Pied de nez ou clin d’œil à la (dé)fête de la musique, voilà que Gonzaï organisait ces jour-ci le retour de the Married Monk, petits copains de Yann Tiersen mais surtout rescapés des années 90 et du label Rosebud. Une bonne occasion pour faire le grand ménage de printemps, petits papiers à l'appui, sur l'un de leurs membres, Étienne Jaumet : un esthète du clavier, un mec qui refuse toute étiquette pourvu qu’on le laisse faire son bonhomme de chemin. Portrait d’un homme-orchestre à l'approche du nouveau disque de Zombie Zombie. Et généalogie d’une rencontre.

Bon ça y est tu t’es bouffé le chapô, donc si tu lis ces lignes, c’est que les premières laborieuses n’ont pas entamé ta curiosité, qui porte — je n’en doute pas une seconde  — plus sur le mec dont je vais te parler que sur le petit ego qui aligne ces mots. Mais bon faut s’y faire, mon gars, tu vas te taper du « je ». Un peu de singulier au service d’un mec très particulier.

Le 30 janvier 2009, entraîné par un rentier sous méthadone qui se fait passer pour un éditeur, je me retrouve dans les loges de l’Élysee-Montmartre pour le Club NME. À l’affiche ce soir-là, l’oublié Vicariouss Bliss et les inoubliables Zombie Zombie. Après avoir pillé le frigo comme tout petit con qui se respecte, je fais la cour à une trentenaire, visage triste et jupe écossaise. Entre deux bisous dans le cou, elle m’explique qu’elle préfère les filles. Las, je repars en quête de trophée et shoote dans un carton. Oh, des tee-shirts de Zombie Zombie. Allez hop, j’en glisse deux sous ma canadienne, à l’abri des regards indiscrets. Mais je croise celui d’un type bourru, Étienne Jaumet. Il sourit, amusé. Je rentre aussi fier de moi que de ma bêtise. La rue Maubeuge est la plus belle avenue du monde ; je me promets de vivre, oui, mais ivre. À jeun.

Novembre 2011, je recroise Étienne Jaumet à un anniversaire dans un de ces bars de la rue Oberkampf qui ressemblent à tous les autres. Le mec est assis en face d’un saladier de ti-punch, une pinte entre les mains, qu’il tient comme un calice. Il ne me parle pas des tee-shirts, je lui parle avec la maladresse qui m’est coutumière de sa musique, de cette hypnose, de cette ivresse sobre. Il reste évasif sur la suite de Zombie Zombie, mais semble okay pour une rencontre dans son studio.

Une semaine plus tard me voilà au Point Éphémère, la nuit est tombée à 17 heures. La façade est recouverte d’un hommage à DJ Medhi. Je me promets de ne plus jamais monter sur une mezzanine en verre. Je rentre, me perds dans les couloirs, et trouve le studio de Zombie Zombie. Étienne Jaumet se retourne à peine et marmonne : « Bouge pas, je finis un truc et je suis à toi. » Les sons se répercutent sur les murs recouverts d’affiches de concerts. À l’œuvre derrière son laptop, il finit un remix du titre Babar de Part Company.
Il est là à faire l’inventaire des synthétiseurs et autres machines qui remplissent la pièce et lui permettent de fabriquer ses propres sons, ces textures si particulières. Je m’extasie devant la TR-808 et le Moog 55, tout en essayant de savoir lesquels de tous ces câbles gagnent entre les rouges, les jaunes et les verts. Ah, je crois que c’est les bleus. Ah non, je l’ai compté deux fois celui-là. Et puis merde. Il propose de s’installer en terrasse. Visage bougon sous un chapeau en feutre marron, son regard tente de fuir le cadre imposant de ses grandes lunettes rectangulaire alors qu’il enfile son Perrier. Jaumet, c’est avant tout une gueule. Un peu de celles qu’on peut croiser dans les films d’horreur, celle du pompiste un peu louche, finalement innocent. Le cinéma de genre, il l’apprécie à sa manière, rendant un hommage remarqué au réalisateur John Carpenter avec son groupe Zombie Zombie. La suite, ce sera en octobre, toujours chez Versatile, avec Joakim aux manettes ; il la promet cette fois étonnante, difficile d’accès mais pas absconse. Ce sera toujours avec Cosmic Neuman, parti en tournée depuis de nombreux mois avec son autre groupe, Herman Düne.

Bouche délicate, une voix qui caresse, un rythme qui surprend. Les propos, eux, étonnent : « Dans la musique, il y a deux sortes de personnes. D’un côté les entertaineurs, des personnages comme Katerine, Brigitte Fontaine. Puis il y a les autres : les musiciens. Sauf que les premiers sont destinés à être vite déchus. » Ses premiers pas de musicien remontent à l’enfance. Il apprend le saxo à la fanfare municipale, un seul et même prof pour tous, il loue le concret de cette approche. Le saxophone demeure son instrument fétiche, que l’on retrouve dans nombre de ses productions. Je pars sur la théorie selon laquelle ce serait le seul instrument à la fois vaginal et phallique, ce qui pourrait expliquait sa disgrâce. Lui regrette qu’il soit « toujours utilisé de la même façon très caricaturale dans les 80’s, avec le solo langoureux. » Pour Jaumet, les passages obligés se révèlent souvent dispensables.

« Je suis énormément chanceux, quand j’étais jeune je ne m’imaginais pas faire carrière, je ne me voyais pas capable d’être musicien, pas assez doué pour jouer pour les autres… » Il fait des études d’ingénieur du son aux Lumières, et puis la musique prend le pas. Il rencontre Gilbert Cohen, alias Gilb’R, chantre de la scène électronique française et patron du label Versatile. Retracer la carrière de Jaumet, c’est retracer leur amitié. Comme ce coup de poker opéré par Gilbert : envoyer un e-mail à Carl Craig, pape de la techno de Detroit, qui prendra en charge la production de l’album solo de Jaumet, « Night Music ». Inspiré par le krautrock, le bel Étienne vit un rêve de gamin en jouant avec le guitariste Richard Pinhas, figure française du genre, membre fondateur de Heldon et disciple de Deleuze. Ils partagent tous deux ce goût pour la littérature de science-fiction, et notamment Philip K. Dick. Étienne assume la filiation et apprécie l’approche de l’aîné, porté sur l’improvisation. S’affranchir des codes imposés, tel est son leitmotiv, lui qui se dit inspiré par les jazzmen, avide de leur liberté. Des libertés, il en prend avec l’orchestre de musique contemporaine qu’il a formé pour interpréter les pièces symphoniques de John Cage. Sur le fameux silence de 4,33 minutes, il martèle « c’est génial, ça développe l’écoute ». Aborder les choses en dilettante, avec enthousiasme, pour rechercher sans cesse l’émotion.

De ses études, il garde ce goût pour le son, le perfectionnisme de la production : « Le son a un effet physique sur nous. Si on a inventé la musique c’est qu’elle correspondait à un besoin corporel, à un gène, un réflexe. Les gens désirent la pulsation, ça réveille peut-être des choses liées à la libido. » Sa musique froide et impérative provoque la danse, cette expression verticale d’un désir horizontal. Lui se refuse à toute intellectualisation de sa musique. Comment ne pas lui donner raison ? Ne serait-ce pas le comble d’un musicien que de s’écouter parler ? Modeste, il se retranche derrière les machines, le cœur à l’ouvrage.

Bah alors, tu as cru que j’étais parti. Que je te laissais seul avec Jaumet. Ce soir, je le retrouve après des mois de procrastination, à empiler les propos rapportés sans trop y croire, avec de grandes idées qui ne tiennent plus une fois la clope terminée. Et puis boum ! Étienne Jaumet cultive l’art du contrepied. Il me revient avec le seul projet dont il ne m’a pas parlé : the Married Monk. Allez viens, on est bien bien bien. J’aurai un tee-shirt Zombie Zombie pour toi, comme ça on aura le même uniforme. Et si tu ne viens pas, tu attendras religieusement octobre pour acheter ou voler leur deuxième album chez Versatile. Promis, après ça, je ne dirai plus jamais « je », plongeons dans l’illusion du « nous ». Rien que pour lui.

http://www.myspace.com/therealzombiezombie
Illustration : Caroline Andrieu 

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