Le mauvais goût est-il un attribut typiquement féminin ? Certes, mon cas est extrême : je ne sais pas parler de musique. Pire, je ne parviens à m'enflammer que du fait de mauvaises raisons, le plus souvent l'aspiration (un brin pathétique passé 15 ans) de prendre le contre-pied du courant majoritaire. C'est d'autant plus gênant que chez Gonzaï, je pourrais trouver au bas mot une dizaine de camarades capables de rendre évidente la filiation entre le rock garage 60's et l'Eurodance.

Au quotidien, je parviens donc assez bien à me retenir de répandre mes analyses musicales vaines. Pourtant, à défaut de théories musicales défendables, j’avance avec deux certitudes : je ne suis vraiment touchée que par les musiques froides, si possible électroniques, dont les effets sonores parviennent à saisir mon attention et à la retenir quelques minutes et comme dans les pornos, je préfère quand ce sont des filles qui ont la vedette (exception faite pour Dave Gahan et Trent Reznor). Partant de là, lorsque éteinte devant mon ordinateur, un morceau parvient à faire osciller mon tronc de l’avant vers l’arrière, je peux considérer que c’est une bon morceau et le dernier album de Grimes réunissait alors les conditions pour me sortir de mon mutisme.

Mais voilà, le verdict est tombé et Grimes vient se faire traitée de fausse petite sorcière sur Gonzaï. La messe est dite, il est temps pour moi de détourner le regard. Mais comment expliquer que l’album de Claire Boucher, si délicat à mes oreilles, se fasse si radicalement descendre par un camarade ? Et pourquoi ai-je tendance à apprécier des artistes que l’ensemble des mâles (dominants) de la rédaction ne prendra même pas le temps de dézinguer tellement il paraît évident qu’il n’y a rien à en tirer ? Deux hypothèses, ne s’excluant pas, se présentent à moi : soit mes références musicales sont à revoir, soit mon statut de fille m’amène à apprécier des trucs… de filles. Plus clairement, s’il existe des romans et des films pour filles, pourquoi n’existerait-il pas de la musique de filles ? Et dans ce cas, le concept se borne-t-il à celui de musique trop mièvre pour pouvoir intéresser la moitié du genre humain ?

Sans évoquer la variété fadement doucereuse qui ne saurait combler que les âmes en perdition, l’univers d’artistes telles que Kate Bush, Tori Amos et consorts parle-t-il autant aux hommes qu’aux femmes ? Quiconque est déjà allé à un concert de Tori Amos et a pris la peine de jeter un œil à la composition du public ne pourra me contredire : la musique de fille est une réalité tangible. Mais si j’ai une petite intuition de ce que peut être la chick mu(sic), peut-être faudrait-il me confronter au cliché pour vérifier que celui-ci ne se limite pas à l’association chant gémissant/ mélodies larmoyantes/sexualité revendiquée mais jamais complètement assumée.

Alors qu’enfant ma mère mettait un point d’honneur à m’offrir des petites voitures et autres jouets (ennuyeux) de garçon, j’ai bien conscience que le fait d’évoquer une réflexion genrée sur les goûts des individus représente le summum du parti pris réactionnaire. D’ailleurs en me baladant sur internet, je constate que les médias, pourtant très bavards lorsqu’il s’agit de causer chick lit et chick flicks, snobent le sujet. Pourquoi, alors que l’on cède sans problème au sexisme pour évoquer les livres et les films destinés à un public féminin, est-il si délicat de franchir le pas en matière de musique ?

La différence tient sans doute dans le fait qu’à l’inverse des chick flicks/lit, ce qui se trouve être de la musique de filles n’est pas un objet sciemment destiné à un public féminin – et je le répète, je ne parle pas ici des comédies musicales inoculées par TF1 dans la petite lucarne des ménagères de moins de 50 ans. Elle n’est pas non plus créée selon une recette générique susceptible de combler un moment les frustrations des femmes en recherche d’amour et de reconnaissance sociale. Souvent fruit des errements personnels d’artistes rompu(e)s à l’exercice de la dissection d’états d’âmes, il serait malvenu d’assimiler ce triangle des Bermudes musical à un produit destiné à rassasier une cible marketing définie. Notamment délectable parce que capable de ne toucher qu’un spectre limité de la population, la musique de fille, telle un plafond de verre, reste invisible.

Alors oui, je t’entends zélé lecteur moustachu, fan de Kate Bush et à qui Tori Amos a fait écraser une larme le 13 juin 2005 lors de l’étape parisienne de son Sinsuality Tour. Je t’entends me murmurer que catégoriser comme je viens de le faire est symptomatique d’une certaine fainéantise intellectuelle. Je t’écoute et je me tais car pour moi, il est déjà trop tard : en me cantonnant ces derniers mois à écouter en boucle Lana Del Rey, j’ai fini par annihiler le peu de sensibilité que je possédais pour finir par n’être capable que de prêter attention aux débats sur le ratio quantité de silicone injecté /crédibilité d’un(e) artiste. Alors oui, c’est un fait, il temps pour moi de revoir mes références musicales.

12 commentaires

  1. En fait, moi aussi je trouve à l’album de Grimes des atouts, des titres vraiment bien branlés (sic, vu le sujet) et bien que l’album soit usant sur la longueur, voire résolument eurodance cosmopute, « Oblivion » est un titre qui se regarde dans les yeux sans honte. Ce papier vaut donc repêchage, quelque part.

  2. Yo Ismene,
    Cool d’avoir un contre papier sur Grimes. ça me conforte dans mon idée que l’année 2012 commence dans le néant musical le plus total.

    En disant que tu vénère Grimes, tu n’es surtout pas à contre courant. 20 000 fans sur son FB, je pense qu’elle est bien installée et toi à fond dans le truc. Tu en as parfaitement le droit.

    Dire que c’est de la musique de fille pour fille, ouais, comme Justin Biberon fait de la musique d’ado pour ado, etc. ça ne rehausse pas la qualité de ce qu’elle fait.

    Me faire traiter de macho moustachu, pourquoi pas, j’assume donc, comme on me traite d’artiste raté et aigri à chaque fois que je suis négatif dans une chronique. Pourtant j’écris aussi des choses positives sur des filles qui chantent bien et ont appris la musique, je ne sais pas comment dire mais ça se sent quoi. Après 15 ans de classique (en tant que mélomane et critique) à écouter 2 disques par jour mon oreille s’est un peu forgée, sans doute un peu trop certainement par rapport au reste de la population.

    Tu dis que que la musique doit te faire réagir comme un bon porno. C’est ta façon de comprendre la musique et je la respecte.

    Aussi, parmi les rédacteurs de Gonzaï, il y a aussi des filles qui n’aiment pas Grimes, ça existe. Elles ne sont peut-être pas normales ? N’assument pas leur féminité ? Ont mauvais goût ?

    Moilà, pas facile de développer un argumentaire dans une petite lucarne.

    Bises

  3. Je crois qu’au delà d’une question de sexe, les goûts (musicaux et en général, sauf si l’on parle de crochet, de tricot etc.) c’est surtout une question de sensibilité; selon la pensée largement répandue elle est différente d’un homme à une femme; j’aime à croire toujours que cette sensibilité se situe au dessus des parti(e)s.

  4. Marrant ce que tu dis Blandine, suis d’accord avec toi sur le fond, on peut être un mec et aimer Grimes, la preuve Bester en personne (si ça c’est pas un tapis rouge!). Je ne suis pas donneur de leçons mais bon, dans la musique il y a le sexe ok mais aussi les trippes, le coeur et la tête. Si Ismene y entend du sexe (j’ai beaucoup de mal par contre là), perso je n’ai pas entendu un semblant de trippes, le moindre battement de ventricule, la plus petite pensée philosophique. Bref, rien.

    Aussi si j’ai traité Grimes de fausse petite sorcière c’est que la fille (qui fait de la musique pour filles) aime à dire dans ses itw que petite elle se prenait pour une sorcière et jetait des sorts à sa famille (hum hum déjà). Alors je dis qu’elle est fausse parce qu’une vraie sorcière aurait réussi à m’envoûter et même sous speed (quand même !) elle n’arrive pas à délirer, froid et inconsistant, sans âme, à jeter comme un hamburger avarié.

    Je vais arrêter là, il y a tellement de femmes qui font de la musique de femmes pour tout le monde avec du sexe, des trippes, du coeur et de la cervelle que ça m’exaspère de parler sur un cas aussi naze que ça. Les femmes méritent bien mieux.

  5. Lana c’est le mauvais goût… Mais je crois bien que Grimes c’est juste un goût, comme on parlerait d’une couleur ! Défendable ou détestable donc, selon qui ou quoi ! Car il semblerait (au vue des différentes critiques) que bien des hommes soient friands de la canadienne tout comme ils ont pu l’être par le passé, de Peaches ou Fever Ray 🙂

  6. Beurk!
    Je n’ai pas pu lire le titre proposé ici mais je viens de m’en farcir 3 sur youtube (je suis un peu maso en fait)et ça ressemble à tous les cd de méditation new-age années 80 avec des gros synthés sirupeux(Enigma,Mike Oldfield dans les années 90 ect…)
    En gros,pas de rythme,toujours les mêmes sons et voix trafiquée comme une voiture volée

  7. J’ai commencé par lire « étreinte devant mon ordinateur ».
    Bon bah j’ai récemment vu sur Facebook qu’un pote aimait Grimes donc d’emblée le débat… voilà quoi. Et puis moi Tori Amos, ça m’a toujours vachement plu parce que ça explose les cadres féminins/masculins je trouve. Je sais pas si la nana de Grimes fait de même… Ce qui me dérangerait plutôt vu d’ici c’est, comme semblait le dire le Poulpe, une certaine manière d’instrumentalisé les codes de la petite musicienne barrée féérico-gothique alors que bon elle a pas l’air de pisser loin non plus, sans vouloir tomber dans la métaphore macho-man of course 😉

    Sylvain
    http://www.parlhot.com

  8. Je VEUX voir le porno avec Dave Gahan et Trent Reznor !! (hein, comment ça j’ai rien compris ?)

    Le Poulpe, si 20 000 fans sur un site facebook faisait que l’artiste était « installé dans son truc », putain, il y aurait un embouteiilage à la sacem hein…

    « MIA », coupe « Millenium », mouais, ça fait vraiment « références qu’il faut pas aligner » hein et bon, passer 15 ans, c’est juste pathétique Benway ;))

  9. @stéphane : je note « voix trafiquée comme une voiture volée » ça me resservira, thx !@Sylvain : je te rassure c’est bien une fille qui fait des chansons de fille pour filles et garçons qui aiment la musique toy et se tripoter le nem en faisant des vocalises devant la glace
    @Maxence : Tu as sans doute raison mais on a tellement l’habitude de défendre des groupes (parfois très bons) qui n’ont que 324,33 fans que ça m’a un peu impressionné (dans le mauvais sens). Ton « Juste pathétique » résume bien le tout.

    Bon, cette fois ci j’arrête

  10. bon ma compagne écoute du gros hardcore et est abonné à mad movies et pour autant n’est pas un garçon manqué ( je n’ai pas trouvé mieux que cette vilaine expression on ne parle pas de fille manqué mais de tapette…) ni une camionneuse

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