Un papier garanti sans référence au Brian Jonestown Massacre, où notre journaliste fait le point sur sa relation ambiguë avec le band de Courtney Taylor-Taylor. En confrontant sa vie avec en miroir la musique des gars de Portland, il se remémore celui qu'il fut et celui qu'il n'est plus. Ou comment un groupe touché par le syndrome de Peter Pan finit par nous donner un bon coup de vieux.

Je me souviens d’un matin ensoleillé de l’automne 2006. Comme tous les jours, je me dirige d’un pas mal assuré vers un grand bâtiment grisonnant devant lequel des centaines de jeunes âmes fument déjà des milliers de clopes. Le lycée. Il est 8h et je profite de ma solitude pour écouter, non sans une certaine joie, Bohemian Like You avec mon Discman portatif. À 15 ans et après avoir déjà signé un pacte avec le rock’n’roll en torchant d’une seule traite toute la disco Stones de mon père, j’en viens naturellement à la phase où j’écoute les trucs rock de mon époque. Ne manque plus que les boutons qui viendront un peu plus tard mais sinon tout est déjà là : un teenager au pays des teenagers avec des chansons à guitares simples comme Job qui viennent galvaniser un gamin en mal de confiance et lui font entrevoir un monde imaginaire fabuleux où des gens s’amusent en permanence dans un pays où il fait toujours beau. Là encore, rien de plus classique. Ça, c’est avant une phase pop/punk consommée au premier degré avec des trucs comme Sum 41, Green Day… et donc Dandy Warhols. Mais ça, c’était avant We Used To Be Friends.

« J’aimerais bien voir nos tronches dans 10 ans. »

Plutôt que de m’inventer une enfance où j’écoutais Television à 13 ans et l’intégrale d’Ornette Coleman à 15, phase que le gosse de Philippe Manœuvre a sans doute connue, c’est sans aucune honte que j’évoque cette période ingrate qu’est l’adolescence dans les années 2000, où les oreilles de beaucoup de mômes furent bercées par les pop-stars de l’époque, comme celles de la génération Tomasi des 60’s/70’s par Hendrix et consorts. Ou comment on comprend vite qu’on grandit tous dans une époque qu’on n’a pas choisie. Et de répondre à la fameuse question posée par le branleur à cheveux longs dans le film culte et générationnel Le Péril Jeune : « J’aimerais bien voir nos tronches dans 10 ans. »

Nous sommes en avril 2016, de l’eau a coulé sous les ponts et votre serviteur d’avoir écouté depuis des trucs 1000 fois meilleurs que ses amours soniques de jeunesse. S’il m’arrive encore d’avoir quelques poussées de nostalgie post-adolescente et parfois même de me surprendre à appuyer sur « play » quand Bohemian Like You s’affiche dans ma longue liste de morceaux, les CDs de ces groupes ont depuis bien longtemps fini dans les cartons. Il sont là sans l’être vraiment tout à fait, comme une ex-copine qu’on a follement aimée et qu’on n’ose plus trop regarder.

Jusqu’à ce mail reçu fin février. En objet : « Les Dandy Warhols sortent un nouvel album. »

Qui fait remonter à la surface des émois musicaux enfouis sous une couche de morceaux épaisse comme la crème fouettée de ma grand-mère. Après quelques hésitations, c’est décidé : j’accepte de me confronter à mon propre passé. Et le CD promotionnel de « Distorland » de débarquer dans ma boîte aux lettres quelques jours plus tard.
Ce qui me frappe immédiatement, c’est que le « style Dandy Warhols », à savoir une teenage pop aussi proche du psyché qu’un chien empaillé perdu dans la bicoque sordide d’un fan d’Eddy Mitchell, n’a pas changé depuis 20 ans. Hormis « The Black Album », album secondaire de face B/demos/reprises sorti en 2004 qui contenait une très bonne cover réverbérée du Ohio de Neil Young, le groupe tourne et retourne depuis deux décennies les mêmes (grosses) ficelles : batterie qui claque, guitares naïves et voix (trop) suave. « C’est pas désagréable », me glisse mon père en entendant une des chansons. Et c’est bien ça le problème. « Plutôt mort que sympa », comme dirait ce bon vieux Nicolas Ker.

Un des morceaux de ce nouveau disque illustre à merveille le fossé qui nous sépare désormais : The Grow Up Song. Si j’ai pris 10 ans dans la tronche, la musique du groupe a, quant à elle, fait du surplace, prête à rassasier en plaisirs simples une nouvelle génération de teenagers.

Dandy m’a tueR

Alors que je m’apprêtais à en rester là, sur cette note douce-amère d’un amour de jeunesse qu’on ne retrouvera jamais mais qu’on garde dans un coin de sa boite à souvenirs par respect pour le petit gosse qu’on a été, quelques détails contenus dans « Distorland » allaient en décider autrement. Moi qui voulais rester en bons termes avec toi, Courtney…

Si comme vous l’avez compris l’album ne soulève pas des montagnes en terme d’inventivité, « c’est pas désagréable », comme dirait mon vieux, avec des chansons qui ne sont ni vraiment bonnes, ni vraiment mauvaises. Elles sont là, quoi. Jusqu’au moment où la bien nommée You Are Killing Me atteint par malheur la cavité intérieure de mon oreille. En voulant faire un tube pour la promo de l’album, les Américains réussissent l’exploit de sortir l’un des pires morceaux de leur histoire. Une daube, une vraie, qui creuse un peu plus le fossé déjà creusé entre eux et moi.

Après avoir bien écouté la musique, me voilà rendu à la périlleuse étape de l’analyse de discours. Et de me rendre compte, non sans une certaine tristesse, de la pauvreté des textes présentés par le groupe. Le sommet de ce zéro pointé en littérature est atteint avec la chanson All The Girls In London, chanson définitivement teenage qui laisse à penser que Courtney Taylor-Taylor a encore vraiment l’âge de son public dans sa tête. C’est-à-dire à peu près 15 ans.

Parti avec les meilleures intentions dans ce road-trip spatio-temporel, je n’ai finalement pas pu résister à l’envie de jeter le CD par la fenêtre de ma bagnole au bout de sept écoutes. La nostalgie, comme la conscience professionnelle, a ses limites. « Les histoires d’amour finissent mal… » Etc, etc.

The Dandy Warhols // Distortland // Dine Alone Records
http://www.dandywarhols.com/

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