Un « trip tease » pour une mise à nu de l’envers de la came filmée à la seringue, c’est un peu la promesse de ce film que je m’en allais découvrir un peu avant tout le monde. Où la projection devait-elle avoir lieu ? Vers Pont de l’Alma, Avenue Montaigne, Rue François 1er avec les Champs à proximité ; un endroit qui tient moins de la décadence – quoique – que de l’appel au crash…

en-pays-cannibaleOutre cette blague toute sauf princière, c’est en arrivant sur les lieux du crime que je me prends une première claque major. Ce que je prends comme un film indé va être diffusé dans une salle de projo’ « Universal ». Pendant que cette réalité s’immisce douloureusement, je tombe en manque. Il me faut du tabac pour affronter ce putain de quartier où je n’oserais même pas m’offrir de sandwich. Je comprends alors comment il est possible de manquer alors que l’on a tout devant les yeux. Un quart d’heure plus tard et pourtant trente minutes en avance dans ce nid de vipère, je suis nauséeux : les prix, les fringues, les gens. Allez, « lumière, action ! ». Ah non, pas encore.

La salle est bien entendue louée par le distributeur du film puisque l’endroit et ses installations sont classes. Elles le sont tellement que je me fais refouler de partout. La cour intérieure ? « Ah non, vous ne pouvez pas, c’est réservé au personnel d’Universal ! ». « D’accord madame, alors je vais simplement attendre et m’assoir sur ce siège… » « Ah mais non désolé, vous ne pouvez pas rester ici ». « Mais ce n’est pas un accueil ? » « Si, mais non, pas pour vous ». Heureusement pour moi, c’est le moment que choisit Odille, l’attachée de presse pour arriver et me laisser accéder à l’antichambre de la projection. C’est pour moi l’occasion de réfléchir un peu sur ce que je vais voir et me rappeler mon rapport artistique, tout en subjectivité, à la drogue. Burroughs – le conspirationniste qui déteint sur moi – Ellis et Thompson en tête avec Welsh pour boucler le tableau. Au ciné, la drogue est un foutu sujet casse gueule. Une grande partie de ceux qui se reposent essentiellement sur cette thématique finissent par passer à côté quand d’autres, Tarantino et ses plans de seringues et de cuillères en tête, parviennent à en disséminer des échantillons réussis dans leurs films. C’est peut-être convenu – et un scandale – mais seuls deux films me restent vraiment en mémoire : Trainspotting et Fear and Loathing in Las Vegas d’un Gilliam qui est paradoxalement autant mon père que mon enfant[1].

« Kerouac, Burroughs, Fante, Bukowski, Selby Jr,… », les références littéraire du réalisateur au casting d’inconnus, Alexandre Villeret – oui, le fils de Jacques – sont en tout cas les bonnes (et coïncidence, un peu les miennes). Mais le noir et blanc ainsi que la décadence peuvent-ils aujourd’hui être autre chose que convenus ? En tout cas moins que cette musique assourdissante digne du dernier – quel idiot, c’est la même chose depuis le premierPirate des Caraîbes qui provient de la fin de la projection précédente ? Une foutue gueule de bois, une sensation de manque et une impression de « no future » généralisée, c’est un peu ce que je ressentais en arrivant. Une heure trente plus tard, c’était exactement ce que ce film avait illustré, avec défauts, mais aussi avec brio.

En pays cannibale, c’est l’histoire du délire mégalomaniaque d’un jeune dealer qui demande à l’un de ses potes et à un jeune perchiste à peine tombé de l’école de ciné de le suivre dans son quotidien. « Godard, c’est comme Besson », dixit Max, le personnage principal. « On se met en scène, tous ! Sept milliards de voyeurs, pourquoi pas moi ? » Un film, rien de plus facile, on verra ce qui se passe, tant pis si c’est pour chroniquer l’apathie générale, l’indifférence la plus absolue et que personne n’en sort grandi.

Dès le générique, on pense à Fincher, Fight Club et Seven quand images chocs et générique énervé se confrontent à l’électro. Et ça, déjà, pour un film français, c’est rare. Un bousculement initial pour un film au rythme saccadé, un trip filmique fait de descentes, d’euphories et de phases de blues. Alors forcément, parfois on s’épuise, on décroche presque mais inexplicablement, on se fait à chaque fois embarquer de nouveau pour cette succession de portrait de gueules, scénettes crues parfois jouissives, parfois inoffensives, souvent pas aussi cinglantes que l’on aurait aimé, mais pour un film qui parvient cependant à nous éviter les regrets.

On prend pourtant peur quand dès le début du film il semble que la sombre destinée du dealer soit liée à la perte de son père (et l’on se hurle en silence « Pas cette foutue « filiation » s’il vous plait… ») avant que l’écueil ne soit évité bien plus tard par un événement qui nous fait penser : « ouf, balle au centre », pour la première fois dans de telles circonstances. Tolérance pour cause de premier film ? Peut-être. Mais si des défauts sont là, que les personnages manquent sûrement de consistance, de passé ou d’avenir – et pour cause heureuse, tout se passe en 48h – et que certaines situations semblent n’être que des prétextes (une romance passablement superflue par exemple) servant à justifier de nouvelle descentes qui n’atteignent jamais totalement les bas-fonds pourtant promis, on garde l’impression d’avoir vu quelque chose de différent.

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Un réalisateur bourré d’idées, un scénariste qui touche parfois très juste dans ses dialogues pour un film qui, s’il reste parfois emprisonné dans des clichés, a le potentiel de rejoindre quelques glorieux aînés qui ont su devenir cultes en sous-main pour des générations entières (pour le principe du faux documentaire et le noir et blanc, nombreux seront ceux qui le compareront à C’est arrivé près de chez vous  ou à La Haine par faute d’autres exemples).

Qui est vraiment cannibale à la fin du film ? Tous ceux qui sont prêts à se jeter sur les déjections de son voisin, c’est-à-dire tout le monde. Ce n’était pas une autopsie du monde de la drogue, mais plutôt la chronique d’une dégénérescence festive, et tant mieux. Facile, maladroit et paradoxalement habile. En ressortant et sur le trajet, j’y pensais encore, au point que je n’ai même pas envisagé de cracher une nouvelle fois sur le quartier. Je crois que c’était un bon présage…

« Je vois la crasse et la misère anonyme. J’ai festoyé du monde comme le monde s’est repu de moi ». Saint Max, livre 1.

Ps 1 : Ne soyez pas surpris si dans quelques semaines, les lobbies de « bonnes familles » montent au créneau sur la classification des films à cause d’En pays Cannibale. Le film a en effet reçu le label -12 alors que le -16 était espéré (et légitime). En bref : drogue, viol plus que suggéré, plan de pénétration montré au premier plan,… Si après ça vous n’avez pas envie d’y jeter un coup d’œil…

Ps 2 : En bonus, quelques brefs morceaux de discussions de critiques cinéma présents avant que la séance ne débute : «  Ces derniers temps j’ai vu beaucoup moins de merde que prévu ». « J’ai vu Oblivion, mais je ne m’en rappelle déjà plus », « Ah ouais, ce film là c’était une adaptation ? Mais je n’en savais rien… ». Ne me jetez aucune pierre, même polie, ce milieu est beaucoup trop compétent pour rivaliser…

Alexandre Villeret // En pays cannibale // Sorti en salles le 26 juin


[1] Ndlr : des années de recherches sur le bonhomme laissent forcément quelques séquelles. C’est ainsi que le rédacteur arrive fatalement pour la séance en sifflotant Brazil.

2 commentaires

  1. « …Burroughs – le conspirationniste qui déteint sur moi – Ellis et Thompson en tête avec Welsh. »

    Putain, on dirait une liste de commissions pour la supérette. Ok, c’est bien, mais Jerry Stahl, J.R Helton, Eric Miles Williamson ou Tony O’Neill ont écrit des livres ces dernières années aussi, hein.
    Et la citation du Gilliam en vo, y a pas à chier, c’est la classe.

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