Mashup mythologico-étymologique : le troll est une créature surnaturelle peu amicale voire dangereuse pour l'homme et qui pratique, pour se nourrir, la pêche à la traîne. Son opposition féroce à l'humanité et à ses dieux fait de lui un cousin lointain du Maldoror de Lautréamont. Ca ne vous a pas échappé : plus ça va, plus les trolls se plaisent sur « gonzai.com ». Moi, je suis d'avis que c'est plutôt bon signe et puis je les trouve attachants, ces mecs.

Allez hop, en bande-son de ce qui va suivre, le Trollin’ des Stooges de « The Weirdness ».

Mon dépucelage trollien eut lieu dès la publication de mon premier papier pour Gonzaï. Il causait protopunk et l’expression « Dole Queue Rock » figurait dans son chapô. Premier article et premier commentaire ; j’étais tout chose et le gars balance simplement : « L queues @ l’Air——– ». Une vanne un peu cryptée mais surtout toute pourrie, et sortie du chapeau si vous me permettez. Car, à l’évidence, mon déniaiseur n’avait lu que les phrases liminaires écrites en gras. Certains trolls sont ainsi faits : « légers » papillons, ils butinent sans contrainte et sèment leur pollen sans trop se faire chier.

LE TROLL EST UN INSECTE

J’eus les honneurs d’un second troll pour ce modeste papier. « Très Drôle » était son blaze et son post à lui était autrement plus chiadé. Ça disait : « Le classe moille pavillonnaire s’extasie encore devant la fureur joviale du rebelle sans cause. Le punk ? Une affaire de grosse paire ». Là, y a pas à dire, ça avait de la gueule. Mais, ce qui intéressait ce troll-là n’était pas la teneur de l’article ; il souhaitait titiller l’auteur. Il avait dû tout lire, en avait déduit mon âge et par suite tiré des conclusions sur ma condition sociale et l’état de mes valseuses. Certains trolls sont ainsi faits : mouches tueuses hérissées par l’enflure supposée des scribouillards, ils cherchent des plaies où pondre leurs œufs.

Un peu plus tard, j’ai écrit un papier sur Iggy Pop. Comme ce dernier avait eu l’impudence de frayer avec la pub, « prêtant » sa bouille et sa dégaine de vieux keupon fatigué à des campagnes pour « Leboncoin » ou les « Galeries Lafayette », ça s’est déchaîné. J’ai ainsi eu droit à des gondolades sur fond de « Sosh » (pseudo du troll bien trouvé : « La Chose »), « Aldi » et autres « Carglass ». Dans ces commentaires, dont vous avez bien saisi l’angle d’attaque, il n’y avait bien sûr rien sur les forces ou faiblesses du morceau chroniqué, rien sur les qualités artistiques du monstre sacré qui en était à l’origine, et moins que rien sur l’intérêt ou la vacuité des maigres mots que j’avais pondus. Certains trolls sont ainsi faits : abeilles au dard affûté, ils fondent sur leur proie en nuée et piquent en ricanant là où ça fait mal.

LE TROLL N’EST PAS UNE MOUCHE À MERDE

Auteur dilettante pour Gonzaï, j’ai produit une poignée d’articles entre mon tout premier et celui sur l’Iguane. Aucun n’a été trollé et je dois avouer que ça m’a chagriné. Je suis un lecteur assidu du site pour qui « seul le détail compte » et je voyais bien que les papiers de ses fines plumes attiraient les trolls comme la peau tendre et sucrée attire les moustiques. Car les trolls sont ainsi faits : qu’ils soient lépidoptères, diptères ou hyménoptères, ils sont polarisés par la lumière.

Pendant cette étrange traversée du désert, lisant les articles des Bester, Love, Potiron et consorts, je me repaissais aussi des posts de leurs trolls. J’ai en ces occasions découvert des trolls vindicatifs, prêts à en découdre, des trolls volontairement hors sujet, parlant de ce qui leur plaisait, des trolls qui, tels des sphinx aussi facétieux qu’énigmatiques, lâchaient des sentences mystérieuses, et plein d’autres espèces encore. Le pays des trolls est peuplé de hordes sauvages et protéiformes de sales gosses.

LE TROLL EST UN MAL POUR UN BIEN

Il faut bien parler du pouvoir de nuisance des trolls. Il est tel que j’ai vu des auteurs pourtant aguerris de Gonzaï perdre leur sang-froid et se laisser ainsi prendre dans leurs filets. « Don’t feed the troll ». Mais leur plus haut fait de guerre est que les commentaires « sérieux » ont peu à peu déserté les pages digitales de votre webzine préféré au profit des leurs, jugés semble-t-il infréquentables. Constat amer, en vérité, tant la conjonction du congru et de l’incongru peut donner des métissages chatoyants. Mais positivons. L’afflux de trolls est plutôt bon signe pour Gonzaï. J’ai dit et je redis donc que les trolls s’épanouissent sous les projecteurs. S’ils sévissent ici et maintenant, c’est que cet « ici » et ce « maintenant » sont sous les feux de la rampe.

Être néanmoins pudique et pas à une contradiction près, le troll se cache derrière un pseudo qui lui, pour le coup, annonce souvent clairement la couleur. Parfois ordurier ou machiste, il peut aussi être transgressif, carrément marrant, voire poétique. Il est ainsi, dans la plupart des cas, à l’image du post dont il est l’étendard. Mais séparons le bon grain de l’ivraie. S’il est avisé de ne pas faire cas des noiseux et des béotiens – toute population a son contingent de cons – pourquoi bouder le plaisir que procure la lecture des commentaires décalés, déroutants et parfois savoureux des rebelles, des humoristes et des poètes ? Pourquoi ne pas goûter à la prose burroughsienne des « radio londoniens », qui aiment coder leurs messages au point de les rendre incompréhensibles ?

Dans le film de Cocteau, Orphée passe ses journées dans la voiture d’Heurtebise, à écouter la radio : elle seule peut capter une fréquence inconnue, où sont diffusées des phrases pour le moins sibyllines. Elles ne sont pas plus lourdes de sens pour lui que pour le commun des mortels mais, sans tenter de les déchiffrer, il en perçoit l’essence poétique et les note pour les reprendre plus tard à son compte. « Le poète a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon », et fait son miel des délires hertziens des trolls de 1950.

LE TROLL A LA GAULE

Le jour du deuxième tour des élections présidentielles, Gonzaï a publié en Une un papier au titre bien gaulé : « Votez Charles de Goal ! ». Un troll s’est fendu du post suivant : « Message personnel : les oiseaux au zénith sont morts de faim. Je répète : les oiseaux au zénith sont morts de faim ». C’est pas beau, ça ? Je vous laisse deviner à quelle espèce de trolls appartient le responsable de cette trouvaille. Attention, si c’est un combo, il se peut qu’on ait affaire à un troll hybride. Si vous avez la réponse, laissez un commentaire, ahah.

Sérieusement, je garde cette espérance d’un retour au bercail des commentateurs conventionnels (ce n’est pas un gros mot), qui ferait de la rubrique « COMMENTS » de Gonzaï une auberge espagnole bigarrée où se côtoieraient les trolls et les elfes, les rageux et les pondérés, les gros sabots et les chevaux légers. Et si ce papier (qui sera, je l’espère, copieusement trollé) et ma devinette à la con servaient de déclencheurs ? « Il est permis de rêver. Il est recommandé de rêver ». Ainsi donc, bon trollin’, les trolls, et bon « Pokémon Go » à la sauce troll, les autres.

LE TROLL TE FILE LA PÂTÉE

Laissons jeûner le troll qui mord la main de celui qui le nourrit, et faisons par contre bonne chère de ses menaces sourdes, saillies drolatiques ou élucubrations poilantes. Cocteau avait prophétisé cette stratégie oblique dans sa vision onirique de « Radio Londres » évoquée tantôt. « Le poète a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon, et le futur est son royaume ». Il y a peu, alors que j’avais écrit un sujet sur une vieillerie musicale, un troll m’a prodigué ce conseil : « dont listen OµLµD, listen FµUµTµRµE » (cryptographie approximative, il manque un « Uµ »). C’est ce que j’ai fait, et ce troll nourricier me permet aujourd’hui de chuter comme suit.

Très chers trolls qui furetez sur « gonzai.com », allez sur Youtube pour jeter un œil aux commentaires du Mask Off de Future et prenez-en de la graine. Un fan en pâmoison a dû écrire une connerie du style « cette chanson me donne envie de faire l’amour au sommet de l’Everest » et c’est parti en vrille. « Cette chanson me donne envie de vendre mes fringues pour m’acheter une machine à laver ». « Cette chanson me donne envie de me teindre les cheveux dans leur couleur naturelle ». Il y en a des kilomètres de ce tonneau, mais mon préféré est : « cette chanson me donne envie d’enfiler mes chaussures avant mes chaussettes ». Ça, c’est presque digne de la poésie surréaliste des Chants d’Isidore Ducasse.

J’ai bien dit « presque ». Eh ouais, petit troll prétendument pourfendeur de Dieu et des hommes, n’est pas Maldoror qui veut.

 

6 commentaires

    1. Les fans en général, c’est quelque chose, je crois. Et, au passage, ton papier sur U2 aussi, c’était quelque chose.

  1. C’est marrant, le premier commentaire. Cocteau, dans « Le Sang d’un poète » : « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus… ».

  2. « Les chevau-légers chargent les lépidoptères », je répète : « les chevau-légers chargent les lépidoptères ». Je rajouterai même : « sous le regard inquiet des hyménoptères installés sur les colonnes du temple diptère ». Vont-ils réussir à brancher ces colonnes ?
    S’ils ont tous deux quatre ailes, la grosse différence entre les lépidoptères et les hyménoptères reside principalement dans la bouche :
    le lépidoptère dispose de pièces buccales en forme de trompe, donc il s’agirait plutôt d’un insecte suceur,
    alors que la bouche de l’hyménoptère est munie de mandibules. Il pourrait être assimilé au broyeur Balt-Olog.
    Ces chevau-légers arriveront-ils à décaler les sons que débitent leurs bouches ?

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