Les disques, c’est comme les médicaments : tous arrivent chez le journaliste malade avec un mode d’emploi et une posologie à respecter. Mais entre les adjectifs compliqués et les comparaisons foireuses, pas toujours facile de s’y retrouver. Voici donc notre mode d’emploi des modes d’emploi.

Ca fait partie des petits plaisirs de ce petit job qu’est la chronique musicale. Ouvrir le courrier du jour, jeter un œil aux albums reçus, jeter un coup d’œil aux pochettes, et si celles-ci ne contredisent pas les interdictions esthétiques de la Convention de Genève, prendre le temps de lire la biographie qui accompagne l’objet. Depuis 60 ans que l’industrie musicale expédie ces notules promotionnelles, il faut malgré tout avouer que rien n’a vraiment changé. Si 9 albums sur 10 ne méritent même pas qu’on les passe au micro-onde, il n’en est pas forcément de même pour le packaging ; chaque bio comportant en général au moins une phrase qu’on pourrait accrocher derrière son écran, sur le mur des lamentations.
Au cas où vous envisageriez de passer les 10 prochaines années à écouter des albums pour écrire dessus dans l’espoir de vous payer une résidence secondaire à Moncul-sur-la-commode, voici donc un aperçu de ce qui vous attend en quelques exemples tirés de la pile des dernières semaines.

Bio

« Je pense que c’est définitivement ce que nous avons réalisé de plus fort à ce jour ».

Toute bio qui se respecte est accompagnée de propos exclusifs extorqués à un musicien sur les rotules et qui, après avoir enregistré son album pendant plusieurs mois, sait qu’il va devoir se coltiner le service après-vente. Dans 99,4% des cas, lire une phrase telle que « sans aucun doute le meilleur album de MACHIN MACHIN » vous condamne à tout l’inverse, soit une pénitence de 40 minutes où l’artiste montre surtout qu’il serait vraiment préférable de tout arrêter et de partir vivre dans le Larzac pour élever des Labradors transgéniques. (fonctionne pour tous les disques de Katy Perry, Poni Hoax et les vieux groupes de cold wave sur le retour)

Django

« C’est comme si le Daft Punk d’aujourd’hui réécoutait intensément le Air du milieu des 90’s ».

Pour un journaliste ou tout autre préposé à l’écriture d’une bio d’album (le stagiaire du label, en général), les outils stylistiques ne sont pas nombreux pour capter l’audience et le plus efficace, a priori, reste : la comparaison. Qu’on retrouve, en général, plastronnée sur un gros sticker Fnac pour tenter de choper un consommateur qui passerait par là après s’être trompé de rayon (il cherchait un aspirateur). Tout cela pour dire que comparer un groupe à un autre pour faire la lumière sur un troisième, c’est l’une des pires synthèses additives au monde, et rares sont les groupes à en sortir grandis. C’est comme si on tentait de vous expliquer que Jessica93 c’était la rencontre dans un Franprix du Val-de-Marne entre Kurt Cobain et Francis Heaulme, ça marche pas (enfin si, là présentement ça fonctionne mais en général, ça marche pas).

DAf

« Voici un CD de notre premier EP, faites en ce que vous voulez ».

En comparaison avec les biographies de 2 à 3 pages (oui, ça existe encore), recevoir un simple post-it encourageant le lecteur à écouter le disque et éventuellement à s’en servir comme un cale-chaise sonne presque comme une délivrance.

Hinin

« Un combo qui revendique une tradition à la française ».

On ne reviendra pas ici sur les fondamentaux du journalisme musical, et sur le fait que les mots « opus » ou « combo » sont interdits dans le langage courant depuis le Rock & Folk d’octobre 1996, mais lire et relire ces termes à longueur de journée provoque à peu près le même désarroi qu’une voiture rayée revenant quotidiennement chez le même garagiste. Dans ce remake d’Un jour sans fin, le supplice est néanmoins égayé par des tournures divines telles « guitare acoustique malicieuse » (sait-elle cuisiner les paninis ? Stopper la fin dans le monde ? Connaît-elle sa table de multiplication ?) qui permettent de croire en un monde meilleur une fois le disque jeté dans la fosse aux crocodiles que vous aurez pris le temps d’installer dans votre bureau de 3m2 multifonctions.

Quesaco

« Destiné à galvaniser, à éclairer et à choquer, XXX pourrait bien être l’un des albums les plus audacieux de l’année ».

L’utilisation du superlatif dans toute sa splendeur qui, comme dans le cas numéro 1, annonce en vérité tout l’inverse. Une simple mention « attention ce disque peut empêcher la vitre votre iPhone 8 de se briser » ou « c’est moins pire que des reprises de Metallica par Jul » aurait pourtant suffi…

Homo

« The Lovely Eggs s’est formé à Paris en 2006 après qu’un pigeon ait abandonné deux œufs dans son nid sur le rebord de la fenêtre. Après l’éclosion des œufs, ils ont monté un groupe ».

Le contrepoint absolu a tout ce qui a été dit précédemment : voici une punchline géniale qui sera sans doute reprise par les journalistes en manque d’inspiration pour leurs chroniques, et qu’on devrait citer dans les écoles comme un modèle du genre. L’histoire, en revanche, ne dit pas si le groupe a bouffé les oiseaux.

Pigeon

« De l’éclat des guitares, au crescendo des refrains en passant par les percussions frénétiques de Halvard, on est fasciné par l’immédiateté et la maturité confiante que ce jeune groupe dégage ».

Tu te souviens quand t’avais pas révisé pour son DS de philo et que tu faisais des phrases très longues et très compliquées pour tenter d’endormir le prof avec 10 pages d’un charabia incompréhensible ? Ben voilà, la preuve par l’exemple que longueur ne rime pas forcément avec précision. Dans le cas présent, il aurait simplement fallu écrire : « un jeune groupe de rockeurs de Brooklyn qui vient de sortir un EP digital ».

Sloft

« Le chemin vers XXX est celui auquel vous pouvez danser ».

L’erreur dite de « la chute sur la dernière marche » ou quand, alors vous étiez en train de réaliser un sans faute en ayant évité de raconter un peu n’importe quoi, vous vous emmêlez les pinceaux dans une phrase qui ne veut plus rien dire. Avec ça, ça va pas être facile de redorer le blouson du groupe…

Hyper

Voilà, vous êtes désormais paré(e) pour écouter plein de disques en 2018. Un seul conseil pour tenir toute la saison sans finir écoeuré : ne jamais lire les bios, et attendre que l’artiste devienne mort et célèbre afin de les revendre à prix d’or sur eBay.

7 commentaires

  1. Le dernier exemple, fabuleux, est à ranger dans la catégorie pléthorique des « bios vite et mal traduites par un stagiaire parce que le label n’a plus les moyens de se payer un vrai traducteur ». Je connais bien.

  2. j’ai toujours pensé que plus le label et l’attaché presse en tartine des tonnes sur un l’album plus cela est signe que le propos de l’artiste est proche du vide abyssal total (exemple récent,le paluchage pseudo retro furiste varietoche estampillé 4F telerama catho prout prout en 2014 pour l’album Bambi Galaxy de florent marchet)

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