Alain Roux s’était fait connaître comme le guitariste entarté de notre enfance ; il vient de s’éteindre à 73 ans des suites d’une longue maladie qu’on appelle l’oubli.

Il aurait voulu être Boby Lapointe, il sera le barbu préféré des 7-14 ans pendant une longue décennie, la notre, la votre peut-être, et le moins qu’on puisse dire de François Corbier, c’est que sa passion du folk aura moins transcendé les foules que ses deux tubes les plus célèbres, Sans ma barbe et Laissez les mamies faire (oui forcément c’était un peu moins puissant que Knockin’ on heaven’s door)

Intermittent de la Société du Spectacle au « Club Do’ » de 87 à 97, Corbier l’aura été jusqu’au bout dans sa propre vie. Orphelin à deux ans et jeté sur la route dès le milieu des années 60, c’est une rencontre avec Brassens en 64 qui lui donne la voix, avant que le barde, plus engagé qu’on l’imagine, ne s’embarque dans une tournée des usines en grèves de mai 1968 aux cotés de Moustaki et Le Forestier. Ces deux derniers feront carrière dans la chanson à texte ; celle de Corbier se réfugiera dans une autre maison bleue, au Club Med, où il deviendra gentil organisateur pour les touristes bronzés…

Largué, Corbier dérive. Il ne sera jamais Dylan – personne d’autre que lui non plus – et à l’âge de 38 ans, alors que tout aurait du être plié depuis longtemps, c’est une bouée pour enfants qui le sauve : la Directrice de l’Unité Jeunesse d’Antenne 2 lui propose de l’engager pour devenir le Henri Dès du service public ; mission qu’il accepte, sans savoir que son pacte faustien consistera à planquer son spleen dans une barbe de père Noël. Ca ressemblerait presque au Phantom of the Paradise de De Palma, sauf qu’il est ici question de recycler les bonnes vieilles blagues à toto pour les neuneus. Pas grave : alors que Dylan publie le disque « Oh Mercy », Corbier, lui, devient superstar dans Pas de pitié pour les croissants. Pas de pitié pour la folk non plus ; c’est fini foutu : Corbier ne sera jamais Boby Lapointe.

Poète et chansonnier devenu Clown, Alain Roux, au civil, a simplement enfilé un masque qu’il lui est devenu impossible d’enlever. C’est le drame français. Alors à la fin des années 90, Corbier reprend la route après avoir fait le tour du cirque médiatique de TF1 : « j’ai arrêté volontairement parce que je ne voulais pas que les gens me détestent. Je recevais des bouteilles sur le coin de la tête… » confiera-t-il plus tard.

Les 20 ans qui suivront, Corbier les passera dans les bois, fauché (cf la triste émission de Delarue où il apparaissait au bord de la ruine), à tenter de résoudre vaille que vaille le terrible qui proquo le concernant : il voulait faire des chansons sérieuses, mais il était connu surtout par les enfants ; les mêmes qui, passée l’adolescence, se foutait de la gueule.

En 2005, et sans être dylanesque pour citer Bryan Ferry, le chanteur publiait « Tout pour être heureux », un étonnant disque en trompe l’œil où le clown, sous couvert de blagues, aurait bien voulu crier au monde qui il était vraiment. Ca fait longtemps que c’était déjà trop tard.

Son dernier album « Vieux lion »,, autoproduit en 2015, était dédié à Cabu : « J’avais souhaité que ce soit Cabu qui me fasse la couverture de la pochette avait-il dit à Nice Matin. Finalement, la photo de l’album a été prise chez Clint Eastwood. Enfin presque… juste en face de chez lui dans une boutique où il y avait une guitare ». Un peu d’humour, toujours. Et puis à force d’attendre, il a finit par mourir de rire. Finalement, et cinquante ans après avoir publié son premier 45 tours publié en 68, Corbier s’en est allé comme sa guitare, désaccordé.

Les temps changent diront certains. La vérité, c’est qu’aucun des disques de Corbier n’est actuellement écoutable sur les plateformes de streaming : personne n’a jamais voulu écouter ses chansons pour adultes.

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