Le film Eden qui sort ce mercredi revient sur la période techno French Touch. On pensait avoir affaire à un film qui glorifie cette jeunesse dorée 90's, pour nous vendre des compiles et des hors série Daft Punk-Cassius. On avait tort. Car en plus d’être plus le grand film musical que la France ait réalisé à ce jour, Eden est aussi le plus grand film techno depuis l’apparition des boîtes à rythmes.

J’avais très peur avant de voir ce film. La peur de se retrouver devant un film français raté avec tout ce que cela implique de maniérisme : des histoires d’amour pour gens qui s’emmerdent dans des appartements haussmanniens à la lumière feutrée et à la moquette épaisse. Avec en arrière-plan un mec qui fait semblant de mixer les bras en l’air, New Balance aux pieds, vodka pomme à la main. J’avais tort. Complètement tort.

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Pour son quatrième long métrage, la réalisatrice Mia Hansen Love a choisi de raconter la vie et l’expérience de son grand frère, Sven Love, DJ et organisateur de soirées qui a vécu tout ce cirque French Touch aux premières loges. Un mec très right place, right time.

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Le film Eden n’est pas un documentaire donc, mais une fiction qui suit une bande de jeunes Parisiens qui découvrent la culture électronique, et se retrouvent au milieu d’une révolution culturelle. Le film dure près de deux heures et s’articule en deux parties. La première raconte les soirées en appartement avec Daft Punk, les premières raves, les premiers ecstasys, le côté bande de potes, l’achat des premières platines, les nuits blanches à sortir, les voyages à New York. Dans la seconde, beaucoup moins drôle mais plus pertinente, on assiste à la gueule de bois du héros. Quand la mode passe, que les dancefloors ne se remplissent plus, quand le business débarque pour remplir le tiroir-caisse. Et puis la cocaïne, beaucoup de cocaïne. Le succès n’est plus au rendez-vous : parti des soirées aux Champs-Elysées, le protagoniste du film se retrouve à mixer dans des mariages. En trame de fond : les interdits bancaires, son addiction à la coke. Le personnage de Sven Love, joué par l’acteur Félix de Givry, se réveille un matin la trentaine passée dans son petit studio d’étudiant aux murs remplis de flyers jaunis, complètement déconnecté de la réalité. Ses amis se sont mariés, ses ex ont eu des enfants. Très intelligemment, la mise en scène de Mia Hansen Love distille au fur et à mesure les gosses et les poussettes qui font leur apparition à l’écran. C’est aussi de ce toujours difficile passage à l’âge adulte dont il est question ici. Grandir avec ses passions, être fidèle à ses idéaux.

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Film de deux heures vantant l’amour de la house music avec justesse et empathie, Eden est une sorte d’OVNI cinématographique voué à l’échec. D’autant plus qu’ici on parle de techno. On voit même des mecs mixer et tripoter les bons boutons sur la table de mixage. Ne rigolez pas, c’est très important ce genre de détails. Dans Eden, on parle aussi de communion, on parle de s’abandonner, de vivre une culture comme les Mods ou les Punks avant eux. Une des scènes les plus dingues est certainement celle où le duo d’acteurs est assis devant un ordinateur antédiluvien et passe en revue les différents kicks de la boîte à rythmes, note les différents presets sur un papier, et compare les sons avec un air sérieux et impliqué. Ca, ça n’a jamais été montré à l’écran avant. On assiste avec cette scène à la création d’une culture, une culture qui se débarrasse du rock à papa, une culture pop nouvelle.

La force d’Eden, surtout, est de ne pas tomber dans les clichés des films avec la musique pour prétexte stupide à une histoire d’amour ou une intrigue policière par dessus. Ici, aussi surprenant que cela puisse paraître, la toile de fond C’EST l’amour de la musique.

Concernant la culture techno, on se sent toujours obligé de jouer la carte du thriller ou du drame, le plus souvent sur fond de rave party. C’est le cas des films One Perfect Day de Paul Curri, 24 Hour Party People de Michael Winterbottom, Danny Wilde le faux documentaire anglais très Spinal Tap de Michael Dowse, Clubbed to Death de Yolande Zauberman ou dernièrement Les Paradis artificiels du brésilien Marcos Prado. Mais c’est aussi le traitement très british des films franchisés d’Irvine Welsh, comme Human Traffic, Trainspotting, The Acid House, où le tout est bon pour nous servir du Chemical Brothers sur des scènes de défonce. Dans ces films, la dope y est envisagée et traitée avec une esthétique grotesque proche des cartoons de Tex Avery.

Non, les grands films techno sont à chercher ailleurs, du côté de l’introspectif, du côté dope, comme Enter The Void de Gaspar Noé, ou encore le très rare et complètement halluciné Amsterdam Wasted de Aryan Kaganof en 1996. Un film où même la pellicule semble avoir été trempée dans de la MDMA pure sur une B.O orientée gabber hollandais fluo. À cela on peut rajouter les films pédés MTV sous ecstas comme le Nowhere de Gregg Araki. Le film Eden, enfin, nous donne à voir une réalité pas très glamour de cette période où les Français faisaient la couverture des magazines anglais.

Le fric c’est chic

eden afficheMia Hansen Love montre la déliquescence de l’esprit de communion house des débuts : le dj joue d’abord dans des fêtes illicites au même niveau que les danseurs, puis les années passent, on le met sur une estrade, puis il monte encore plus haut, dans des cabines dj, au-dessus du public. Pour finir dans les derniers passages du film, à un dj qui joue de la musique assistée par ordinateur dans un club huppé de la capitale où plus personne ne danse.
Avec le recul, il est curieux de noter que le mouvement French Touch, malgré son côté Respect faisons la fête tous ensemble était surtout la fête à la coke. Réécoutez les productions ultra speedées de l’époque, qui tournent à 140bpm en moyenne, pour vous en convaincre. Bien sûr, avec la sortie de ce film Pedro Winter est déjà prêt à surgir du placard avec un tee-shirt vintage Rage Against The Machine acheté à un prix d’or dans un pop-up store du quartier de Shibuya. On va aussi nous ressortir ces héros bourgeois versaillais, leur révolution musicale qui s’est traduite par du clubbing qui pue le pognon avec les Nike huarache jaune fluo aux pieds. Ils vont nous faire chier comme avant eux la génération des Enfants du rock qui s’accrochent à leur statut et à leur patrimoine.

L’ hygiène sociale caractéristique à ce mouvement musical très parisien est aussi très bien montrée dans le film, et pas du tout glorifiée. C’est un point important, car cette révolution house n’a servi au final que de rampe de lancement de ce que l’on peut appeler maintenant la house de droite. Le film s’attache à ce point : les videurs à l’entrée, « toi tu rentres, toi tu rentres pas », l’apparition du coin VIP. C’est un mouvement musical qui a commencé dans les raves illicites gratuites pour finir dans les clubs à champagne avec une carte gold. L’hygiène sociale, c’est ce qui a fait le plus de mal à la culture techno. Si tu ne rentres pas dans les canons imposés par un établissement ou des organisateurs, tu ne peux pas prendre part à la « fête ». Les portes du paradis te restent closes. Et soudain tu es chassé du jardin d’Eden.

Mia Hansen Løve // Eden // En salle le 19 Novembre 2014.

Pour les parisiens en New Balance : la galerie 12 Mail propose une carte blanche à la photographe Estelle Hanania et l’écrivain Angie David qui donnent leur vision du film. Du 18 au 21 Novembre 2014 : http://www.12mail.fr/2014/08/eden/

13 commentaires

  1. J’aimerais faire mon gros troll english friendly et pas trop client la de french touch, si vous me le permettez. 24 Hour Party People recourt certes à quelques effets scénaristiques classiques, genre drame ou thriller ; d’un autre côté les gens dont le film raconte la vie ont vraiment traversé des histoires de suicide, de trafics, d’arnaques quasi criminelles et de gros problèmes avec le grand banditisme. La coke en appartements haussmaniens sur Superdiscount apparaîtra probablement très cliché aussi à certains Rosbifs, quand Eden sera projeté en UK.

  2. « Comme un mauvais « Retour vers le futur », on a du mal à se parachuter dans les 90s de cet Eden, paradis, ô combien artificiel. »http://www.culturopoing.com/cinema/sorties-salles-cinema/mia-hansen-love-eden

  3. Ouaip c’est sur que raconter les freeparty du coté d’Orléans dans un champs de bouses en bouffant des mauvais trips c’est moins glammour c’est sur, et pourtant ça eût exister.
    bon j’irai voir quand même le film par amour de la musique…

  4. Serge Coosemans, one point for you, j’ai omis Berlin Calling avec Paul Kalkbenner(qui s’appuie sur une grosse trame pas terrible ,une histoire d’HP et de rapport avec son docteur ,dans mes souvenirs).. Xanaé : j’ai pas bien saisi tes arguments sur les « hipsters vingtenaires » ^^ bisous

  5. Ouais, Berlin Calling est assez artificiel, presque un remake de Vol au-dessus d’un Nid de Coucou sous ecstasy. Je pense sinon que Human Traffic n’est pas non plus dénué de qualités documentaires. Malgré sa trame de comédie romantique, ça sent quand même bien le vécu en matière de montées, d’afters, d’excitation pré-club, de descentes, etc…

  6. Oui. Concerant Eden, oui ce film à quelques imperfections qui peuvent être irritantes, mais pour avoir réussi l’exploit de mettre la culture garage au premiers plan, avec des vrais macarons de vinyles Westbound records, des mecs qui achetent des fanzines,apparition de Tony Humphries , Arnold Jarvis, etc..Il ne faut pas bouder notre plaisir, au contraire..Le constat, Serge Coosemans ,je pense qu’on est d’accord sur ce point, c’est que cette culture à toujours été sous-représenté.Combien de films « Rock » comme Velvet Goldmine, Almost Famous, Control, Not fade Away.Si on se pose et qu’on fait le compte, des film techno, il y en 3 ou 4 à tout casser.

  7. Une dizaine, je dirais, mais je suis d’accord sur le fond : c’est complètement sous-représenté au cinéma et c’est aussi assez courageux d’avoir fait Eden. J’espère même que ça va un peu marcher et accélérer le projet de Laurent Garnier, dans lequel je me reconnais musicalement à priori plus 🙂

  8. Une dizaine, je dirais, mais je suis d’accord sur le fond : c’est complètement sous-représenté au cinéma et c’est aussi assez courageux d’avoir fait Eden. J’espère même que ça va un peu marcher et accélérer le projet de Laurent Garnier, dans lequel je me reconnais musicalement à priori plus 🙂

  9. Je peux râler sur le « RoLLand » (un seul L c’est mieux) ? Sinon je suis un peu perplexe sur les Daft qui ferait le pont entre Chicago et NY à travers leur dernier album… Leur album est avant tout un hommage aux gros studios américains des 70s, au son disco rutilant etc. En un sens leur musique est maintenant presque plus proche de Fleetwood Mac (au moins dans ses ambitions) que de Marshall Jefferson. Rien à voir avec ce qu’est la house à mon sens au départ, c’est à dire du disco désargenté où les machines dans des homes studios minimaux remplacent Jeff Porcaro et Niles Rodgers dans des studios à 10 000$ la journée. Bien entendu la house garage a gardé beaucoup plus de racines soul, gospel, disco etc. mais elle n’en est pas moins pourvu de cette espèce de violence propre aux machines, ce groove mécanique et presque bancal, totalement hypnotique. Après ce n’est qu’une interprétation personnelle sur un détail d’un article que je trouve par ailleurs fort intéressant, et je pense retourner de suite écouter Davina 😉

  10. On est d’accord pour Fleetwood Mac, meme si je ne te cache pas que je ne vois pas le rapport avec le dernier album de Daft Punk et du film Eden..a moins que tu ne fasse reference, dans ton clin d’oeil a Davina, a la VRAI french touch old school: celle du generique de Gym tonic par Alain Goraguer..(smiley en New Balance)

  11. Serge, Gérard, arrêtez un peu de vous jeter des frites au visage. L’Eden, il est là, un cadavre enterré à même le sol sur lequel fleurit un cerisier. Et c’est beau d’avoir tort.

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