Avec ‘Le démon des hautes plaines’, Domotic fait la part belle à un scénario kafkaïen : c’est l’histoire de la Bande Originale d’un film qui n’existe pas. Enfin si, qui existe, mais qui n’est pas diffusé, et dont le synopsis est à la hauteur de la musique qui l’accompagne : quand un western régionaliste post nouvelle vague rencontre les instrumentations aquatiques d’un François de Roubaix chelou, ça donne un disque cinématique, fait à la maison et en un mot comme en cent, domotique.

a3495265672_10Domotic, l’artiste, son nom n’est pas personne. On l’a déjà aperçu rasant les couloirs, incarnation modeste de ses différents projets, de Centenaire à Karaocake en passant par Egyptology (un nouvel album est bientôt fini) en passant par un disque solo (« Fourrure Sounds ») publié en catimini chez Antinote l’année dernière, signé de son vrai nom, Stéphane Laporte, qui fait évidemment moins rêver.

La Bande Originale dont il est aujourd’hui question, publiée chez Clapping Music en collaboration avec le label suédois Tona Serenad, n’arrange pas vraiment nos affaires. Non pas que ledit objet soit complexe à appréhender, mais encore une fois, comme toujours avec l’œuvre de Domotic, il faut s’éclairer à la lampe torche. Majoritairement instrumental quoique ponctué d’hululements empruntant autant à la musique d’illustration d’un documentaire des profondeurs sur Cousteau qu’aux plaines désertiques sublimées par Morricone, « Le démon des hautes plaines » doit sa double originalité au fait qu’alors que le film éponyme n’est, à l’heure où s’écrivent ces lignes, pas vraiment sorti, l’album censé l’illustrer est, pour sa part, lâché dans la nature. Autant le dire, le pitch de cette aventure ubuesque, c’est un peu n’importe quoi. Digne d’un…

B.O. bordel

Tout commence voilà quelques années, cinq pour être exact, quand Tom Gagnaire, alors membre de Karaokake et fan de cinéma, a l’idée d’un script où des cowboys batifoleraient dans les contrées vertes de Haute-Loire. De fil en aiguille, et sans beaucoup de tissu à broder, le tournage finit par se mettre en place avec peu de moyens, voire pas de moyens du tout, avec dans le rôle du chef d’orchestre le mystérieux Domotic qui pour l’occasion ressort des cartons une poignée de morceaux déjà composés comme la bande son d’un film qui n’existe pas encore (sic).

Quelques jours avant le début du tournage du Démon des hautes plaines, Domotic est chez ses parents et, normal, se fait chier. Il enregistre « des trucs un peu crades » et pour ça se rabat sur les quelques instruments à sa disposition, une vieille guitare acoustique jouet offerte à son père par le comité d’entreprise Haribo, un vieux valiha désaccordé récupéré dans le garage des voisins ; tout ça avec pour seuls repères les quelques bribes d’infos sur un film qu’il n’a, bien logiquement, pas encore vu. « Ce que j’aime dans les B.O., ce sont les déclinaisons, les variations sur le même thème » me confie-t-il. Moi je lui réponds qu’à l’écoute de la B.O. on voit un doo-wop aquatique. Lui semble sceptique, le doo-wop aquatique, il ne sait pas ce que c’est. Moi non plus. Mais des morceaux comme A la poursuite de Ringo ou Entrainement du sheriff et de son adjoint, en plus de fonctionner indépendamment des images, ont l’effet relaxant des laxatifs après l’indigestion de trop de B.O. composées à la truelle par des musiciens subventionnés. Doo-wop aquatique, mine de rien, ça plante le décor. « C’est peut-être à cause du traitement, j’avais tout enregistré avec du matos assez mauvais, il a fallu tout repasser dans des cassettes, des bandes, des trucs, pour filtrer. Fallait instagramer la musique ». Lui donner une âme, un corps, un battement de cœur.

Pour la beauté du geste

Au fait, il sort quand le film ? « Il est pas sorti ». Ah mince, mais il va sortir ? « Non ». Bon, soyons bien conscient que l’histoire du Démon des hautes plaines est un film en soi. Une fois mis en boîte, ça se corse pour l’équipe de tournage. Faire des objets culturels, c’est facile pour Domotic et ses copains, mais les vendre, c’est Rio Bravo. « On l’a finalement envoyé à quelques festivals mais si t’as pas un producteur, ils regardent même pas ton truc et pour le sortir en salles, il faut que les gens aient été payés… donc on en est là ».
Là, c’est autour d’une platine vinyle, avec cette B.O. d’un film invisible mais inséré à la main dans la galette de Domotic sous forme d’un DVD, pressé à 100 exemplaires. Sur la forme, ça ressemble un peu au ticket d’or de Charlie et la chocolaterie. Musicalement, et sur le fond, c’est un western vu de loin, un remake de Fort Alamo attaqué par des Indiens myopes. « Je connais genre deux B.O. de Morricone qui font un peu western, du coup et comme j’ai pas une connaissance encyclopédique de la musique comme Olivier [Lamm, son compère lettré chez Egyptology] je fais du western un peu clichesque. Et puis c’est un western qui n’en est pas un : certes c’est une histoire de cowboys, mais ça se passe en Haute-Loire… »

Et pour quelques dollars de plus…

Pour peu qu’on le bouscule, Stéphane, aka Domotic, s’excuserait presque d’être là. Dans le paysage musical actuel, il a pourtant toute sa place. Tel un artisan de poterie, le Parisien fabrique dans la discrétion. C’est une vertu rare, c’est l’élégance des talents qui ne vous cassent pas les couilles tous les matins avec un morceau à peine bon à illustrer la remontée mécanique des chiottes – de la musique de merde, donc.

Domotic1-471x471Comme le rappelle Michel Polnareff dans Kamasutra, « quand la poussière aura effacé nos pas, que la lumière ne viendra plus d’en bas, ceux qui viendront visiter notre ici-bas, ne comprendront pas ce qu’on faisait là ». Mais ça ira. Chez Domotic, cet absolu qui dépasse l’intéressement, ça s’appelle simplement la conviction. Ca débute à l’enfance avec un clavier Yamaha sur lequel Stéphane s’entraîne, cherchant à retrouver les mélodies de son enfance comme le thème de Manon des sources à l’harmonica, découvrant plus tard la guitare, la batterie ; déjà, la persévérance en chambre capitonnée. Avec la certitude inébranlable, à la limite de l’irrationnel immaculé, que les choses ne seraient être autrement, et ce même si, vingt ans plus tard, « la musique ne rapporte pas d’argent et que chacun de mes morceaux postés sur Soundcloud est écouté par cent personnes ».

A défaut d’avoir accès à la gloire universelle, nous voilà donc entré dans l’ère des gratifications personnelles. Parce qu’on a beau prendre le problème dans tous les sens, ne reste que ça. Les disques de Domotic, hélas, ne font pas exception. Un à un, ils sortent, mais vendent peu. A la rigueur, on est tenté de dire que le propos de la musique commercialisée n’est même plus d’être vendue, mais de tracer une ligne claire démarquant la médiocrité lasse de l’obstination. « Moi je suis dans la démarche de l’entêtement, convaincu qu’un jour ou l’autre ça va marcher ; le cas d’Etienne Jaumet est assez admirable, le mec a galéré pendant des années mais il a continué à tracer son chemin et un jour, ça a fini par marcher ». La besogne camarade, un truc qu’on apprend souvent passé la trentaine, à un âge où d’autres tentent leurs chances à l’Euromillion ou dans un contrat à durée indéterminée en open space. Domotic, lui, gratte des disques. Autant de bons numéros.

Domotic // Le démon des hautes plaines // Clapping Music
https://clappingmusic.bandcamp.com/album/le-d-mon-des-hautes-plaines

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