Figure de proue du comics underground depuis les années 1960, Robert Crumb fait aujourd'hui l'objet d'une colossale rétrospective chronologique au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris. Il colle au poil à l'étiquette du geek maigrelet aux lunettes triple foyer qu'on a tous eu un jour dans notre classe.

Je dois tout d’abord, par souci d’honnêteté, avouer une chose : je ne suis pas un lecteur de Bande Dessinée. Ma culture comics se résume jusque là aux Salles Blagues de l’Écho, une BD française humoristique et trash fortement appréciée par mon frère aîné. Disposée dans le fameux « porte-revues du chiotte » connu de tous, elle permet encore aujourd’hui une défécation plus rythmée et véloce grâce aux nombreuses pouffades qu’elle provoque. Sans trop savoir comment l’expliquer, tout ça ne m’a pas encouragé à découvrir d’autres comics. Plus jeune, ces bouffeurs de récitatifs et de bulles représentaient l’archétype du geek/loser se réfugiant dans la lecture. À l’école, Crumb était donc un fantôme pour les filles et une tête de Turc pour les mecs.

Hippie hippie hourra

Pour se défendre, Crumb commence à dessiner très tôt en s’inspirant de certains Walt Disney comme Little Lulu puis, un peu plus tard, de Mad — un magazine à l’humour débridé créé par Harvey Kurtzman en 1952 – qui inspirera Foo, premier fanzine de Crumb. S’intégrer, c’est pas trop sa came, au père Crumb ; il n’adhère ni aux valeurs hippies ni au culte du succès. Plutôt au LSD qui marque un tournant décisif dans son art. C’est précisément à ce moment-là qu’il commence à inventer des personnages aux aventures délirantes. Contrairement à la plupart des bédéistes, il ne s’est pas construit sur un ou deux héros, mais sur des dizaines de (non) héros, souvent inventés lors de (mauvais) trips. Parmi ces personnages, Fritz the Cat, un chat frivole et junky — adapté en dessin animé en 1972, considéré comme le premier film d’animation classé X — Mr Natural, un gourou ambigu des temps modernes qui croise des hippies névrosés, ou Whiteman, exemple d’une frustration inavouée des Blancs envers la classe moyenne. Le succès vient malgré lui, et ses dessins deviennent de plus en plus subversifs et contestataires. En 1969, il crée le magazine Snatch Comics en s’inspirant d’une BD porno des années 1930-1940, Tijuana Bibles.

Toutes ces planches originales présentées à l’expo révèlent l’obsession de Crumb pour le sexe et les femmes, disons, charpentées. Volontiers sexiste, il innove surtout en étant un pionnier de la BD autobiographique. Sorte de Hunter S. Thompson du comics, il se met en scène, confessant ses inhibitions, ses fantasmes, ses difficultés relationnelles, ses frustrations, ses aigreurs, bref tout ce qu’il peut y avoir de minable dans la condition d’homme. Son manque de complaisance et son honnêteté le font rejeter par un certain public qui trouve l’exposition de certaines réalités ou de certaines fantaisies bien trop obscène. Il s’en explique : « Une des clés pour vous exprimer dans l’art est d’essayer de casser la maîtrise de soi. Voir si vous pouvez transcender la part socialisée de votre esprit. (…) Je sais que dans mon travail, je dois sortir ces trucs, ça ne peut pas rester à l’intérieur : toute la folie, ces trucs sexuels, l’hostilité envers la femme, la colère contre l’autorité. »

« Le rire est à l’homme ce que la bière est à la pression », disait Alphonse Allais. Parce qu’il faut quand même préciser une chose : les dessins de Crumb sont vraiment hilarants. Jamais d’ailleurs je n’ai vu à une expo autant de gens rire aux éclats. Ils font partie de cette minorité peu visible qui considère que l’on peut rire de tout. Je me sens moins seul.
En progressant dans l’expo, on remarque que les années 80 sont passées par là et les hippies tous devenus des guppies. Crumb a arrêté le LSD et s’est installé en France avec sa femme Aline. Dorénavant il joue dans le groupe Les Primitifs du Futur. Ils enregistreront quatre disques jusqu’à 2008. On découvre aussi que Crumb est un féru de blues et de country. Il a d’ailleurs dessiné des pochettes de disques, dont la plus célèbre est celle de « Cheap Thrills » de Janis Joplin, mais il a refusé de griffonner pour les Rolling Stones, n’aimant pas leur musique – +10 dans mon système de notation du cool.

En 1995 sort le documentaire Crumb. Réalisé en dix ans par Terry Zwigoff, le film a obtenu treize récompenses dont le Grand prix du Festival du film de Sundance. J’ai reluqué ce film, projeté à la fin de l’exposition, pendant une bonne demie heure avant de me faire virer car il était 17H58. À la différence de certains qui peuvent être drôles dans leur travail et chiants à crever dans la vie, Crumb fascine par sa sagacité et son esprit. En 2009 est publiée  La Genèse, ouvrage réalisé en quatre ans par Crumb. S’appuyant sur la Bible du roi Jacques ou Five Books of Moses de Robert Alter, il reste incroyablement fidèle aux textes d’origine, ce qui va évidemment surprendre de nombreux admirateurs. Certains sont même déçus de son gnosticisme alors qu’il a farouchement fustigé la religion tout au long de sa vie. Peut-être était-ce l’âge avancé — plein de vieux séniles, voyant la faucheuse approcher, se raccrochent à quelque de chose de l’ordre du mystique, pour se rassurer .  Ou peut-être était-ce simplement le désir de dérouter et de désorienter les autres, comme il l’a toujours fait.

CRUMB // De l’Underground à la Genèse // Expo du 13 avril 2012 au 19 aout 2012 au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

1 commentaire

  1. Hou là là ! Après plus d’une semaine à me demander « mais pourquoi vert ??? », l’Illumination : je viens de comprendre le jeu de mots du titre.

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