Moby, tu n’es pas seulement musicien, tu es aussi écrivain… Lointain descendant d’Herman Melville, tu racontes ta life dans ta bio ‘Porcelain’. Du coup on va faire un peu pareil et résumer ta vie avant ta grande période. Go !

Mais d’abord un avertissement à propos du drame de ta calvitie, de ce point de bascule après lequel plus rien ne sera comme avant. On le sent en te lisant, même si au fond tu n’en diras pas grand-chose, sinon que dans un moment de panique, tu as décidé de teindre ce qui te restait de cheveux en blond. Le coiffeur ne t’a pas fait payer, au prétexte qu’il adorait ta musique ; mais c’est sans doute plus compliqué. Moby, tu sais quoi : de toi, je ne sais que penser. Lorsque Salman Rushdie déclare sur la couverture de ton livre que ton écriture est « fantastique » et que ta vie est « extrêmement bruyante et bizarrement peuplée », on se dit qu’il y a un malentendu pour être à ce point incompris. D’accord, Salman n’est pas beaucoup sorti dans les années 1990 vu qu’il s’est pris une grosse Fatwa dans la tronche pour ses Versets sataniques, mais quand même. Moby est une toute petite chose chrétienne gentille et végétarienne qui mange des pots de bébé dans l’avion pour ne déranger personne. Un type qui cherche l’amour pur et vénère les animaux…. Mais revenons au commencement (du livre).

Si tu sais enregistrer des guitares, tu m’intéresses. Richard Melville Hall aka Moby, tu as grandi seul avec ta mère qui est une femme formidable, c’est sûr. Elle t’embarquait « dans la Chevy Vega que son père lui avait offerte et je chantais sur les Eagles, Donna Summer ou les Bee Gees qui passaient à la radio. Elle conduisait en fumant une Winston, la vitre grand ouverte. » Tu ne sais pas encore qu’en fait tu n’es pas fils unique et que ta mère, tombée enceinte alors qu’elle était lycéenne, a finalement abandonné ton grand demi-frère. Peut-être comprends-tu mieux lorsque mourante elle te révèle son secret, pourquoi elle a gentiment foutu sa vie en l’air et pourquoi toi, Moby, tu as décidé de devenir célèbre. Déjà, tu n’iras pas à son enterrement, parce que tu refuses qu’elle meure et sans doute parce que tu penses qu’elle devrait avoir une seconde chance. Tu arrives après la bataille (de la cérémonie funèbre), tu plaisantes avec tes cousins qui se marrent. Tout cela n’est pas très grave et de toute façon, elle te regarde sans doute de loin « là où elle est maintenant« . Elle sait que tu seras sa seconde chance, Porcelain, Léonard Di Caprio et tout le reste. Pendant un bout de temps, tu te prépares, tu vas rester sobre et végétarien, avaler tes soupes en sachet et bouffer des céréales au lait pour « tenir le coup » avec cette vie folle de DJ des années 1990 où tout ressemble encore beaucoup à une vie de rock star. Sauf que tu n’as pas d’instruments, juste des fichiers. Et d’ailleurs, ça va beaucoup t’énerver cette histoire. Tu vas longtemps jouer de la batterie dans des groupes de punk-rock, tu vas même sortir un disque de punk-rock au moment où l’électro se vend comme des petits pains. Tu es une putain de rock star qui fait des caprices.  Pour « Animal rights», tu demandes à l’ingé son que Mute records t’as envoyé s’il sait « enregistrer les guitares » ? Il répond : « Euh oui, pas toi ? » On est en 1996, Cat Power vient tout juste de signer avec Matador Records.

« Madonna m’a jeté un coup d’œil rapide, comme un médecin examinant un doigt de pied infecté. » (Moby)

Blanc mal nippé. Le souci, c’est que toi tu n’as aucune envie de « fréquenter les clubs de blancs hétéros en compagnie de ceux avec qui (tu as) grandi et qui boivent de la Rolling Rocks en faisant des commentaires ironiques et prudents sur les articles du New Yorker ou le dernier album de Pavement ». Tu es un vrai B-Boy parce que tu as fini de grandir dans une usine désaffectée, au sud de la gare de Stamdfort, en Nouvelle-Angleterre. Tu as adoré « le parfum de l’air chargé d’un siècle d’effluves industriel », les rixes entre camés et le son assourdi de Public Ennemy qui fait palpiter les amortisseurs des caisses de dealers. Dans ton trou, tu disposes d’un quatre pistes. Quand tu te pointes à New-York (ton grand-père t’a expliqué comment t’y rendre en évitant les péages), tu files du côté de Meatpacking district pour finir par te faire embaucher au Mars. Au début des années 1990, tu as beau être un blanc mal nippé, tu mixes à la fois du hip hop et cette espèce de house disco qui envahit les boites. Et tu continues à jouer de la batterie dans un groupe de punk rock.

Tu n’as pas encore capté mais, en fait, tu as la carte de visite idéale – Star Treck- Kierkegaard- Public Enemy – Joy Division- Derrick May. Tu es aussi un grand fan de Black Flag. Tu es longtemps dans une forme d’abstinence sexuelle rapport à ta haute spiritualité – en même temps ça te permet de bien te chauffer avec tes petits copines dévotes friquées avec qui tu animes des sessions chrétiennes le dimanche. Quand tu joues Let it roll de Doug Lazy, tu sors clairement du scope chrétien. Tu finis par t’installer à Soho et tu rentres dans la danse. Tu croises Tony Humphries et Madonna (« Plus petite que je l’imaginais. Elle m’a jeté un coup d’œil rapide, comme un médecin examinant un doigt de pied infecté. ») Tu te fais cracher dessus au Zanzibar où tu es peut-être l’un des seuls blancs sur la piste de danse. Tu t’en fous complètement, tu es trop heureux d’être admis dans ce petit monde où se croisent les jeunes gays de banlieue et les dealers de crack. Tu finis par comprendre qu’en fixant une pièce 25 cents sur l’aiguille de ta platine, tu réduis considérablement le risque de faire sauter les disques.

À part ça, tu joues à super Mario comme un malade. Tu mixes, tu mixes, tu mixes, en général 25 minutes et tu continues de prêcher la bonne parole chez les chrétiens le dimanche après-midi. Tu prépares des sandwichs pour les pauvres en écoutant Nick Drake et tu distribues tes pièces jaunes aux nécessiteux de ton quartier. Un soir, tu joues dans une partouze et tu te sens un peu bête.

« Profite donc mon ami, avant que ça ne devienne trop compliqué. » (David Bowie)

Tu veux dire « jouer » ou « mixer » ? Comme tu dis, tu ne « connais pas les codes ». Quelques semaines plus tard, tu vires ta catholic girlfriend au prétexte que tu ne sens pas suffisamment de connexions spirituelles (ahaha). Tu te rends au Palladium et là c’est drôle parce que plus jeune tu y allais déjà avec tes potes de banlieue mais c’était pour des concerts de punk rock. Comme quoi, tout se tient. Quand on te propose enfin d’y jouer, au Palladium, tu sors cette phrase qui va devenir culte dans les années 1990 : « Vous voulez dire jouer en live ou mixer ? » La personne au téléphone ne comprend même pas la question. Du coup, tu montes sur scène avec ton petit équipement (Oberheim 1000 et Roland 106) et tu fais un carton. Tu te souviens des loges du Palladium où tu avais failli baiser avec ta meuf de l’époque, Margaret, avant que le manager de Sonic Youth ne vous vire à coup de pompes dans le cul. Mais, quelle vie quand on y pense… Bref, c’est ici que les choses se compliquent. Tu vas devenir célèbre et du coup, récolter pas mal de beignes. Lors d’une tournée avec Aphex Twin que tu vénères, tu dois affronter son silence méprisant avant que celui-ci ne te critique ouvertement pendant une conférence de presse parce que tu joues de la guitare sur scène et qu’en cela tu n’es pas « un vrai musicien électro ». Parce que c’est aussi ça, les années 1990. Ta vie « bruyante » qui fascinera tant Salman Rushie quand il te lira, 25 ans plus tard, est faite de décalages horaires, de manques de sommeil et de vols qui s’empilent. Au début, tu ne bois pas et c’est déjà dur mais alors, après 1995, c’est vraiment la débandade… tu es connu pour jouer torse nu et taper comme un malade sur ton clavier avant de te jeter dans la foule. Rock’n roll… Au passage, personne ne note que tu attribues la chanson Wild is the wind à Bowie alors que non, bien sûr que non. C’est Dimitri Tiomkin et Ned Washington qui l’ont composée en 1957 pour le film du même nom. Bah, comme finit par te le dire Bowie lui-même que tu croises un soir par l’entremise de Trent Aznor (Nine inch nails) : « Profite donc mon ami, avant que ça ne devienne trop compliqué. »

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« Quand j’avais 7 ans, j’accompagnais souvent ma grand-mère dans le bureau de l’église presbytérienne de Noroton Heights. Elle était bénévole et s’occupait de la lettre hebdomadaire de l’église. Je m’installais dans le grand placard où étaient rangées les fournitures et je jouais avec les stylos et les crayons pendant qu’elle tapait les dernières informations de la paroisse avant de passer les feuilles dans le Ronéo. » Tu es devenu célèbre après un coup de génie, en mixant la musique de Twin peaks avec tes trucs de dance-floor. Ça s’appellait Go ! et ça cartonnait un max. Tu te retrouves aux platines en Angleterre et c’est un peu comme à New-York, sauf que le public local est blanc et hétéro. Tu finis par quitter tes crèches minables pour t’installer sur Mott Street, dans un vieux bâtiment des années 1840 qui a servi successivement de prison, d’hôpital et d’abattoir et qui est alors tenu par la mafia. Là-bas, tu croises Iggy Pop et Gibby Haynes des Butholes Suffers. Tu hallucines. De retour à Londres, tu passes à Top of the popS et dans l’avion du retour, tu penses qu’il est important de noter dans ton livre que l’hôtesse qui te reconnaît commence à flirter.

https://youtu.be/g1XeLn6zFjY

Un tee-shirt de Kylie Minogue. Tu commences à voir le bon côté de la célébrité. Tu changes de cap, clairement. « J’avais envie de vivre des soirées avec des filles saoules et défoncées qui laissaient des bouteilles de Jack Daniels à côté de petits savons Dial emballés dans la salle de bain de l’hôtel. » Ta grande période Gonzaï va commencer et d’ailleurs, tu vas enfin écrire un chapitre potable (le 45 : des cheetos sur sol du casino). On est au Baby doll lounge à Tribeca dans un bar où les filles se déshabillent. Le DJ joue du Alex Chilton, les filles descendent de la scène et ont enfilé des tee-shirts. « On a pris notre courage à deux mains pour leur offrir un verre. Très vite on leur a avoué que c’était la première fois qu’on venait dans ce genre de club, mai elles étaient ravies parce qu’on était plus rassurants que les accrocs à la méthadone et les clodos. » Bref, tu t’es remis à boire et tu sens bien que ça ne plait pas trop à Jésus. Ça se déclenche à San Francisco avec des vieux potes eux-mêmes alcoolos. Tu retrouves l’ambiance des vieux rades que tu aimes tant. Les endroits où personne ne te juge lorsque tu bois pour faire passer ta gueule de bois. Tu te teins donc les cheveux en blond avant de devenir complètement chauve. Le mec qui manage tes tournées, on va dire ton tourneur, est un ancien bassiste de Stiff Little Finger (personnellement, ça m’interpelle). Tu retrouves Jeff Buckley au festival de Lollapalooza où tu es d’abord vexé de ne pas jouer sur la grande scène. Mais quand tu vois Beck y jouer à 3 heures de l’après-midi devant un public réduit, tu es finalement soulagé. Buckley – tu le notes – porte un tee-shirt de Kylie Minogue et toi, en revanche, tu as laissé tomber cette espèce de veste verte fluo qui te fait ressembler à Kermit la grenouille et que Nina Hagen t’a donné parce qu’elle a proclamé que tu étais une star. Et, en effet, c’est bien ce qui va finir par arriver. On connait d’ailleurs tous parfaitement la fin de l’histoire.

Porcelain, Moby, éditions du seuil (traduit de l’américain par Cécile Dutheil de la Rochère), été 2016

 

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