Le décès voilà quelques jours de Gérard Pelletier à l’âge de 60 ans marque la fin d’un rêve synthétique imaginé trente ans plus tôt par son groupe Deux, duo synth-pop à la française en avance sur son temps et qui, du coup, n’a jamais connu son heure de gloire. Comme toute une génération de jeunes musiciens semble se réveiller aujourd’hui avec un synthé sous l’oreiller sans pour autant rendre à César ses lauriers, Gonzaï ressort des cartons une interview de Deux, mis en boite voilà cinq ans pour la réédition d’ « Agglomerat ».

Sans avoir à transformer les morts en génie, la musique de Gérard Pelletier avec Deux fait bien sourire, maintenant que plus personne ne se souvient de ce minimalisme synthétique enregistré dans des conditions chaotiques entre 1982 et 1984. Tout cela est d’autant plus tragique qu’une grande partie des groupes montants de la scène française actuelle crèverait sans pudeur en échange de l’innocence des premiers enregistrements de Deux, espèce d’alternative glaciale à la pop neuneu d’Elli & Jacno qui, quoiqu’on en dise, reste aussi sexy qu’elle est inécoutable.
Deux, ce fut tout l’inverse. Ascension fulgurante vers l’indifférence dès les débuts du groupe avec un premier single – Felicita – pressé à 500 exemplaires en 82, le tout suivi d’une cassette 9 titres deux ans plus tard qui ne rencontrera, elle non plus, aucun succès. Après tout le Rectangle de Jacno est déjà loin et tout le monde n’a pas la chance d’être repêché par une pub pour Nesquik. Trêve de bavardage, on est déjà en 1985 et Deux voit déjà ses chances d’exploser se réduire comme peau de chagrin. Plus dure encore sera la chute. Les années se suivent et se ressemblent et toujours pas de véritable disque commercialisé pour Deux, qui devra finalement attendre 2006 pour voir ses morceaux compilés et remasterisé pour un résultat proche – arithmétique quand tu nous tiens – du zéro absolu. Comme l’indique cyniquement la bio du groupe, « et dire que pendant tout ce temps la télé fonctionnait et qu’on la regardait pas »…

Ah bah oui ma bonne dame : en France c’est toujours un peu comme ça, tout arrive tardivement à celui qui n’a plus le temps d’attendre. Décédé loin du brouhaha dans sa maison de Cannes voilà quelques jours, Gérard Pelletier n’aura finalement pas eu le come-back qu’il espérait. A la fois minimale et mélodique, sombre et romantique, la musique de Deux résonne aujourd’hui comme une sonate au clair de lune pour vieux gens mödernes. Moderne comme le groupe du même nom, moderne comme tous les esthètes des années 80 morts du SIDA ou crevés dans le goulag étroit des années 90, moderne comme tous les résurrections post-futuristes (Accident, Alex Rossi, feu Dondolo, Wagner, Lescop, etc) qu’on voit fleurir ça et là, en hommages indirects à ces merveilleux précurseurs que furent Gérard et Cati de Deux. En 2007, le duo s’était fendu d’un questions/réponses pour Gonzaï, qu’on vous livre tel quel tel et sans emballage. Période des soldes oblige, tout doit disparaître. Jusqu’à liquidation.

A l’origine, la musique de Deux tait celle de Gérard pelletier en solo, à quel moment avez vous décidé de vous lancer, d’enregistrer vos premiers morceaux?

Gérard : En 1974, j’habitais en Allemagne à Baden-Baden. Dès l’écoute de « Radioactivity » de Kraftwerk, je me suis décidé à aller à Strasbourg pour y acheter mon premier synthé de recherche. C’est là que tout a commencé. En 1979, je suis arrivé à Lyon. Peu de temps après, j’ai connu Cati, lors d’une soirée, et nous avons parlé musique. Je l’ai invité à venir écouter ce que j’avais composé chez moi et elle a été séduite par ce minimalisme qu’elle recherchait elle-même dans son art pictural. Nous avons alors décidé d’un commun accord de créer notre formation musicale et avons choisi Deux comme nom de groupe. Nom simple et concis, un peu comme le groupe allemand Neu ! de l’époque. Nous ne nous sommes jamais vraiment pris au sérieux, même après avoir fait la connaissance de notre manager François qui a cru en ce que nous faisions.

Cati: J’ai rencontré Gérard à Lyon. J’ai pensé très vite faire de la musique avec lui. Sa recherche était très proche de la mienne. On a commencé ensemble Deux avec une grande application. Ca sonnait juste, ça sonnait chacun d’entre nous.

Si l’influence de Kraftwerk et de la scène électronique allemande des années 70 est évidente, étiez-vous intéressé par d’autres artistes, comme ceux par exemple de la scène new-wave/cold-wave Française de l’époque ou encore par le groupe belge Telex?

Gérard : En new-wave française, j’ai bien sûr aimé Jacno, Les Garçons, Mathématiques modernes, Taxi Girl et autres de la mouvance de l’époque. Je ne connais pas le groupe belge Telex, mais je connais Nacht und Nebel ou Yellow, le groupe suisse. Je pense que Cati est plus puriste que moi dans la ligne du cold et moderne et serait peut être moins indulgente que moi dans le choix de certains artistes.

Cati : Telex, j’aime bien. peut-être un peu trop joyeux. Octobre, j’aime bien le premier album. Charles de Goal c’est ce qui m’a le plus plu en France. Polyphonic Size, Metal boy ou Artefact… Quand on a fait Deux Gérard et moi, j’avais surtout une passion pour Kraftwerk.

Quelle est la répartition des rôles dans le groupe, ou plutôt comment la musique de Deux se construit-elle? Les morceaux sont ils préparés à l’avance ou bien une simple idée (de paroles de thème de sonorité) suffit-elle a provoquer un enregistrement?

Gérard : Les morceaux ont été créés par Cati et moi au feeling d’un son qui nous plaisait et sur une recherche d’ambiance. Je ne pense pas qu’ils aient été préparés à l’avance. C’était plutôt spontané. Le premier jet lancé, nous avons perfectionné la fluidité d’une musique que nous désirions simple et dénudé. Mais rien n’est plus difficile que de rendre un produit simple. Personnellement, j’adore le style dépouillé de Satie. Tout est dit en quelques notes.

Cati : D’une émanation quasi “surnaturelle” sortait claire et minimaliste nos morceaux à chaque entrevue.

Deux ne semble pas avoir jamais été un groupe de live extrêmement dynamique, ou sinon il n’en existe aucune traces disponibles, pourquoi?

Gérard : Le live n’était pas trop notre truc. Et il aurait sans doute fallu embaucher un musicien supplémentaire, donc ça n’aurait plus été Deux, mais Trois… Cependant, il y a quand même eu quelques performances.

Cati: Deux, c’est avant tout une musique d’appartement. Nous l’envisagions et la concevions ainsi.

Pour les puristes, ceux pour qui Roland fabrique des boites a rythmes avant de défendre le col de Roncevaux, quel instruments utilisiez vous sur les premiers enregistrements ?

Gérard : Un synthé de recherche où nous avons créé des drums avec des bouteilles ou autres boites de conserves vides, feuilles de papiers, sprays vaporisateurs, etc.

Cati: De petits pianos en bois pour enfants aussi… et des moulins…

Certaines lignes de basses sont assez complexes, étaient-elles jouées live sur la totalité du morceau ou utilisiez-vous un quelconque moyen pour les boucler, par découpe des bandes peut-être?

Gérard : Les basses ont été créées à l’oreille et au feeling. C’est la partie la plus complexe car au départ, nous n’avons pas voulu les séquencer. A la fin seulement du morceau, et pour donner l’exactitude des mesures, nous avons reproduit les basses en séquences, point par point. Dur travail. Par contre, certains morceaux, comme Paris-Orly, n’ont pas été séquencés pour le respect de l’authentique.

Cati: Point par point oui c’est vrai… je m’en souviens…

Au cours des ans les morceaux se sont enrichis de nouveaux instruments, de nouvelles sonorités rendant le son global peut-être moins minimaliste, on décèle même l’utilisation de samplers, est-ce un choix délibéré ou une simple conséquence de l’évolution sonore inhérente aux années 80?

Gérard : C’est bien entendu l’évolution sonore et l’acquisition de nouveaux matériels qui a optimisé la structure constructive de Deux. Ecoutez « Radioactivity » puis « Computer World » de Kraftwerk et vous comprendrez facilement que l’évolution est liée au temps et à la technique.

Cati : J’adorais ces machines que nous utilisions…

Cati, vous vous consacrez aussi aux arts graphiques, quel est le lien entre la musique de DEUX et vos peintures?

Cati: Il y a une similitude de recherche. Aller à l’essentiel, reproduire ce qui sort de soi avec une exigence du plus exact. Que ce soit avec des sons ou graphiquement.

Myspace a permis a de nombreux jeunes passionnés de new-wave et de musique électronique de découvrir la musique de Deux, quelque chose de mystique ce dégage de celle-ci, son caractère novateur a l’époque l’est toujours autant. Qu’est-ce qui vous a motivé a créer cette page et a sortir l’album simultanément aujourd’hui plus d’un quart de siècle après la création du groupe?

Gérard: Tous ces titres enregistrés au cours des ans sur divers supports magnétiques se décomposaient dans des tiroirs. Philippe (aka Dalek Orphan) a pensé que c’était dommage de ne plus les écouter. Alors on a fait restaurer les bandes endommagées, puis remasterisé le tout. Et puis on a eu envie de faire cet album qu’on avait jamais eu l’occasion de produire. Aujourd’hui c’est plus simple. Surtout avec l’Internet qui permet de se diffuser sans passer par des grosses machineries dont on ne veut pas. La page Myspace a été créée dans cette logique.

Enfin, envisagez vous quelque actualité au-delà de la sortie de l’album? Des concerts peut-être ou un nouvel opus?

Gérard : qui sait ?

www.agglomerat.com
(Propos recueillis en 2007 par Adrien Durand)

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