon, c’est que vous avez envie de dire quelque chose au sujet de l’authenticité, de votre capacité à tromper le monde et de violer le code de propriété intellectuelle; ce qui quand même fait beaucoup de nos jours. Si vous n’êtes pas intermittents du spectacle – ce que visiblement est bien le cas – vous n’êtes pas en train de bavasser sur l’art et le simulacre et tout ce qui avec, en matière de théories esthétiques. Mais quand même cette précision que l’on trouvera chez Wikipédia (qui semble en avoir fini avec sa dernière grande quête planétaire) : la fabrication, la commercialisation et l’importation d’une marchandise contrefaite sont punies comme un délit de confiscation et d’une amende, outre la destruction des choses contrefaites et la réparation du préjudice. Pas du tout de la rigolade, la contrefaçon.

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Et si l’on veut s’en tenir à la chose musicale, il faut bien admettre que le contentieux en la matière n’a jamais été aussi prospère : la loi du plus fort, la loi de ceux et celles qui ont les moyens de se payer le plus grand nombre d’avocats étant généralement celle qui triomphe. Comme si on était arrivé à un point où la belle histoire de « la copie de la copie » initiée par Warhol et les autres n’était même plus exacte, tant la différence, l’infime différence, comptait dorénavant davantage que les ressemblances objectives. Comme aime le répéter Lukasz Gottawald alias « Dr. Luke », confortablement installé au milieu d’une dizaine de ses grammies, « beaucoup de tracks présentent des similitudes. Mais on n’est pas condamné pour des similitudes. Il faut que ce soit la même chose. Presque, ça ne compte pas ».

Contrefaçon, c’est donc un peu de tout ça : de la destruction, du sens du détail et de la provocation.

Contrefaçon – le groupe – c’est donc le genre d’histoire qui commence à la lisière des genres – cinématographique et musicale mais aussi topographique – avec une caméra qui va enregistrer la pulsation d’une ville tenue pour interdite. On a brièvement croisé un bout de la petite bande à deux pas de la petite ceinture dans ce Nord de Paris qui concentre un peu à tout, que ce soit aux interminables travaux de l’extension du tramway qu’à la poussée friquée du mètre carré ou de l’incroyable marché fantôme de la Porte Montmartre où l’on vend presque à la sauvette des produits de grande consommation quasiment trois fois moins chers qu’ailleurs. Cherchez l’erreur… Effet d’empilement plus que de résistance où chacun persiste dans son truc, Contrefaçon, filme la ville sans vouloir en faire un autographe à Valérie (Pécresse) et Anne (Hidalgo), aux Dames d’Ile-de-France et de la ville de Paris ; c’est une caméra d’équilibristes qui passe sans cesse du petit au grand Paris(ien) ; ou à presque rien. Traverser Barbès, frôler Marx Dormoy en évitant de glisser sur cet éternel rengaine de l’incivilité urbaine, pour laisser apparaître une ville dans ses bouffées de chaleur, fugace et brièvement lumineuse … De ce bord de la ville, la Contrefaçon musicale et vidéaste qui s’élabore en secret n’a d’autre choix que celui de se jeter à l’eau du haut de ses vingts ans et des bricoles, et dans le genre Léo Ferré : Quand on aim’ c’est pour tout’ la vie/Cett’ vie qui dur’ l’espac’ d’un cri/D’un’ permanent’ ou d’un blue jean/ Et pour le reste on imagine. Et on imagine les combines pour tirer de quoi filmer, monter et décorer avec les trois sous gagnés comme employé de bureau ou petite main sur ces chantiers de rénovation des appartements parisiens.

Avant de contre-faire, Contrefaçon fait plutôt office de prolos invisibles, des messagers du brexit de la French. Bêtement ce pourrait être du Rougon-Macquart en version nique ta mère. Mais en fait, pas vraiment.

Pas vraiment une famille non plus, mais un collectif qui travaille dans ce hasard organisé, de l’inspiration et des heures creuses, à mi-chemin de l’image et du son dans cette recherche d’une symbiose affolant le signifiant. C’est toute la question – pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien, pourquoi ça voudrait dire quelque chose plutôt que rien – dans la mesure où tout a un peu été dit, que l’histoire doit tenir dans un format de quelques minutes, qu’elle doit être partageable par le plus grand nombre. Dire quelque chose qui ait du sens avec des images pensées comme vecteur de découverte de la musique, l’impulsion neuronale touchant à la sensorialité d’un Miles Davis composant direct sur les images que lui projette Louis Malle, son « Ascenseur pour l’échafaud ».

KitzTout ça pour dire qu’on démarre ici sans filet. Pas d’école de cinéma mais une occupation du terrain très physique ; des sauts de puce entre Val de Marne, Seine Saint-Denis et, finalement, ce bout du XXème arrondissement qui plonge dans le XIIème, du côté du cours de Vincennes., là où bricole ce qu’ils appellent une « communauté », des gens qui se connaissent depuis longtemps, bien mélangée mais quand même ; dans cette rudesse de petit blanc pauvre qui cherche à prendre son envol technique. « Faire un truc qui tient vraiment la route ». Sous-entendu : « voyez ce que l’on peut faire » d’approfondi, de raffiné et d’alerte ; avec ce qu’ils appellent des idées (on parle du Stress de Justice, des clips de Mylène Farmer  : dans les deux cas la musique est facile à faire mais avec les images là il y a de l’idée. Les références en vrac ? James Cameron (pour le scénario de Strange days), Nicolas Winding Refn pour le white trash de Pusher, Jonathan Teplitzky pour l’inspiration technologique de Burning man;  et la ballade meurtrière des Ardennes du Néerlandais Robin Pront qui fait pulser sa Gabber dans le mouvement même des images. Bon, c’est d’abord un délire technique mais, n’est-ce pas cela le cinéma ? Du matériel et un scénario : ici, le projet de raconter et donc d’écrire une histoire à plusieurs, quatre clips étalés sur le second semestre 2016 jusqu’à ce qui serait la sortie d’un EP, après une intronisation en live aux prochaines Transmusicales de Renne où le groupe promet du gros son.

Sur le papier, c’est bandant, cette idée de coudre la musique avec l’image, d’embarquer le public dans un arrière-monde de quasi-réalité virtuelle, comme une réponse compulsive qui affolerait les logiciels de traque rachetés par Spotify, genre Truffle Pig, ce genre de fouineurs qui tentent de planter de la musique pile poil avec ce que les gens sont en train de faire… Précisément l’inverse de ce qu’il se passe ici où non seulement on s’adresse à des gens dont on ne sait rien mais dont on attend justement une réaction par définition imprévisible. On pense à l’esprit de contagions sombre et épileptique du collectif La Horde qui lui aussi part de rien sinon des profondeurs d’une ville dans laquelle on ne s’introduit que par effraction.

Marginalité ? D’accord, et elle tient aussi à cette difficulté à entrer dans les grandes catégories média – hip-hop ou electro – qui renvoie en miroir notre naturel politiquement correct. Pas évident d’expliquer que l’on ne va pas s’en tenir à la novlangue d’un hip-hop français que l’on respecte pourtant foncièrement (on parle de Vald pour son univers graphique et de Julius, fils d’un ex Ludwig von 88). Ni oublier que la « french touch » – on a beau retourner la chose dans tous les sens – ça ne sonne pas vraiment « égalité des chances ». Et de conclure sur une cruelle indifférence envers tout ce qui de près ou de loin ressemble à de la représentation politique. Entrer dans l’arène média, c’est plutôt façon Gladiators dans l’idée que l’accès à la reconnaissance, ce qui permettrait de continuer à financer les projets, est loin d’être un fleuve tranquille, surtout lorsqu’on emprunte des chemins détournés (« on en a passé des heures à traîner sur les voies désertes de la petite ceinture ») , le choix de s’éloigner du single sans pour autant re-entrer dans un concept album et laisser apparaître ce qu’internet a finalement entraîné après avoir réduit en poussière les anciens formats : des hybrides de séries musicales greffées sur de fausses chaines Youtube où dégoulinent à grande vitesse des images qui jouent à cache-cache avec des ayants droit sourcilleux : la marque Philips qui gère l’image de la Tour Eiffel éclairée et tous les autres, ceux qui réclament comme s’ils avaient fait profession de réclamer et d’interdire. Que faire alors sinon contrefaire ? Commencer par ne pas demander la moindre autorisation et squatter directement sur les soi-disant propriétés privées de la bande passante. Se lancer donc et expérimenter un peu de ce qui ne remonte pas encore en haut de page. Et après, on verra.

En concert aux Transmusicales de Rennes le 3 décembre.

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