La période des festivals pointe le bout de sa tongue. L'un des premiers à lancer les hostilités est le This Is Not A Love Song, à Nîmes.

Avant le début de la cinquième édition, nous avons rencontré Christian Allex, co-directeur artistique du festival, pour jeter un coup d’œil dans le rétroviseur.

Vous êtes programmateur pour plusieurs festivals français et Fred Jumel est le directeur de Paloma, la salle qui accueille le This Is Not A Love Song. Comment vos chemins se sont-ils croisés ?

Fred vient de Rennes. Il a travaillé dans pas mal d’assos sur place qui étaient assez proches des Trans. Il est arrivé à Dijon au début des années 2000 dans une salle de concert qui s’appelle La Vapeur . Moi, je suis originaire de Dijon, et j’avais travaillé sur l’ouverture de cette salle justement, et quelques années auparavant je taffais à l’An-Fer, un club où Laurent Garnier était résident. Quand il est arrivé en tant que directeur à la Vapeur,  j’étais programmateur aux Eurockéennes et on s’est vite bien entendu. On s’est lancé dans un projet de festival sur Dijon qui s’appelle Génériq, un festival nomade entre Dijon, Besançon, Mulhouse. En 2009, il a postulé pour la direction de Paloma. Le bâtiment avait déjà été conçu par la ville mais Fred a changé pas mal de choses en reprenant le dossier entre ses mains. Il souhaitait ne pas avoir de programmateur attitré pour la salle, il voulait assumer la direction artistique tout en voulant un programmateur indépendant à ses côtés. Il m’a demandé et l’aventure nîmoise à débuté en 2011. Et nous voilà à la cinquième édition du festival.

Depuis la première année, les nouvelles scènes poussent comme des champignons.

On apprivoise le lieu chaque année et on voit les optimisations sur l’espace qu’on peut faire. Mais on ne peut pas trop l’industrialiser. Ça tombe bien car on souhaite rester sur quelque chose de naturel. Cette année, il y aura 3 scènes extérieures, une de plus comparée à l’édition précédente, et quelques changements à l’intérieur comme le Patio qui accueille une nouvelle scène et le Club qui va devenir une Love Room.

Il va s’y passer quoi alors, dans ce cocon de l’amour ?

On aura des DJ, des karaokés, et peut-être même Didier Wampas qui viendra faire écrire des chansons d’amour aux gens. On aura aussi des cours de danse pour faire des slows, pour rester autour de la thématique.

« En France, y’a ce côté érudition musicale qui fait que si tu n’as pas fait la totale de l’encyclopédie de je ne sais qui, tu ne peux pas écouter telle ou telle musique. C’est complètement bidon. »

On retrouve des artistes qui sont passés par chez vous avant qu’ils n’explosent un peu plus tard, comme avec Sleaford Mods, Mac DeMarco ou Bass Drum of Death par exemple. Comment vous faites votre programmation ? 

Je capte à peu près l’état d’esprit dans lequel tout le monde ici, y compris Come On People, est. Dans une programmation, tout doit aller vite et on a pas le temps de faire des brainstorming et des sondages à mains levées, tu vois. Ça demande une certaine attention, et pour cela il faut qu’il y’ait qu’un seul programmateur. C’est un peu de l’égoïsme dictatorial mais c’est comme ça que je vois les choses. Comme dans un groupe, généralement le leader compose et c’est lui qui sait ce qu’il faut. Si tu fonctionnes trop de manière démocratique, ton projet n’a pas de texture ni de personnalité. Et puis on n’est pas dans un supermarché de l’égotrip où le but est de faire venir tous les groupes qu’on adore façon courses de Noël. Dans l’industrie musicale, en général, les gens qui disent participer à une programmation, c’est une manière d’exister auprès des gens. « Vous avez vu ? C’est mon festival, c’est moi qui connaît les artistes blablabla« .

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Le festival grandit d’année en année, la fréquentation a été multipliée par 4 depuis le lancement. Le TINALS devient-il un vrai petit-grand festival ?

Petit-grand festival ça résume bien l’idée. Petit par la taille mais grand par la programmation. On a attiré 15.000 personnes l’année dernière. Mais on essaie de rester dans une relative intimité avec un côté familial. Quand t’arrives sur le site du festival, tu es plutôt détendu et tu ne ressens pas le besoin de speeder et de courir d’une scène à l’autre. En plus de ça on essaie de proposer des groupes qui puissent autant plaire aux amateurs qu’aux initiés. Ça me fait penser à un gars de France Bleu qui me disait qu’on faisait une programmation pointue. Je lui ai dit : « ça veut dire quoi pointue ?« . Que les gens ne connaissent pas tous les groupes de la programmation ? OK. Mais pointue dans le sens où c’est une musique qui demande à être un initié pour l’aimer, non. Même si tu ne connais pas, tu vas forcément te prendre un moment d’émotion dans la tronche avec un groupe dont tu n’auras jamais entendu parler auparavant.

« En radio, en festival ou en salle, quand on dit qu’un groupe est « pointu », ça veut dire qu’il n’est lié qu’à un nombre restreints d’initiés. »

Il voulait peut-être dire pointu dans le sens de la qualité de programmation. 

Non mais aujourd’hui dans la musique, et dans la manière dont les gens vont consommer ou vivre de la musique : cette notion de pointu, elle est nulle. Parce qu’aujourd’hui, en radio, en festival ou en salle, quand on dit qu’un groupe est pointu, ça veut dire qu’il n’est lié qu’à un nombre restreints d’initiés, et qu’il n’y aurait que ces initiés qui pourraient aimer cette musique. Et c’est pas vrai, tout le monde peut aimer cette musique. C’est comme un restaurant qui ferait la cuisine « pointue » : tout le monde peut aimer cette cuisine ! En France, y’a ce côté érudition musicale qui fait que si tu n’as pas fait la totale de l’encyclopédie de je ne sais qui, tu ne peux pas écouter telle ou telle musique. C’est complètement bidon. Tu peux apprécier en étant novice et en n’y connaissant rien du tout.

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D’année en année, il y’a toujours une question qui revient de la part des festivaliers : à quand le camping ?

Normalement, cette année. On bosse dessus, on attend la validation. On espère que ce sera accepté. On va pas faire un immense camping, mais on sait que ça devient de plus en plus nécessaire pour les gens qui viennent d’un peu loin.

Le format du festival fait un peu penser à ce qui peut se faire aux Etats-Unis, et notamment à Austin avec le SXSW et Levitation.

A Austin, j’y vais depuis 2002 là-bas et ça donne des idées à exporter en france, surtout pour le côté DIY. C’est ça qu’est intéressant là-bas aux Etats-Unis, soit ils te balancent des trucs monumentaux style Coachella, soit ils arrivent à rendre une table en bois ludique autour de laquelle il y’a du partage, des rencontres, de la récupération… TINALS est un peu dans cette idée-là, avec les ateliers qu’on propose.

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Des groupes programmés sur cette édition dont vous êtes particulièrement fiers ?

Tous. Sans rentrer dans le détail de la programmation, la reformation de Make Up qui est un groupe légendaire dans son style; Turbonegro, King Gizzard qui m’a recontacté au dernier moment […] Royal Trux ça va être étonnant à voir, ça sera soit très bon soit très mauvais. C’est les Kills avant les Kills, avec cette attitude à la Alison Mosshart. On verra bien ce que ça donne, car je les avais vu à Austin complètement défoncés et ça donnait un truc très particulier imite insoutenable, mais la fois d’après c’était génial. Primal Scream c’est le même combat, il y’a des concerts où Bobby Gillespie est aussi dans des états pas possibles mais où les concerts sont magiques. Aujourd’hui dans les festivals en général, on s’assure que tout est bien fabriqué, qu’il y’ait des écrans, que ce soit hyper propre etc. Nous, vu le type de musique qu’on fait, on sait qu’on laisse la scène à des mecs un peu hasardeux. Autant Moderat ou Flying Lotus c’est très calculé et ça ne déborde pas, autant avec Tubonegro tu ne sais pas ce qui va se passer.

Les gens qui débarquent au TINALS sont souvent étonnés de l’accueil chaleureux et de pouvoir croiser et aborder facilement les artistes qui déambulent sur le site. Je me souviens personnellement d’avoir pu partager une bière avec Matt Hollywood du BJM, un (gros) shot de bourbon avec les Daddy Long Legs et une discussion philosophique avec le chanteur de Girl Band à une heure un peu tardive. C’est ça, l’esprit du Sud ?

Tous ces groupes-là se connaissent en général. Aux Etats-Unis et dans les festivals, ils jouent tous ensemble. Quand ils viennent sur un petit festival comme le nôtre, ils se mettent la pression car ils jouent face à leurs potes. Mais après ils sont contents de se retrouver dans la foule, et de voir des groupes qu’ils apprécient et de discuter avec eux. On les incite d’ailleurs à ne pas rester cloîtrés dans les loges et d’aller tâter l’ambiance dans la foule. Pareil pour le public, c’est plutôt sympa de se retrouver à regarder un concert à côté de membres de groupes que tu connais. Je me souviens d’un Joel Gion qui avait fait sensation il y a quelques années. Mais tout ça n’a rien à voir avec le sud. Faut pas croire que le soleil fait tout.

Festival This Is Not a Love Song, du 9 au 11 juin.
https://thisisnotalovesong.fr/

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