Nos villes sont des constructions collectives, des lieux qui ne tiennent que parce que nous le décidons, parce que s’y trouve là une confluence d’intérêt. De là, la ville est un objet paradoxal, à la fois artificiel et en même temps organique. Comme tout organisme, la ville peut mourir et peut muter. Que dire par exemple du Paris en plastique de Jean-Pierre Jeunet ou d’Olivier Dahan, un Paris à faire hurler de rire quiconque a jamais mis les pieds dans le ghetto pour über-riches qu’est Montmartre, mais un Paris qui s’exporte et qui se vend en gros à tout ce que le monde compte de touristes étrangers, la tour Eiffel, le moulin rouge, la ville lumière…

parisleurrecoverLes éditions Inculte ont ouvert une collection d’essai sur la Ville qui compte deux volumes. Des textes courts à mi-chemin entre le reportage, l’essai critique et la dérive urbaine. Paris est un leurre de Xavier Boissel s’intéresse à ce projet conçu à la fin de la 1ère guerre mondiale, projet de construire en dehors de Paris une réplique de la ville pour tromper les bombardiers ennemis. On fait le tour de cette idée assez folle, à une époque où les avions ne disposent pas de radars, de créer une illusion optique, un dispositif lumineux qui viendrait imiter les lumières de la Gare de l’est ou de la place de l’Opéra. Mais pour Boissel, le projet est aussi un prétexte. Muni de quelques vagues informations, il part à la recherche des vestiges de cette installation, autour de Paris, entre des terrains vagues et des magasins Ikéa. L’enquête crée un distance entre ce Paris fictif et le Paris dans lequel nous vivons, ville simulacre.

Projet el Pocero d’Anthony Poiraudeau est une enquête du même type, une traversée surréaliste de la ville d’El Quinon, une ville construite dans les derniers temps de la bulle de spéculation immobilière qui a conduit l’Espagne au chaos. El Quinon est à la fois un symptôme économique et le projet mégalomane – on peut y loger 20.000 personnes – d’un self-made-man exilé depuis en Afrique. Si la plupart des villes fantômes sont des villes abandonnées, El Quinon a la particularité de n’avoir jamais été habité. Malcommode, située dans un lieu difficile d’accès, d’un accès difficile aux ressources en eau, il s’agit presque d’une ville monument ou une ville mausolée, de ces lieux conçus pour rester vide, comme une ruine par anticipation.

pocero_coverLes deux essais s’inscrivent dans la longue tradition d’écrit, qui de Walter Benjamin à Mike Davis, s’emparent de la ville pour penser le réel. Ils s’appuient d’ailleurs sur cette généalogie pour aborder leurs objets. Pour ceux qui sont familiers avec des enjeux devenus classiques, l’apport théorique restera secondaire. On reste aussi un peu frustré par le travail iconographique des cahiers d’images qui n’apportent que peu d’éléments dialectiques, supports assez pauvres d’un texte qui pourrait s’en passer. C’est finalement dans ce qui échappe que les ouvrages puisent leur force et leur intérêt. Le retour du texte de Boissel vers le Paris contemporain, comme le vertige Antonionien du texte de Poiraudeau provoquent un vacillement sensible. Lorsque, par l’écrit, par l’expérience de l’auteur, ces lieux presque abstraits émergent du texte, c’est notre rapport physique à la ville qui est déstabilisé. On se rappelle alors combien il serait dangereux de croire en une ville qui ne serait qu’une idée.

Paris est un leurre, éditions Inculte : http://www.inculte.fr/Paris-est-un-leurre
Projet El Pocero, éditions Inculte : http://www.inculte.fr/Projet-El-Pocero-Dans-une-ville
Paris, capitale du XIXe siècle, éditions Allia

 

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