Toutes les semaines, la Gaîté Lyrique et Gonzaï vous proposent le double G, soit l'association de deux lettres au service d'une même cause : la découverte des plaisirs enfouis, entre un accent circonflexe et le tréma. Cette semaine dans notre Culture G, un peu de culture générale avec « Noel Fielding's Luxury Comedy », une série anglaise qui réconcilie glam et pop culture.

Un dimanche de janvier, le comédien anglais Noel Fielding est apparu comme une révélation. Peut-être le connaissez-vous déjà, à travers The Mighty Boosh ou le personnage de Richmond dans la formidable série anglaise The IT Crowd. Il y a quelques semaines, le dernier épisode de la saison 1 de sa Luxury Comedy était diffusé sur Channel 4. L’occasion de revenir sur ce curieux comédien à boots dorées.

Ce dimanche-là, coincés entre la télévision et le soleil qui tapait à travers les fenêtres, nous étions donc occupés à zapper avec l’espoir de trouver quelque chose de distrayant à regarder. Et à l’heure du Jour du Seigneur local et des émissions pour enfants, la présence de Chris Isaak en train de mélanger difficilement du sucre et du mascarpone pour cuisiner des petits cubes à la noix de coco et aux framboises sur le plateau de Something For The Weekend nous paraissait bien à propos – il semblait être dans le même état que nous, à mal digérer sa gueule de bois. Si je vous raconte cet épisode peu glorieux, ce n’est pas pour me confesser ou faire valoir une quelconque supériorité par rapport au fait de se lever tôt un dimanche matin. C’est simplement parce qu’au moment de la pub, nous apprenions que Noel Fielding allait être l’invité d’une émission dont j’ai depuis oublié le nom pour faire la promotion de sa nouvelle série : Noel Fielding’s Luxury Comedy.

Fan de Bryan Ferry, Kenny Everett et des Monty Python

Dans une interview qu’il avait donné à The Observer lors d’une journée de tournage de la troisième saison de The Mighty Boosh, la journaliste n’avait cessé de le décrire ainsi : « fixe ses chaussettes dépareillées avec l’air absent », « n’est rien sinon glam-rock », « a mal aux pieds [dans ses bottes] fabriquées par le même styliste qui s’occupait de Marc Bolan », « s’amuse à assembler puis séparer les éléments de son collier Lego ». Son exubérance, voilà ce qui avait rebuté mon amie qui s’était mise à râler à la vue de sa simple présence à la télé, prétextant qu’il s’agissait là « d’un gros con prétentieux ».
Je crois en fait que Noel Fielding capture la plupart de nos rêves, à savoir des filles nues, de l’alcool en quantité suffisante et une fête qui ne semble jamais finir. Pourtant, sous ses airs de rock star échappée des seventies et donc à moitié ringarde, Noel Fielding se trouve peu porté sur l’alcool, et s’avère, comme son ami Russell Brand, clean. C’est quelque part tant mieux, ça change. Noel Fielding est atteint du syndrome de Gilbert, ce qui provoque chez lui l’apparition d’une jaunisse lorsqu’il consomme trop de boissons alcoolisées. Pourtant, ce n’est pas forcément son environnement familial qui le prédestinait à la sobriété.

On dit souvent que pour comprendre un musicien, il faut puiser du côté de ses influences pour découvrir son univers. À mes yeux, la situation familiale et l’esprit dans lequel a grandi Noel Fielding explique pour beaucoup ce qu’il est devenu : un grand enfant obsédé par la flamboyance, les feux d’artifices et les monstres en papier. Né en 1973 de parents âgés de seulement dix-huit ans, il passe son enfance avec les amis freaks de papa et maman qui lui font écouter Zappa ou Captain Beefheart dès le réveil. Ses parents le poussent également à choisir une « autre voie » que ses camarades destinés aux études de comptabilité puis à un mariage avec une fille rencontrée à moins de 15 kilomètres du domicile familial. L’autre voie, ce sera finalement son quotidien, à travers ses idoles Bryan Ferry, Kenny Everett, les Monty Python et puis le stand-up. Chez Noel Fielding, peu de blagues mais de la répartie et des situations embarrassantes dont l’humour est fondé sur le choc visuel, le gag sonore, le tout entrecoupé de chansons crétines. Si bien qu’on se demande souvent s’il faut crier au génie ou au contraire envoyer un courrier chez UFC/Que Choisir pour faire part du sentiment d’agression après trente minutes de blagues potaches. C’est le constant déballage de ce que Fielding appelle sa « personnalité ». C’est à la fois stupide, réalisé avec des bouts de ficelle, très référencé et globalement jouissif.

De Mighty Boosh à Never mind the Buzzcocks

Dans Retromania : Pop Culture’s Addiction to Its Own Past, Simon Reynolds décrit The Mighty Boosh comme une série à l’univers « rétro-fantastique ». C’est avec ce duo créé sur scène en 1998 avec Julian Barratt et adapté à l’écran de 2004 à 2007 que Fielding devient culte en Angleterre. Les références à la pop culture, les décors en carton, les costumes ou la mode « rétro » tiennent une place essentielle chez Fielding, et ce n’est pas pour rien que le show est vendu comme « a journey through time and space ». Comme dans cet épisode de la première saison où Noel Fielding (Vince Noir) raconte qu’il a été élevé dans la jungle par Bryan Ferry, le « ruler of the forest ». Employé d’un zoo dirigé par Rich Fulcher (Bob Fossil), il est chargé avec Julian Barratt (Howard Moon) d’accompagner en prison un ours qui vient d’agresser une bande d’enfants venus visiter le Zooniverse. Il se trouve que sur la route, l’ours ne supporte par la basse slap des cassettes jazz-funk d’Howard, se met à hurler et fait flipper les deux comédiens. Lorsque Fielding enfonce sa cassette de Gary Numan dans l’autoradio, ils se mettent tous les deux à chanter Cars. Le sourire béat qu’il affiche est celui de l’enfant ayant réussi à imposer sa musique sur la route des vacances en famille, et le moment est assez bête pour déclencher les fous rires. Après trois saisons, la série s’arrête en 2007 et devient culte ; la dernière représentation sur scène de The Mighty Boosh aura finalement lieu le 17 janvier 2009 lors du Future Sailors Tour. 2009, c’est aussi l’année pendant laquelle Noel Fielding va finalement s’écarter de son partenaire Julian Barratt. Au mois de septembre de la même année, il devient capitaine d’équipe dans Never Mind The Buzzcocks, sûrement l’émission musicale la plus drôle de l’histoire de la télévision. Ici, le présentateur change à chaque épisode (sur la dernière saison : David Hasselhoff, Lorraine Kelly ou encore Alice Cooper, pour ne citer qu’eux), et seuls les capitaines d’équipe restent en place. Depuis déjà trois ans, Noel y affronte l’équipe de Phil Jupitus, un autre comédien de stand-up. Les meilleurs moments de l’émission sont généralement ceux du 2e round, le Intros Round, lorsque les participants doivent imiter avec la bouche les intros de chansons pop pour les faire deviner à leurs équipes. Aussi, l’intérêt de l’émission se trouve au moment où les équipes commencent à ouvrir les vannes. Noel Fielding y excelle, forcément.

Meat laugh

Mais pas autant que dans Noel’s Fielding Luxury Comedy, show psychédélique diffusé depuis le 26 janvier 2012 par Channel 4. Si absence de Julian Barratt il y a, c’est avant tout sur la partie storytelling ; Fielding ne s’embarrasse d’aucune linéarité et les gags prennent l’apparence de capsules de quelques minutes distribuées sans aucune cohérence. Luxury Comedy est encore plus colorée, référencée et absurde que The Mighty Boosh, et semble diviser une partie du grand public qui aurait préféré consommer un spin-off de cette même série, ne voyant dans Noel’s Fielding Luxury Comedy qu’un grand n’importe quoi. Pourtant, la série est loin d’être un échec. Channel 4 a déjà commandé une seconde saison et conforte Noel dans son rôle de cinglé à 300 idées par seconde. Généralement, l’épisode débute avec un problème que Fielding cherche à résoudre, comme combattre le Tiger with Chlamydia dont le sexe est une longue flèche avec laquelle il contamine ses victimes. Et encore une fois, cette nouvelle création comporte toutes les obsessions de Fielding : les costumes, la pop music et Bryan Ferry. Dans le septième et dernier épisode de la première saison, vous pourrez assister médusé(e) à la bataille des 2 Bri/yans, Eno et Ferry, organisée afin de savoir qui des deux est le meilleur. La tête de Bryan Ferry étant un cerf-volant, et celle d’Eno, transformé en frisbee, comprenant à l’arrière un plateau de houmous magnétique… À la fin cet épisode intitulé BBQ Breakdown, Noel met le feu à une saucisse qui finit par enflammer tout le plateau. Je reste persuadé après plusieurs lectures qu’il s’agit là d’une superbe manière de terminer une première saison.
Depuis janvier, je n’ai cessé de penser, de diverses manières, à Noel Fielding. D’abord en tentant d’établir la liste des idées qui allaient servir à chacun des shows. Puis en me demandant comment lui était venue l’idée d’un Joey Ramone en pâte à modeler et aux jambes se transformant lentement en clubs de golf. Ou comment avait-il pensé à ce litchi devenu star de la cascade et dont la carrière allait être ruinée parce qu’il venait de baiser une olive devant la presse à scandale. Une dernière évidence surplombait néanmoins toutes les autres : cette série anglaise contraste magnifiquement avec la pauvreté de l’humour français actuel, perdu entre le quotidien d’un trentenaire minable, le stand-up en tee-shirt et une somme de nullités proférées par un post-ado bavard sorti de la pire soirée étudiante qu’il soit possible d’imaginer. Grâce à la Luxury Comedy de Noel Fielding, les matins sont moins difficiles et les gueules de bois prennent la forme d’un sous-marin jaune.

En partenariat avec la Gaîté Lyrique, papier à retrouver sur la Gaîté Live
Plus d’infos sur http://www.channel4.com/programmes/noel-fieldings-luxury-comedy

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