On résume souvent à tort le psychédélisme aux drogues ingurgitées par des rockeurs analphabètes vivant reclus dans les montagnes avec des vêtements en peau de chèvre, là où leurs confrères urbains préfèrent se biturer les gencives à la pinte avec des jeans souvent trop serrés et des mélodies moins folles. Tout cela est un peu vrai. Mais derrière le folklore pour touristes peu coutumiers des chansons de huit minutes composées sous l’effet de pilules non remboursées par la sécurité sociale, on trouve aussi des groupes pratiquant la jam cosmique comme d’autre le fitness après le boulot, avec assiduité et passion de la sueur. Et autant vous dire qu’Eternal Tapestry fait parti de ces sportifs d’un autre genre.

Complètement sous-estimé depuis leurs débuts en 2005, du moins de ce coté de l’Atlantique, les Américains d’Eternal Tapestry n’ont pourtant rien à envier à la concurrence niveau tapage nocturne et rites ancestraux. Il serait ô combien facile de taper sur la concurrence pour les remettre en avant, voire de dire à quel point le revival psyché peut s’avérer fatiguant avec des arnaques telles que les Allah-Las, mais bref, la discographie compliquée – cinq albums en six ans, d’autres disques gravés sur CD-R ou même sur cassette… – des gars d’Eternal Tapestry n’explique pas tout du silence qui les entoure. Pour mieux comprendre pourquoi ces bucherons de Portland n’ont jusque là pas eu le succès qu’ils méritent, mieux vaut se contenter de dire que la musique pratiquée par le groupe n’est pas accessible au premier venu, et qu’une part de leur folie dépassant souvent les 7 minutes au compteur est difficilement transposable sur disque. Après tout, on n’écoute pas le tremens delirium venu de l’espace comme on supporte un radio édit d’Hanni El Khatib, et surtout pas en beurrant ses tartines.

La pochette du dernier album d’Eternal Tapestry, « A World Out Of Time », est à ce titre plus éloquente qu’un long discours. Fantasme d’une vie extra-terrestre pour cinq types qui n’ont plus vraiment les pieds sur terre, envie d’un peu de dépaysement avec des tenus d’Incas fraichement sortis d’une publicité Jacques Vabre, longs morceaux qui ne respectent en rien les formats classiques – qu’il s’agisse de durée, de rythme ou de carcans commerciaux – et qui, à la manière de Faust pratiquent souvent le collage et le cut-up si cher à Burroughs. Moins bordélique, mais pas forcément plus digeste, que ses prédécesseurs, le dernier disque en date d’Eternal Tapestry s’avère être une bonne porte d’entrée pour le novice attiré par le raffut ; sorte de cours de rattrapage pour ceux qui auraient raté les délires composés jusque là dans le brouillard opiacé, « A World Out Of Time » résume en huit chansons toute l’étrangeté du groupe, capable de débuter par un When I was in your mind de douze longues minutes où l’esprit de CAN est puissamment invoqué, puis d’enchainer avec un Planetoid 127 faisant autant penser à du Sun Ra qu’à une démo du Pink Floyd, avant d’embrayer avec un Alone Against Tomorrow qui vire braquet sur le Velvet des origines, crade et malsain. Bref, on n’est pas là pour vous faire la visite du musée pièce par pièce, mais si on peut dire sans trembler qu’Eternal Tapestry a bien révisé ses classiques, leur disque extra-terrestre ne s’embarrasse pas de séparer le blanc des couleurs, tout y est régurgité sans les formules de politesse et le long bœuf, visiblement enregistré en une prise – et encore – donne presque le mal de terre.

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Evidemment, tout ceci ne nous explique pas comment Syd Barrett s’est cramé la cervelle ni pourquoi les musiciens psychédéliques tels qu’on les voit sur les photos presse en kaléidoscope finiront tous un jour comme les Indiens dans des réserves, disposés à se faire photographier par des trous du cul amateurs de sensations fortes pour le prix d’un ticket de tombola. Ce que « A World Out Of Time » nous raconte en revanche, c’est qu’il est encore possible de vivre le rêve américain pour pas cher sans avoir à revivre le passé par procuration en se paluchant sur un concert  du 13th Floor Elevators via une fenêtre Youtube. La chronique de ce disque arrivant à sa fin, on se contentera d’ajouter qu’Eternal Tapestry reste, avec White Hills, The Entrance Band, Wolf People et quelques autres, ce qui se fait de mieux au rayon du psychédélisme contemporain. Après ça, ne reste plus qu’à se tresser des nattes comme Pocahontas et faire bruler de l’encens, histoire de deviner dans les volutes le visage de Timothy Leary, Sitting Bull ou Youri Gagarine.

Eternal Tapestry // A World Out Of Time // Thrill Jockey
http://www.thrilljockey.com/thrill/Eternal-Tapestry

En concert le vendredi 3 mai à la Maroquinerie avec Lumerians et Steeple Remove, plus d’infos ici.

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