« Je vois la divinité dans des choses ordinaires », disait Diane Arbus à l’âge de 16 ans, en 1939. La phrase résume à la perfection l’œuvre de cette photographe atypique, qui brosse le portrait en noir & blanc d’une Amérique dérangeante, bizarre et pourtant banale.

« Une gonzesse qui photographiait des malades mentaux et des travelos dans les années 60 et qui, à force de côtoyer des dingos, a fini par s’ouvrir les veines. » Voilà, en gros, ce que l’on sait de Diane Arbus quand on a vaguement ouvert deux, trois livres généralistes sur l’histoire de la photographie. Si l’idée n’est pas entièrement fausse, elle reste effroyablement réductrice, et ne saurait rendre justice à cette figure majeure de l’art du XXe siècle.

Plus de 200 tirages – réalisés pour la plupart par Diane Arbus elle-même, aussi douée sous l’ampoule rouge du labo que derrière l’objectif –, sont exposés en ce moment au Jeu de Paume. Pas d’ordre chronologique, pas d’analyses didactiques chiantes. Juste les titres des œuvres, purement descriptifs. Pour laisser au spectateur le soin d’entrer dans la photo, de la comprendre, seul, sans discours extérieur qui viendrait parasiter l’émotion. Une femme marche sur un trottoir, les bras chargés de paquets, avec un regard infiniment triste, poignant. Le titre, Femme dans la rue avec des paquets, New York, 1956, ne nous apprendra rien des raisons de la tristesse de cette passante. Il ne nous reste qu’à ressentir la force de cette image, cette mélancolie que Diane Arbus a peut-être été la seule à remarquer.

« Si je ne photographiais pas ces choses, personne ne les verrait. »

Transformistes, monstres de foire, nains, jumeaux, obèses, trisomiques, naturistes, ou simplement gens du commun, gens croisés dans la rue, gens venus en famille s’amuser tristement à Coney Island, gens comme vous et moi (et surtout comme nos parents)… Quelle différence, au fond ? Où s’arrête la normalité ? Où commence la déviance ? Les photographies de Diane Arbus, portraitiste avant tout – bien qu’elle ait réalisé quelques très beaux paysages – sont l’œuvre d’une femme qui aimait profondément les gens. Quels qu’ils soient. Les naturistes qu’elle photographie exhibent des corps qui, selon tous les canons esthétiques, passés et actuels, sont moches. Pourtant le spectateur sera touché par la beauté qui émane de ces corps imparfaits.

Diane Arbus disait : « Si je ne photographiais pas ces choses, personne ne les verrait. » Ainsi de l’hermaphrodite dans sa roulotte de foire, avec son petit chien qui vient poser son museau sur sa cuisse, signe d’affection simple ; les erreurs de la nature peuvent avoir, elles aussi, un petit animal fidèle, comme tout un chacun. Diane Arbus ne photographie les gens a priori hors-normes, déviants, malades ou difformes, que pour mieux montrer leur côté normal. Ou bien, prenant le contrepied du cliché, elle saura faire ressortir le côté extraordinaire des gens du commun. Comme ce Vétéran portant un drapeau, 1971, dont l’expression exprime à elle seule les horreurs de la guerre, l’absence de foi en la patrie, le profond désespoir d’un homme qui a connu la guerre et qu’on fait défiler en portant « fièrement » le drapeau.

Solitude infinie

Dans les – rares – photos ne représentant pas d’être humain, on notera cet Arbre de Noël, 1963, symbole de fête s’il en est, trônant seul dans une pièce déserte, sapin décoré, des cadeaux emballés à son pied, dans un salon parfaitement en ordre, sans trace d’être humain. Scène où transparaît une solitude infinie.

Ce n’est que dans les deux dernières salles de l’exposition que l’on découvrira une documentation sur la vie de l’artiste. La façon dont elle a fondé avec son mari une agence de photos de mode, travaillant pour différents magazines. D’abord comme styliste, Monsieur Arbus étant seul derrière l’objectif. Puis s’essayant à la prise de vue, se détachant progressivement de l’influence de son époux, développant ses propres projets. À la fin de l’exposition, une petite phrase très simple nous apprend qu’elle s’est suicidée en juillet 1971. On ne saura ni pourquoi, ni comment. Comme pour ne pas attirer l’attention. Pour éviter le sensationnalisme, pour ne pas verser dans ce drôle de culte des artistes suicidés. On ne saura que saluer cette initiative du Jeu de Paume qui, à une œuvre toute en pudeur, a su dédier une exposition fine, et pudique.

Exposition Diane Arbus à la Galerie nationale du Jeu de Paume, du 18 octobre 2011 au 5 février 2012.

3 commentaires

  1. bien sûr que si que l’expo traite le suicide de Diane Arbus, il y a le rapport du medecin légiste! Une amie photographe disciple et héritière de Diane Arbus m’a dit que Diane s’était photographié son suicide. mais alors où son les clichés? mystères et confitures!
    Bravo Sylvia pour avoir stimulé et sensibilisé Gonzai lecteurs et collaborateurs a cette grande photographe de rue.

    A conseiller aussi cette expo à Milan sur Robert Mapplethorpe.
    http://www.wantedinmilan.com/whats-on/15610/robert-mapplethorpe-milan.html

  2. Un truc frappant à revoir les images, c’est à quel point chez Arbus tout le travail de « mise à nu » s’accompagne d’un mouvement contradictoire de déguisement et de travestissement.

    Ce qui est documenté n’est jamais la personne elle-même, mais la nécessité qu’elle a d’avancer masquée. De là ces vêtements trop grands, ces masques, ces poitrines mal rasées, des images toujours prises dans des loges, des coulisses, au moment où l’on se grime pour aller vers les autres.

    Et en plus je cite mes sources:
    http://www.lacritique.org/article-note-sur-diane-arbus

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