Plusieurs mois après sa sortie, j’ai enfin écouté le nouvel EP des survivants (Irmin Schmidt, Jaki Liebezeit) de CAN, groupe référence parmi les références, icônes parmi les zicos. Rassasié par un copieux bol de Miel Pops vintage, j’ai pu engager une micro réflexion sur cet objet étonnant. Rapidement, un point sur la pochette de cet EP m’a semblé nécessaire. La prise de position suivante, mesurée et toute en retenue scandinave, n’engage bien évidemment que moi : à chier. So what ?

Comme tout « bon » lecteur de blogs spécialisés ou de presse musicale, j’ai parcouru depuis des années plusieurs milliers de chroniques de disques, certaines écrites avec du fond et du style, d’autres qui semblaient totalement subjectives et plus ou moins savamment torchées par dessus la gambette en 180 secondes chrono. Décrire le contenu d’un disque, c’est assez difficile, c’est vrai. Probablement aussi difficile que de décrire le goût d’une banane, si vous voyez ce que je veux dire. Ceci étant, le disque a sur la banane un avantage conséquent qui en fait un objet singulier et quasi unique avant même d’être inséré dans ta platine de salon Onkyo ou délicatement posé sur ton turntable dernier cri couleur caca d’oie : la pochette.

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Dans toutes ces chroniques lues et parfois relues (souvent confortablement installé sur la lunette des toilettes, lieu propice à une réflexion plus poussée de ma part), il est très/trop rarement fait mention de la pochette, pourtant symbole de la première rencontre avec l’objet. Dommage, car la couverture d’un album a des codes très souvent respectés en fonction des genres musicaux, et elle provoque chez l’auditeur à l’imagination fertile une première impression de la musique qu’elle renferme.
Au-delà de cette prise de contact initiale, quand tu penses à un album sorti il y a des plombes, tu mentalises en premier lieu sa pochette et rien d’autre. Parmi le cover code, et sans même parler de la country et de ses sempiternels portraits mi-corps vêtu d’une chemise à gros boutons et chapeauté façon cow-boy, évoquons au débotté et sans recherche aucune les pochettes verdoyantes et champêtres des disques folk, les pochettes un chouia arty ou géométriques de musiques électroniques, ou encore… les ovnis.

Dans cette dernière catégorie, la palme de plastique revient sans conteste aux pochettes instantanément qualifiées de l’attribut « à chier ». Tu l’auras compris, nous allons enfin pouvoir parler de cet EP de Cyclopean. Passons rapidement sur la musique qu’il contient puisqu’elle est aussi excellente qu’une banane flambée : si tu aimes Can en mode guitares bricolées, si tu imagines Boards of Canada mâtiné de percussions africaines, si tu aimes la vie et la vache qui rit, alors cet EP est fait pour toi.

En quatre titres (Apostles, Fingers, Knuckels et Weeks), les CANnois Jaki Liebezeit et Irmin Schmitt et leurs deux acolytes (Burnt Friedman, Jono Podmore) redéfinissent les contours d’une musique électronique répétitive et progressive dans ses digressions intrigantes et pertinemment déconstruites. Rien de nouveau sous le soleil, alors ? Ca ressemble à la droite décomplexée, c’est ça ? Non, pas vraiment, ça sonne comme de l’électro africaine du 22ème siècle. En un mot comme en cent : même si on est pas au Club Pacha à Ibiza, le fait de te baigner régulièrement dans ces quatre titres ultra homogènes et cohérents devrait te donner pas mal de plaisir auditif. En tous cas, bien plus qu’une banane, flambée ou pas.

« Avec tout ça, on est bien avancé, car c’est clair comme un squat souterrain en pleine panne électrique » me direz-vous, et vous n’aurez pas complètement tort. Je ne suis pas clair ? C’est vrai, mais j’ai une bonne excuse. Figurez vous que je me suis rendu compte après deux semaines d’écoute intensive que cet excellent EP tournait sur ma platine en mode 33 tours au lieu du mode 45 tours prévu. Musique instrumentale aidant, je me suis laissé porter, sans rien y voir. Voilà probablement le deuxième effet Miel Pops, la plus psychédélice des céréales. Après la justice à deux vitesses, je viens donc de découvrir la musique à deux vitesses. Libre à vous d’écouter cet EP en mode 45, 33, voire 78 tours pour les plus kamikazes d’entre vous. Tel un vibromasseur multivitesses, il devrait être source de bien des plaisirs.

Le troisième et dernier effet Miel Pops a ceci d’intéressant qu’il produit chez celui qui en ingurgite en quantité suffisante une envie féroce de sodomiser les mouches, comme dit mon boulanger. Alors poussons le bouchon un peu plus loin et venons en enfin à l’objet du délit : une pochette conçue par un stagiaire aveugle qui a dû suivre une formation sur Paint la veille de sa conception (de la pochette, hein, pas du stagiaire). Pourtant, on ne tire pas sur une ambulance, même si celle-ci roule vite et avec classe. Je me bornerai donc à vous renvoyer vers l’objet en question, afin que vous puissiez vous faire votre propre avis (évidemment contraire au mien, en vertu du principe régissant les relations lecteur/rédacteur : l’opposition systématique) sur l’affaire.

Tout délit mérite pourtant un coupable.  Cet objet est sorti chez Mute via Spoon (le label de Can), soit deux maisons au-dessus de tout soupçon. L’absolution est donc de mise. Le stagiaire graphiste ? Impossible, car on ne peut reprocher à Stevie Wonder de ne rien voir, vous en conviendrez. Le groupe ? Il ne s’agit pas d’un groupe de graphistes, ni de graffeurs, donc exonérons-les de toute charge potentielle et véhémente. Ces gars n’ont qu’un œil, c’est évident, et il ne faut par conséquent pas trop leur en demander sur la « beauté » de la pochette.
Non, le coupable est tout trouvé et c’est le crétin qui rédige ces lignes. En effet, après avoir discuté de cette pochette grise/rose/orangée (Yves Klein, au secours, où que tu sois, rédige s’il te plaît en deux temps trois mesures une charte graphique adaptée pour le futur album de ces cyclopéens) avec quelques connaissances, je n’ai pas tardé à me rendre compte que peu me suivaient sur ce terrain glissant de la pochette merdique.

Si tout acte criminel mérite condamnation, tout erreur manifeste de jugement mérite sanction.  Sans circonstances atténuantes particulières, et le pourtant prévenu ne semblant pas faire preuve d’acte de contrition particulièrement spectaculaire, je me condamne à l’écoute hebdomadaire de cet EP en 33 tours  jusqu’à ma mort, banane à la main. Aucune procédure d’appel n’est envisageable. Ni envisagée.

Cyclopean // EP // Mute

4 commentaires

  1. Ca n’est plus Can, très clairement, seulement un genre de groupe électro/expérimental avec 2 anciens de Can. Mais ce n’est pas mauvais…

  2. (On avait dit pas les enfants). Bizarrement, j’ai toujours pensé que la pochette d’un disque avait une énorme influence sur la façon dont on appréhende la musique enregistrée. London calling serait-il London Calling avec une pochette Paint?
    Matt Oï : il est clair ici qu’on est plus vraiment chez Can mais cet EP de Cyclopean mérite vraiment qu’on s’y attarde. C’est un objet très étrange, et assez mystérieux, au delà du simple groupe électro/expérimental. Et rien que pour ça, ça gagne des points. Donc très très loin d’être mauvais en effet..

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