Si tu veux parfaitement maîtriser les relations internationales contemporaines (ou faire semblant, c’est pareil et ça prend moins de temps), nul besoin de se casser le cul à lire Le Monde Diplomatique ou des gros bouquins chiants comme la pluie. Il suffit de regarder deux films d’apparence bien pourraves : "Mega Force", où des supersoldats américains massacrent la vermine communiste (les sales rouges), et "Tarkan" contre les vikings, où un guerrier turque légendaire terrasse la racaille chinoise (les sales jaunes).

7 heures du matin, j’aperçois une lumière blanche. Mon cul, vissé depuis plus de dix plombes sur un strapontin du Grand Rex, a désormais atteint un niveau de bouillie similaire à une compote Blédina, ou au répertoire idéologique d’Emmanuel Macron – au choix. Avec 2000 comparses, je viens de passer une nuit blanche, organisée par Nanarland, à regarder les plus mauvais films du monde dans la plus grande salle de ciné d’Europe (si l’on en croit le slogan du Rex, grosse flemme de vérifier).

Mettons les points sur les pendules à l’heure : on ne parle pas d’un marathon avec deux-trois films vite fait torchés. Ça, c’est pour les faibles. On parle d’une bonne grosse flopée de nanars. Quatre long-métrages projetés en entier, entrecoupés par des extraits et des bandes-annonces complétement pétées. Flash Gordon version turque, Sharkenstein, E.T. réécrit par des évangélistes philippins, The Voice avec des chiens… Les punchlines classiques de Chuck Norris et Steven Seagal mixées avec des compilations de mannequins en plastique ou de morts surjouées.

Le tout dans une ambiance surexcitée, entouré de cinéphiles déviants qui hurlent à la moindre occasion des répliques comme « Philippe, je sais où tu te caches ! Viens ici que je te bute enculé ! Salaud ! » Ou encore « Coupe ! Coupe ! » dès que les testicules d’un personnage se trouvent en mauvaise posture à l’écran.

C’est après cette expérience mi-psychédélique que je vois enfin le bout du tunnel. Dans cet état semi-conscient, je ressens presque la douce étreinte du Seigneur Jésus (pour être tout à fait transparent, je ressens aussi le demi-kilo de tacos cordon bleu / cheddar / sauce samouraï qui fermente dans mon estomac ; la caféine – 2 litres de coca, sans compter le café – n’arrangeant sûrement pas les choses). Peu importe la souffrance, nous avons atteint la terre promise : la diffusion de trois trailers de vieux films porno franchouillards (le meilleur étant Couche-toi je fais le reste, un film « à faire bander les morts » selon ses producteurs).

Mais je digresse. Si vous glandez sur cette page, c’est pour tout comprendre à la situation politique internationale. Et ce, TOUT EN S’AMUSANT ! Pas pour le porno (même si c’est franchement marrant, qu’on se le dise, bande de salopards lubriques). Dans la programmation de cette deuxième Nuit Nanarland, deux anti-chefs d’œuvre cinématographiques se sont clairement dégagés par leur finesse d’analyse géopolitique : Méga Force réalisé par Hal Needham en 1982, et Tarkan viking kani de Mehmet Aslan (1971).

Mega Force : America, fuck yeah ! 

Bienvenue en Galibie (un pays fictif qu’on peut imaginer perdu en plein cœur d’un continent appelé « tiers-monde »), à l’époque bénie des années 80, des brushings de l’espace, et de la tyrannie soviétique. Dans Mega Force, l’Amérique de Ronald Reagan triomphe encore, représentée par un commando de justiciers armés de motocross, de buggies et de gargantuesques paires de burnes (moulées comme il se doit dans des lycras jaunes). Une seule mission : faire comprendre une bonne fois pour toute aux salops d’envahisseurs bolchéviques qu’on ne déconne pas avec la démocratie libérale et la liberté d’entreprendre.

Avec le recul, difficile de ne pas faire la comparaison avec cette même Amérique, désormais zombifiée par Donald Trump, toujours guidée par un amour un poil impérialiste de la liberté – quoiqu’en apparence plus frileux. Alors oui, Trump a fait campagne en crachant sur l’Otan, en promettant un soi-disant repli sur soi, et en polissant bien gentiment ses électeurs avec son « America first ». N’empêche que l’isolationnisme n’est qu’une surface. La politique étrangère de notre ami à la coiffure couleur Cheetos reste un tantinet agressive. Par exemple, lorsque la Corée-du-Nord est menacée de se prendre une pluie de missiles nucléaires sur la tronche. Et puis avec la nuque longue recolorée, pas de doute bordel : les univers coïncident !

Théorie géopolitique, à l’arrache : La Mega Force, c’est l’échec du multilatéralisme illustré. L’approche réaliste et l’unilatéralisme triomphent : tout pour la sécurité national et la force militaire, dans un monde anarchique. L’ONU et les casques bleus (bandanas bleus dans le cas de la Mega Force) servent difficilement autre chose que l’intérêt individuel des Etats les plus puissants. En substance : « Allez les gars, il est temps d’apporter la démocratie dans ces pays aux noms exotiques, balek un peu de la souveraineté des nations ! » Les discours messianiques et l’indépendance des institutions internationales ne trompent personne. Bref, comme dans Team America police du monde (des créateurs de South Park, inspirés par Mega Force justement) : America, fuck yeah !

Tarkan Vs les vikings vs le reste du monde

Dans Tarkan (un personnage adapté des comics turques, qui porte ici fièrement une perruque encore plus imposante que les boules des soldats de Mega Force), la méditerranée est devenu un sacré bordel. La patrie est en danger. Le guerrier légendaire des Huns/Turques (oui oui, Attila bouffait des loukoums, pas la peine de pinailler sur les détails bon sang) n’a d’autre choix que de peigner sa magnifique moustache, et dégainer son épée : les Vikings débarquent pour détruire la Civilisation. Et c’est pas tout, puisque les Scandinaves ont ramené leurs potes chinois (enfin quand je dis « potes », il est évident que ces perfides guerriers asiatiques trahiront tout le monde).

Si on oublie le côté 70s (les gros pompons multicolores accrochés un peu partout, sur les boucliers et les casques), l’analogie est parfaite. Le film peint magnifiquement le monde globalisé et instable dans lequel nous vivons. Plutôt qu’une opportunité pour développer le commerce, la coopération internationale et l’amour entre les peuples, l’ouverture des frontières et la mondialisation poussent juste les uns et les autres à se foutre (un peu plus) des raclées. Toutes les nations n’ont qu’une idée en tête : piller les richesses et violer les femmes des autres. Rajoutez à ça la montée des organisations transnationales type Daech, symbolisées par un Kraken en carton et le bordel est désormais complet. D’autant que le montage épileptique et l’absence de chorégraphie pour les scènes de baston n’arrangent rien à la clarté de l’histoire.

Analyse capillotracté : « C’est clair ! » comme dirait un savant congolais, ce péplum est l’illustration parfaite du « choc des civilisations » du politologue Samuel Huntington. En gros, tout fout le camp : dans un monde multipolaire, les empires réputés balèzes sont mis en difficulté, concurrencés. Et les conflits ne trouvent pas spécialement leurs origines dans l’idéologie ou l’économie, mais dans les divisions culturelles. Civilisations contre civilisations (dans le film, ça donne les Turques – les gentils – versus les européens versus les bridés). Au passage, lesdits bridés ont les yeux bleus : sans aucun doute une critique acerbe mais néanmoins subtile du multiculturalisme.

 

En conclusion, la géopolitique c’est pas compliqué. Surtout quand on fait volontiers des raccourcis fumeux avec des films à la qualité dissidente. Tout le monde passe son temps à se foutre sur la gueule, comme dans les pires nanars de ninjas. Et la source des conflits vient rarement de notre côté, celui des bons (l’Amérique, la Turquie, ou l’Occident – c’est selon). Et le tout donne un scénario décousu difficilement bitable, avec trop de protagonistes, une mise en scène complétement kitch, un jeu d’acteur bien à iech, et des duels ridicules. Bon allez, je crois avoir écrit suffisamment de conneries, il est temps d’aller se pieuter.

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