Je n'ai absolument rien à foutre de Dominique A. Sa musique m'inspire la nécessité de cinq fruits et légumes par jour, soit un certain ennui teinté de politesse urbaine, quelque chose qu'on dit sans jamais le faire. Dit comme ça, c’est un peu rugueux. Un peu trivial même, de débuter ce papier sensé vous vanter les mérites d’un plan séquence de 20 minutes avec un chauve dans le cadre en débitant tout un tas de saloperies sur ce chanteur qui m’a toujours fait penser au bruit du ressac sur les plages de Normandie avec une femme moche qui se noierait au loin. Les histoires d’A finissant toujours mal, peu de chances que ma rencontre avec Dominique se termine autrement.

Avec un tel préambule, vous allez certainement vous demander comment j’ai pu m’embarquer dans ce square par une nuit d’hiver à poser des questions à Dominique A. Sa musique, son esthétique ou l’aura qui l’entoure, rien ne me touche. Cette manière affectée de bêler comme un Julien Clerc qui aurait écouté Sonic Youth, le plébiscite des quarantenaires qui refusent de s’avouer qu’ils vivent tous dans les coulisses d’un film d’auteur français – menus végétariens, cinéma du samedi soir, Télérama feuilleté pendant la bande annonce, ce physique de tête de pioche inexpressif, tout me porte à croire qu’on pourrait trouver au cœur de sa discographie les raisons du suicide collectif chez France Télécom. « Ne quittez pas vous allez être mise en relation avec votre correspondant ».

Les blagues « allo à l’huile », ça n’a jamais été son truc à Dominique. Pour le joindre – ou plus précisément l’atteindre, il faut souvent attendre des plombes. Des années. Une éternité à ronger son frein sur un accord en ré mineur. D’ailleurs le garçon fête ses jours-ci ses vingt ans de carrière. Forcément, son label a mis les petits plats dans les grands et dépoussiéré les étagères pour retrouver quelques bricoles inédites à refourguer sur les étales, soit une intégrale contenant rien de moins que ses huit albums tous doublés d’un deuxième disque d’inédits de l’époque de l’album. Autant vous dire que dans la pyramide des tortures, il y a la mort par écartèlement des membres, la pendaison en survet’ Adidas, la lecture ininterrompue des mémoires de Valéry Giscard d’Estaing et juste derrière l’écoute de cette intégrale à vous donner envie de vous flinguer avant même que quelqu’un d’autre y pense pour vous.

Mais voilà, Dominique A revient aussi avec un nouvel album, « Vers les lueurs ». 2012, c’est donc son année et avril sera donc le sacre du printemps tel qu’on l’imagine au royaume des borgnes de la chanson française.

Lui n’a jamais vraiment choisi son camp, préférant laisser les autres décider pour lui, lui continuant son bonhomme de chemin sans single ou presque, sans pochette tapageuse ni belle gueule à midinettes. Il y a également ce quelque chose de chiant chez Dominique A, ce quelque chose qui s’apparente à la monotonie et qui parfois, à force de bâillements, finit par faire chanceler. Où on en arrive aux raisons qui me poussèrent finalement à dépasser mon appréhension. Voilà dix ans, pile poil au milieu de sa carrière, Dominique A publiait « Auguri », sixième album où son physique de rocaille coïncidait parfaitement avec la musique desséchée, à l’os, froide comme un lézard cramé au soleil. Le tout produit par John Parish, excusez du peu. Un premier titre était paru sur un Cd sampler des Inrockuptibles, c’était Pour la peau. 2001, chute des tours jumelles et première grosse rupture, ça faisait sens. Coincé entre le Vicious Streak de New Order – grand titre – et le Write my name in the groove de His name is Alive – ça a sacrément mal vieilli ce truc – la voix du stentor s’imposait dans le discman comme l’une des dernières qu’on entendrait sur cet objet devenu depuis relique. Une époque, révolue à bien des égards, où Dominique parvenaitt à s’imposer comme un voisin de chambrée, un peu malade, le genre qu’on est content d’héberger le temps d’une soirée parce qu’il a l’air d’aller encore plus mal que vous. Pour la peau, dix ans plus tard, pas de pot, je suis toujours pour.
« Auguri », monolithe à part dans la carrière du crane luisant, reste donc cet étrange instant où dépression et solitude copulèrent gaiement pour accoucher d’un morceau sur la petite mort, un drôle de truc où l’auteur s’embarque dans un talk over de 6 minutes 30, quelque chose comme une course effrénée sur plusieurs kilomètres à ronger les barrières de sécurité. Ce soir là, ça me semble être une raison suffisante pour faire les cent pas dans un square à la nuit tombée avec ce chanteur dont je n’aime véritablement qu’une seule chanson. Pas de questions impertinentes, pas de scoop et un bide à l’horizon – « Dominique triple A, on te l’a déjà faite ? » – « Oui des centaines de fois » – « Ah merde » – voici donc une interview à emporter[1], sans papier gras ni paillettes où je tente désespérément de placer la seule question que j’ai maladroitement préparé : « as-tu l’impression que, comme Alain Juppé, la calvitie t’empêche de conquérir le cœur des Français ? ». Fidèle à sa réputation, Dominique A est impérial, drôle et généreux. Et pour le reste, ça me semble aussi long qu’un album de Dominique A. Vous voilà prévenus.

Réalisation : Rod du Hiboo
http://dominiquea.com/ 


[1] Petit clin d’œil à nos confrères de la Blogothèque

11 commentaires

  1. Je comprends ta frustration. Qu’est-ce qu’on voit, sur cette vidéo ? A gauche, la force tranquille (logique, ah ah), les mains dans les poches, la tête sur les épaules. A droite, un mec embarrassé par son sac et ses questions mal assumées, l’esprit ailleurs (genre : « Putain, est-ce qu’il me reste de la purée pour les cotes de porc que je dois manger ce soir avant qu’elles soient périmées demain ? Bon Dieu, que j’ai faim, et froid aussi !»). Je suis sûr que si vous aviez trouvé des boules pour faire une pétanque avenue Jean Aicard (c’est là que vous êtes, hein ?), la boule chauve t’aurait mis la rouste, Boss. Ah, autre point : n’empêche respect. Le mec, il est modeste, humble et tout et tout (« impérial », truly !). Je l’avais vu pour la sortie de « Remué », dans une salle de ciné à Trappes reconvertie à la one-again en salle de concert (en plus, il avait deux jours là = vive le tourneur), on était 5 à tout casser, il devait déjà avoir presque 10 ans de carrière, c’était un peu-beaucoup super-tristouille, mais il avait fait le job, un bon concert, de l’humour, du gros son (c’est vrai, en concert, il donne). Je me suis toujours demandé combien de personnes étaient venues pour le concert du lendemain… Le pire, c’est que trois jours après, il était à l’Olympia, et c’était complet. Paris VS Banlieue… Ah, décentralisation quand tu nous tiens ! Dernier point : pour l’anecdote, me too je l’ai toujours un peu confondu physiquement (et wallonnement) avec Jacques Bonnafé.
    @+
    PS : « Peter Garrett ??!!! Ah, Michael Stipe !!! » = mythique.

  2. Evidemment, c’est un peu dur, mais je me suis bien poilé à la lecture…
    Perso, je trouve qu’il a sorti de bons disques, singuliers en tous cas dans le paysage chanson, comme « La fossette », « La mémoire neuve » ou « Remué ».

  3. Je suis d’accord avec Madonna Summer in the City, ces trois albums sont vraiment bien. C’est marrant que tu ne bloques que sur cette chanson d’Auguri, et de tous les autres albums de DA. Rien que sur celui-là, Je t’ai toujours aimée vaut bien Pour la peau. Vas-y réessaie quand même, pour voir.

  4. Il est vrai que j’ai pas mal écouté « Je t’ai toujours aimé », aussi. Par mauvaise foi, j’ai omis de le préciser.

  5. Moi j’adore Dominique A, quand bien même il m’évoquerait plus ou moins la même chose (en fait pas vraiment le ressac sur une plage de Normandie, mais une après midi pluvieuse à Nantes en 1986), mais alors pour l’itw un petit threshold sur ton micro Bester ! j’écoute au casque et j’entends ton souffle dans le creux de mon oreille, c’est super gênant.

    Dominique A c’est le meilleur par ailleurs. Capable d’électriser l’assistance simplement avec une guitare sèche et sa voix.

  6. C’est un monument national ce type, un arrangeur hors pair, il chante en français, il a sorti un album génial à 24 ans, qui peut en dire autant, il me fait penser à Gérard Manset, et puis il a tellement fait pour la cause des oiseaux, c’est François Villon, du moins sa réincarnation

  7. J’ai bien aimé la partie de l’interview sur John Parish sinon j’ai trouvé vraiment le reste pas très intéressant, excusez du peu… la même impression que me laisse un parisien déboulant sur une plage de Normandie, avec son 4X4, son ciré jaune et ses bottes en plastique, avec en fond une femme moche qui se noierait, excusez du peu…

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