Ces heures-là sont les plus belles. On les sent venir sans savoir quand elles vont se décider à frapper. O

Ces heures-là sont les plus belles. On les sent venir sans savoir quand elles vont se décider à frapper. On quitte Paris et ses bars, ses jolies filles et ses vieilles femmes. On emporte son alcool dans nos veines comme une bénédiction. En se rendant compte que nos beaux habits sont tâchés de bière ou de calvados, on a décidé que ce n’était pas si grave.

On ne pense plus aux conneries proférées avec joie. On ne cherche plus une culpabilité bien grande, bien sage, bien ennuyeuse. On se ne demande plus si elle rappellera, si on la reverra, si on lui refera l’amour debout.

Tout est pardonné. Tout est oublié.

La plaine s’écarte sur notre passage. Une bande d’asphalte perdue au milieu de la boue. Les décors que nous traversons portent les symptômes de la moisissure. Les lampadaires halètent de chaque côté de notre trajectoire, un ton dans le gris, le noir, le bleu pétrolier rouillé.

Mais ce qui nous ronge tous les jours n’a maintenant plus d’importance.

Alors que le ciel n’est qu’un nuage, nous entrons dans le vide de la vitesse. Verdun s’efface tandis qu’on ne sent plus les relents de la bauge, enfin. Aucune tâche sur le tableau de notre plaisir.

Et ce truc nous nettoie. Nous purifie, comme une pilule du lendemain. La nausée nous quitte quelques minutes qui seront comptées jours. Pendant un instant on est passé dehors. On est sorti. On a commencé à voir la lumière. On est devenu bruit de fond.

Ce soir-là c’était en rentrant du concert de Cheveu, après l’interview…

Comment vous êtes-vous rencontrés?

On se connaît depuis super longtemps. On était au lycée à Bordeaux ensemble. On avait même un groupe au lycée. Les Bloody Potatoes. C’était pourri (pour rire ?). C’était sympa. Le chanteur est gendarme maintenant.

Depuis combien de temps vous jouez tous les trois?

Ça fait cinq ans maintenant. Notre premier concert c’était la fête de la musique. On a joué dans le dixième, au-dessus des voies ferrées, à Louis Blanc. On est un pur produit de la fête de la musique.

Comment vous avez élaboré votre musique ? Une guitare, des machines, ça peut être très raté non?

Ça vient juste d’un piano qu’on a trouvé, on l’a branché dans un ampli avec un son saturé, on trouvait ça bien. On se faisait un peu chier, c’était pas hyper réfléchi.  Un peu le hasard, on joue des morceaux, on lance la boîte à rythmes et chacun essaie de faire son truc. Le morceau Unemployment blues qui est sur l’album, c’est hyper spontané, c’est la première fois qu’on le jouait. Enregistré en répète, juste avec deux micros à la con, dans une salle avec du lino. Souvent c’est ce qui est le plus marrant, le son est involontairement super cool, ça rend plus vivant. Faire au plus simple, c’est le seul truc qui marche. Y’a très peu de breaks programmés, on arrive ni à compter ni à s’arrêter. Y’a un coté un peu déroulant…

Beaucoup de groupes en ce moment jouent des morceaux sur un nombre d’accords très limité, ils jouent primitif, répétitif, hypnotique…

Parce que c’est facile à faire.

Pas tant que ça, on peut vite se faire chier.

Ça arrive aussi. Mais quand tu ne joues pas trop bien, il y a une petite dose d’aléatoire qui ne te permet pas de rejouer à chaque fois la même chose. C’est dans l’imprécision du bordel que c’est intéressant. On essaie d’introduire du hasard, de l’inattendu, un peu contre la loi de l’efficacité. Au contraire des derniers mixs d’ailleurs (45t Like a deer in the headlights/C’est ça l’amour chez Born Bad), où on a choisi d’aller vers un truc super produit, hyper pop, histoire de changer. On est pas non plus dans un délire non-technique, on va pas essayer de faire un truc fondamentalement débile juste pour le plaisir de faire un truc qui sonne enfantin, punk à chien de base.

Cette absence de calibrage prends toute son ampleur sur scène…

C’est vrai qu’on peut s’autoriser des grands moments de liberté. C’est la grosse épreuve de la liberté, mais c’est ça qui est bon. Tu te plantes trois fois sur quatre, mais des fois y’a la gravasse (sic ?).

Comment était le public pour votre concert à Nice hier soir, et en général ?

Boaf. Y’avait un gars qui dansait, en jetant ses jambes et ses bras. À Bruxelles c’était cool, on a joué devant des épaves à quatre heures du mat’. Pour nous c’est bien parce que les gens ont alors l’impression de COMPRENDRE. Encore hier, c’était marrant, on leur a fait un bruit, une grosse purée et ils étaient hyper sceptiques. C’était un peu dérangeant. Ils devaient se dire « je crois que j’aime bien » : ambiance critique d’art, les mecs qui n’ont pas envie de rater un truc ou de ne pas avoir compris, mais en même temps ils restent un peu sceptiques pour se laisser une porte de sortie. Ils comprennent pas. Mais en fait, y’a pas grand chose à comprendre.

« En général, quand t’es à l’étranger, les gens sont plus réceptifs ils ont l’impression que c’est un truc exotique, quoi que tu fasses. »

T’as une espèce d’atout, les gens viennent écouter un truc forcément bizarre, étrange, étranger au moins. C’est pas un français qui fait un truc mauvais, c’est juste un étranger qui fait un truc chelou. Pour nous c’est mieux. Quand tu joues dans une boîte, quand ça répond, t’y vas à fond, t’en fais des caisses. Plus t’en fais plus les gens sont contents, y’a une dose de fauxculserie qui faut mettre dans la musique. Il faut donner au début et hop parfois ça s’enchaîne. Si tu secoues la tête quarante fois, au bout d’un moment ça vibre un peu, et hop ça y’est t’y es. C’est ce qui est magique, quand tu perds un peu les pieds. Nous c’est ce qu’on aime bien, les moments un peu extatiques…

Le public parisien est paraît-il très statique ?

Non ça dépend. On a fait des concerts très chaotiques, à Paris ou ailleurs. À Portland le public était monté sur scène. Au Mexique, on a fait un concert à la frontière, dans un ancien club de streaptease. Un catcheur mettait des tartes à Olivier, un gars continuait à passer du son sur un juke-box resté branché, le patron voulait nous payer en coke ou en putes mais il avait pas trop de ronds à nous filer…

Vous partez en tournée la semaine  prochaine avec Tyvjk?

Oué, on les a rencontrés aux Etats-Unis, on a joué deux fois avec eux puis on a fait une tournée sur la côte ouest, c’était super. C’est la première fois qu’ils viennent en Europe. 15 jours, 15 concerts. On va en Suisse, Italie, Croatie, Slovénie, Allemagne, Danemark, Suède, Pays-Bas, Belgique… On va pas s’arrêter. Eux, les ricains, si tu leur mets trois concerts par jour, ils les font.

Est-ce que vous vous reconnaissez dans une « scène mondiale », une étiquette, une modernité ? Dans cette fameuse video « voiture », on voit un mec avec un groupe, assez grand comme toi, à quatre-pattes…

Golden error. Ce sont de gros new-yorkais, hyper fonssdés, à chaque fois qu’on y va, le type il a perdu dix kilos. Plus globalement, on a été un peu assimilé à cette scène américaine. Ils ont dit « weird punk », « shitgaze ». Mais du « rock à boîte à rythmes », ça va être direct du Suicide, des trucs qui se veulent expe’, arty, dans lesquels on ne se reconnaît pas du tout. Le concept « moderne » je trouve pas ça pertinent, je trouve ça foireux, ça veut rien dire. On ne fait pas un truc pour plaire.

Tu chantes un poème de Rimbaud (Vénus Anadyomène) sur Clara Vénus.

C’étaient mes lectures de l’époque. C’est le poème qui était largement le plus grossier et pourri. Je le fais de temps en temps de prendre des textes et de les utiliser directement. T’as quelque chose de sûr à chanter comme ça. J’ai un peu du mal à me souvenir des trucs en général. Et des paroles en particulier.

D’où vient Lola Langusta (avec ce riff incroyable) ?

D’un film de Russ Meyer, Ultravixens ou Supervixens. C’est une chanson sur les tenues d’infirmières, avec les dessus et les dessous.

http://www.myspace.com/cheveu

Photos: Gaelle Riou-Kerangal

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages