Pour en savoir un peu plus sur cette galette à 15 euros qui ravage le physique, le mental et rend l’amitié ou l’amour si problématique, je suis parti à la rencontre de ces mal-vivants qui vivent dans un Paris méconnu entre Stalingrad et Porte de la Chapelle. Bienvenue à Crackland.

Une fin de journée d’automne, j’arpente le boulevard Richard Lenoir. Un homme sort de nulle part, un sourire de chat aux lèvres ; ses mains sont calcinées, des crevasses entaillent ses doigts jaune zinc. Il me demande mon briquet pour cinq minutes, je lui tends, il s’en saisit et s’enfonce dans un épais buisson. Je l’attends sur le banc d’en face, plusieurs idées me trottent dans la tête, mais je conclus qu’il est parti se shooter au crack.

Au fil de nos échanges, j’en apprends plus sur sa vie. Il travaille dans une école et personne ni même ses proches ne se doute qu’il se shoote. Mais avec cette drogue, il a peur d’être un jour renvoyé, de faire exploser en vol ses relations sociales. Il ne peut pas en parler à ses amis, car ils ne le comprendraient pas. Il évoque également la première personne avec qui il a pris du crack. Toute sa vie, il lui en voudra. Il aimerait décrocher, mais la drogue est plus forte que lui. Je suis surpris par sa gentillesse, sa sensibilité extrême. Sa voie est douce et malicieuse, son regard plein de bienveillance.

To buy or not to be

C’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui fume ça – un crackhead, comme on dit. Quelque chose d’électrique émane de lui, ça m’attire. Je me rend compte que ces personnes, si peu visibles, sont plus que l’image qu’on veut bien en voir, par exemple, dans le métro. C’est même l’opposé du LSD ou de l’héroïne, portés au grand jour par des auteurs comme Artaud ou Burroughs, des chanteurs comme Neil Young avec The Needle and the Damage Done et des films cultes comme Requiem for a dream, Trainspotting ou Panique à Needle Park. Quant au crack, à ma connaissance seuls quelques rappeurs l’évoquent d’une manière souvent rédemptrice et cryptée. Guizmo, par exemple dans le single Pardon, extrait de son dernier album « Amicalement vôtre » : « Putain qu’est-ce qui m’arrive ? Besoin de prendre le large. Marre de vendre le crack, entouré de cette bande de barges. Et peu importe le flacon, nous tout ce qu’on veut c’est l’ivresse » : 

 Stalingrad : les trois comparses de la Rotonde

Trois personnes assises sur un banc, pipes à la main, l’un a la cinquantaine, un chapeau fixé sur sa tête, la barbe grisonnante ; il est accompagné d’une jeune femme, coiffée de deux gros chignons et d’un jeune homme tatoué, comme un livre, plein les mains. Nos échanges débutent comme une négociation autour d’un vélo à vendre pour vingt euros, mais très vite nous parlons des effets du crack. L’homme à la cinquantaine me dit que sa consommation est quotidienne. Il ne mange pas, ne boit pas. Une galette c’est 15 euros, c’est violent, trop violent pour lui, surtout la phase paranoïaque qui suit chacune de ses prises. La montée dure entre 20 et 30 minutes. L’effet du crack, c’est de l’adrénaline pure. Ça monte bien, un flash avec un bon goût. Une sensation de supériorité le gagne, comme s’il se sentait vide, comme si cela se passait entre lui et le ciel. Il se prend pour Hulk alors, un super héros, puis ses yeux se fixent par terre, il cherche partout, c’est la phase paranoïaque qui commence… La jeune femme, elle relève le fait que « certains sont chelous lorsqu’il fume, ils se grattent partout ! » 

Quant au jeune homme, il a vu dans le métro des usagers du crack parler aux carrelages. Il ne le souhaite pas à son pire ennemi de tomber dedans, car avec cette drogue, « on en veut toujours plus et on va chercher une solution pour effacer tous ses soucis en sa compagnie« . Elle fait tout oublier et fait parler à la mort. Pour lui, « dans ce monde-là, il n’y a pas d’amis, les personnes qui se shootent aiment la défonce, point barre !« 

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L’homme âgé insiste en touchant mon sac posé au sol, il veut que j’achète son petit vélo à 20 euros, je décline l’offre. Il n’y a rien de valeur dans mon sac hormis des cahiers, notes sans importance. Il me confie qu’avant il prenait de l’héroïne, avait une maison, une voiture. Maintenant, il se trouve pire qu’un clochard, il ne lui reste plus rien. C’est ça l’effet du crack tout perdre, car plus on en a, plus on veut en reprendre.

Quant à la jeune femme, elle est en deuxième année de coiffure, mais ce n’est plus possible de travailler en même temps. C’est le soir surtout qu’elle désire fumer, son école est Porte de la Chapelle, à côté de la colline. A Jaurès c’est de la carotte, mais ici elle peut fumer tranquillement parce que Porte de la Chapelle, elle trouve que ça craint. Ses copines ne le savent pas. Quand elle a commencé, elle s’est demandée s’il y avait beaucoup d’individus qui fumaient ça. Apparemment oui, a-t-elle constaté…

Marx Dormoy : le mauvais rêve

La conversation finie, je rejoins le métro en direction de Marx Dormoy et me trouve en face d’un petit groupe au bout du quai. L’un lit un journal, les autres sont allongés au sol la pipe toujours à la main. Lorsque je leur parle de faire un reportage sur eux et le crack, un homme m’interpelle violemment : si je prends une seule photo de lui, il m’explosera la gueule. Sans doute le dealeur ou plus exactement un « modou », qui signifie, en sénégalais, « celui qui se débrouille »… Je continue mon chemin. Je parle alors à une femme allongée, la cinquantaine, elle trifouille ses affaires, nettoie ses mains, touche son visage sans cesse. Dans sa trousse, un couteau à cran d’arrêt qu’elle effleure par instant.

Elle prend du crack, dans le métro, parce qu’en bas des immeubles c’est interdit. « Et sur le boulevard, c’est encore pire, Jaurès c’est la nuit, pas la journée, y a des enfants c’est pas possible« . Les pouvoirs publics lui avaient promis une salle de fumée, mais elle n’existe pas. C’est fait davantage pour ceux qui utilisent les seringues. Elle n’apprécie pas la salle de shoot, car le temps y est chronométré. « Dis Patrick, tu sors t’as fini ! ».

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Quand on dit crack, ça fait peur, parce que dans l’imaginaire collectif ça fait penser à la violence, aux agressions, aux vols, ça veut dire mal. Certes il y a des gens qui se font poignarder dans ce milieu pour deux euros. Mais avec ses amis lorsqu’elle fume, elle est cool me dit-elle. Elle fume pour passer un bon moment, pas pour la violence. Ça fait à peu près une vingtaine d’années qu’elle consomme, elle a 53 ans, elle a arrêté une fois, en partant hors de Paris à Nîmes. On lui filé de la méthadone, un substitue aux opiacés. Lorsqu’elle évoque ce moment de sa vie, elle s’effondre en larmes. Une fois revenue à Paris avec tous ses potes elle a replongé dans l’enfer, mais aujourd’hui elle aimerait vraiment arrêter.

La drogue des big boss

À la sortie du métro je rencontre, un homme tout jeune des cernes cercle son visage, comme coupé au cutter, il fait la manche, il me demande 40 centimes pour s’acheter un coca. Je lui donne et lui propose un ticket resto. J’apprendrai plus tard qu’il a 23 ans, je lui en aurais donné 10 ans de plus. Il me dit que ce qu’on appelle le crack, ce n’en est pas, on met tout et n’importe quoi dedans : du doliprane, du bicarbonate, etc. Il me parle de sa première prise de « Crack ». Il a vomi, la seconde fois pareille, puis la troisième, c’est passé. Il vient de Lille et maintenant, il arpente le métro comme une petite souris à la recherche de sa galette, son sésame en or, direction Porte de la Chapelle. A part ça, il fait du rap et me propose de l’écouter. Je souhaite l’enregistrer avec mon micro, il refuse. Il me dit de retenir dans la tête ce qu’il rappera. J’acquiesce. Les paroles touchent. Elles évoquent le caractère lunatique et paranoïaque de l’homme urbain, la drogue et le sang qui coule à mesure que le beat se déploie dans sa bouche. Dans son morceau, il était aussi question de débrouillardise, de comment vivre quand tu n’as à pas eu forcement les meilleures cartes dès le départ entre les mains. Ce jeune me parle de sa mère, énormément,  des rapports à la fois compliqués et fusionnels qu’il a pu tisser avec elle.

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Toujours à Marx Dormoy, je rencontre deux personnes, assises plus loin sur le quai. Avec eux, je me dirige en métro à une porte de Paris. Pendant le trajet nous parlons du voyage mental et physique qu’il faut effectuer pour pouvoir s’échapper du monde réel, celui dans lequel on vit. C’est ce qu’ils recherchent dans le crack, quitte à y laisser des plumes. Le plus âgé, une certaine élégance, un long chapeau file sur son crâne, des lunettes de soleil dorées entoure ses yeux. Il me parle de sa vie. sa femme l’a quitté, il ne peut plus voir ses enfants parce qu’il fume, ca fait 23 ans maintenant. La première fois, c’est une de ses amies qui fumait ça, il a couché avec elle, quand elle a tiré sa taffe, elle lui a pris la bouche et soufflait dedans au moment de l’embrasser. Depuis qu’il fume, il a arrêté de travailler. Ou alors, dans d’autres types de jobs : boite de nuit, barman, veilleur de nuit. Sa consommation aussi est quotidienne. Le matin quand il se réveille, ce n’est même pas manger qui l’obsède, c’est la drogue. Cette drogue est plus chic que l’amour. C’est la « drogue des big boss » selon lui. La descente il la gère avec du shit et de l’alcool. Plus tard dans la conversation, il retrace son enfance et son adolescence en Côte d’Ivoire, là où il prit les armes et tua.

Souvent, ils fument en groupe, les yeux vides, les pupilles rouges tellement dilatées qu’on dirait qu’ils sont possédés par un démon. Dans leurs yeux est incrusté le parfait reflet de notre époque, il traduit le vide de notre société consumériste. Une odeur de plastique très particulière se dégage de leurs pipes. Le crack se trouve être de la cocaïne retravaillée, cuisinée avec tout un tas de produits chimiques dont les consommateurs ignorent même la composition. On peut y trouver de la MDMA jusqu’à des pilules contraceptives, semble-t-il.

Il faut que j’aille plus loin. Qui les soigne ? Qui proposent des solutions à ces personnes majoritairement livrées à elles-mêmes ? J’ai voulu me rendre au centre de désintoxication du 18e arrondissement de Paris, idéalement placé, Porte de La Chapelle, mais il est fermé depuis une semaine, en passe d’être démoli.

10 commentaires

  1. Bon papier mais trop court – on dirait du Vice – en mieux quand même.
    Une soirée sur une ligne de métro c’est un peu limité pour parler des cracker quoi.
    En espérant que ça vous a donné envie de creuser (sans mauvais jeu de mot) pour un prochain article plus approfondi.
    Et il y a des solutions, notamment ici à la chapelle pas loin du territoire de votre reportage : https://estrelia.org/centre-horizons/

  2. quel malheur ce genre d’article à sensation qui n’apporte rien … que de la désinformation … car avant d’avancer des choses – par exemple sur un supposé centre de « désintoxication » qui aurait fermé – il faut vérifier ses données … lamentable !

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