Quel rapport entre l'auteur hémophile verbal Thomas Pynchon, le styliste typographe halluciné Mark Z.Danielewski et le poète aux dix mille alexandrins Vikram Seth ? Réponse, Cl

Quel rapport entre l’auteur hémophile verbal Thomas Pynchon, le styliste typographe halluciné Mark Z.Danielewski et le poète aux dix mille alexandrins Vikram Seth ? Réponse, Claro.

Traducteur infatigable, directeur d’édition et bloggeur à ses heures perdues, Claro donne voix aux œuvres les plus complexes de la littérature américaine. Livres de la démesure, de l’expérimentation, qui poussent leurs lecteurs, et a fortiori leur traducteur, dans leurs ultimes retranchements, les « Monstres Littéraires » ne servent pas qu’à caler les armoires.



Tu as commencé comme correcteur dans une maison d’édition, puis auteur (Ezzelina et Insula Batavorum aux éditions Arléa). Comment es-tu devenu traducteur?

Denis Roche, qui dirigeait alors la collection Fiction & Cie aux éditions du Seuil, me connaissait par mon premier livre et savait mon intérêt pour Pynchon, puisque j’étais intervenu sur la traduction de L’arc en ciel de la gravité. Il m’a donné un livre en lecture (Kilomètre Zéro de Thomas Sanchez), et j’ai réalisé un essai de traduction dans le cadre de la fiche de lecture. Denis m’a alors proposé de le traduire en entier, et j’ai accepté.

Tu dis qu’il « faut être écrivain pour traduire puisque l’activité de traduction représente 50%de destruction et donc de recréation ». Comment appréhendes-tu ce travail de gros œuvre?

On pourrait considérer le travail de traduction comme un laboratoire, où l’on écrit sous une dictée, ce qui oblige à de la souplesse, de la rigueur, de l’inventivité. C’est donc un exercice d’écriture qui ne peut qu’enrichir le travail de l’écrivain. Paradoxalement, il faut se protéger des tentations mimétiques. La pression est donc double.

Tu t’attaques souvent à des monstres de la littérature comme Salman Rushdie (Furie) ou Vikram Seth (Golden Gate). En 2001, tu as traduit Mason & Dixon (Seuil) de Thomas Pynchon en collaboration avec Brice Matthieussent (qui a traduit entre autres Charles Bukowski ou Bret Easton Ellis). Comment se déroule une traduction à quatre mains?

Chacun faisait tel ou tel chapitre selon sa disponibilité, puis refilait le bébé à l’autre qui intervenait librement dessus, afin qu’on obtienne au final une homogénéité du texte. On se répartissait aussi les difficultés, Brice se coltinant les problèmes techniques ou scientifiques, tandis que je travaillais plus particulièrement l’aspect dix-huitième siècle du style. Le fait que le roman mette en scène deux personnages nous a également aidés à structurer notre appréhension de ce travail à deux mains.

As-tu des méthodes personnelles de travail en tant que traducteur?

Bien connaître l’œuvre de l’auteur est indispensable, afin de déterminer si tel ou tel choix stylistique est chez lui une habitude, une audace, un risque. Il est important aussi de faire des lectures périphériques. Il faut voir des peintures, des photos, des documents, te créer un univers familier. Mais c’est surtout au texte traduit d’imposer sa méthode de traduction.

Tu as traduit Pynchon, auteur culte américain dont les romans tortueux excèdent souvent les mille pages. Très long à lire donc. Je me demande quel temps cela peut-il prendre à traduire?

Le temps que te donne ton éditeur. Pour Contre-jour (Seuil 2008) j’ai eu un an et demi. Il faut être sûr de pouvoir le faire dans le temps imparti. Traduire bien ne peut pas excéder vingt feuillets par jour (1500 signes par feuillet). Il faut trouver un rythme. Pour relire, j’attends toujours d’avoir tout fini. Le temps de la traduction n’est pas le temps de la lecture. C’est important de traduire vite. Dans un premier jet, tu gardes la vitesse d’écriture, alors que plus tu t’appesantis, plus tu perds le mouvement. Dans la traduction, il s’agit de recréer les conditions de production du texte. Donc, totale adéquation, ce qui exige dissolution de l’ego. C’est le texte qui détermine les formes et les limites de son interprétation.

Tu fais souvent la distinction entre langue anglaise et américaine. De quel ordre sont les différences?

C’est assez instinctif. Disons que l’américain est davantage du côté du flux, tandis que l’anglais reste proche de la notion de style à la française. Mon intérêt est pour la langue américaine mais je n’ai pas de passion pour l’espace ou la culture américaine. Quant aux Anglais, ils sont plus proches de nous dans le traitement, la psychologie. Pour Salman Rushdie, issu d’une formation universitaire britannique, quand il est arrivé à New-York, il s’est mis à écrire plus américain qu’un américain. C’est vraiment une autre langue.

L’entertainisation de la littérature n’entraîne-t-elle pas une paupérisation de la traduction? Par exemple, le dernier Dan Brown a été traduit en cinq semaines. Qu’en penses-tu?

Ce n’est pas tant le temps de traduction. Le niveau baisse parce que tout le monde s’improvise traducteur en anglais. En plus, le travail des éditeurs, des relecteurs diminue. Avant, on pouvait avoir des remarques pertinentes sur la traduction. Même si tu es un bon traducteur, ça arrive de se tromper. J’ai envie d’éditeurs qui font des remarques. Une traduction finie peut encore être améliorée de 15%. Il faut un troisième œil.

De plus en plus de livres ont des sorties mondiales qui nécessitent des clauses de confidentialité. As-tu déjà traduit des œuvres « top secrètes »?

Il y a un exemple mais il est épouvantable. Quand j’avais traduit les mémoires de Margaret Thatcher. Ils nous ont fait signer des papiers pour que rien ne soit divulgué.

Quel serait ton fantasme de traduction?

Don Quichotte, mais je ne parle pas espagnol, dommage.

Parmi les dizaines de milliers de pages que tu as traduites, quel est l’ouvrage qui t’a donné le plus de fil à retordre?

O Révolutions, de Mark Z. Danielewski (Denoël et D’ailleurs 2007). Il fallait tout refaire, j’avais l’impression de traduire en braille…

Tu es aussi un écrivain traduit en anglais. Ton roman Chair électrique (Editions Verticales, 2003) a été traduit par Brian Evenson. Comment s’est fait le choix du traducteur?

Il se trouve que je publie Brian Evenson dans ma collection Lot49. Je savais qu’il était traducteur, les choses se sont faites naturellement. C’était fascinant de le voir trouver des solutions, de comprendre aussi que je n’aurais pas pu faire le travail dans l’autre sens.

Outre la casaque de traducteur et celle d’auteur, tu es aussi éditeur. Ta collection « Lot 49 » aux éditions du Cherche-Midi, est spécifiquement tournée vers la fiction américaine. Quelles sont pour toi les spécificités de cette littérature?

La littérature américaine (une certaine littérature américaine, disons…) entretient un rapport beaucoup plus décontracté et naturel avec ce qu’ici on qualifierait d’expérimentation ; ce qu’on considère comme du travail de laboratoire est pour eux davantage une expérience de liberté textuelle.

Pourquoi l’expérimentation reste-t-elle une forme littéraire sous-représentée, voire méprisée en France?

On a en France un rapport au style, à la grammaire,… Il y a des choses qu’on ne se permet pas. Dans la structure, si tu proposes des choses folles, on te dit que c’est trop luxuriant (on n’est pas des latino-américains !). Qui fait autre chose que du roman bourgeois? Et pourtant, un livre est et doit être une expérience. C’est vivant. Il n’y a pas de notion de progrès en littérature. C’est juste une façon de se positionner face à la langue.

Tu participes aussi à la revue Inculte, qui édite de la fiction, des essais, des ouvrages collectifs. Est-ce un laboratoire pour Lot 49 ou une toute autre activité? (Certains textes collectifs de « Inculte » paraissent au Cherche-Midi, NDR).

Inculte est un laboratoire pour plein de choses, à commencer par l’amitié. C’est un lieu de croisement et d’échange, ce que Mathieu Larnaudie appelle une « communauté dérivante ». Chacun apporte sa petite musique et on essaie des instrumentations. C’est un petit lectorat. Deux mille personnes dans le meilleur des cas. Il ne faut pas l’identifier comme un mouvement ou une ligne. Quand on fait une rencontre, on veut la partager.

Totalement boulimique d’écriture, tu tiens aussi un blog, Le Clavier Cannibale. Que tires-tu de cette expérience dématérialisée?

Décliner une œuvre en cours, de façon plus libre, aller aussi plus directement vers une « audience », faire circuler des informations sur le travail des autres, pas que le mien. On ne sait pas encore vraiment les répercussions du travail de la blogosphère. Là aussi, donc, labo. Et puis c’est une nouvelle écriture. Une autre exigence. J’apprends des choses que je réutilise après. Et puis c’est un prétexte pour écrire tous les jours.

Pour terminer, aurais-tu un coup de cœur littéraire à nous faire partager?

L’ombre des montagnes de Marie Frering chez Quidam (sortie le 11 Février). Un roman en français. Une nana qui a passé quelque temps à Sarajevo. Plus rien n’est normal dans cette ville, du coup la langue elle-même se modifie, s’adapte.

http://towardgrace.blogspot.com/

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