Vous ne le connaissez peut-être pas et pourtant, Charlie Brooker est aujourd’hui derrière ce qui se fait de mieux à la télévision britannique. Journaliste, humoriste, scénariste et producteur, cet homme est à la causticité télévisuelle ce que le champagne est au vin pétillant : une belle et profonde apogée…

Sachez premièrement que quiconque lisant cet article est sommé de se rendre à la fin de celui-ci pour y regarder son lien vidéo. Ceci fait, il devra ensuite me remercier solennellement pour lui avoir fourni quelque chose d’aussi drôle et intelligent à consommer.

Quiconque lisant cet article s’intéressera dans la foulée aux différents travaux de monsieur Charlie Brooke, avalera comme un paquet de petits écoliers les cinq épisodes qui composent Dead Set – cette géniale série où des hordes zombies envahissent une émission de télé-réalité et redéfinissent par la même occasion la notion du « temps de cervelle disponible » chère à TF1 – puis se dirigera naturellement vers Black Mirror et selon les intrigues proposées se sentira grandi.

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Et croyez-moi, vous allez le faire et m’obéir, en obéissant surtout à l’une des plus grandes forces de Brooker : son coté captivant. Ce vaste pouvoir d’attraction s’explique certainement par le fait que ce qu’il produit, bien que divertissant, s’appuie principalement sur la partie noble de notre cerveau tout en usant d’une liberté, de ton et de sujets, rarissime de nos jours sur la petite lucarne.

Cette liberté, le touche-à-tout la possède peut-être parce qu’il a la main dans la machine (Black Mirror, série ouvertement anti-télé étant produite par une filiale d’Endemol, paradoxal isn’t it ?) et…pas que la main (sa femme étant l’une des présentatrices d’Xtra Factor, sorte de A la recherche de la nouvelle star, un concept d’émission allégrement pourfendu dans l’un des épisodes de Black Mirror justement) ! Mais j’aime aussi à penser que s’il est libre de faire ce qu’il veut, c’est avant tout parce que le bougre est sacrément talentueux.

Il suffit de regarder un seul des segments de sa série documentaire How TV ruined your life ? (documentaires qui font suite à des recherches très poussées au sein des archives télévisuelles, ce qui nous prouve bien que Charlie chine) pour s’en rendre compte immédiatement. Ce type et son travail incarnent une espèce de fusion entre les obsessions d’un George Orwell et la verve d’un Ricky Gervais, ce qui se traduit à l’image par une vision désabusée de notre futur ponctuée ça et là de quelques punchlines bien senties.
D’Orwell, Brooker a également hérité du côté révolutionnaire, nombre de ses personnages se fendant, sous les yeux amusés de l’Oppression, de discours iconoclastes poignants et aptes à nous faire réagir, nous spectateurs, sur notre propre condition. « Etre un être humain, c’est bien mais être humain, c’est mieux », tel semble être le credo du monsieur et il y a fort à parier que cette devise aurait sa place dans 1984.

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Revolution will be on screen

En 1984 d’ailleurs, Charlie avait treize ans, quelques érubescences sur le pif et de longues heures à ne rien foutre devant lui. Que faisait-il alors ? Et bien, il se livrait à la deuxième activité la plus pratiquée par nous tous – derrière le sommeil tout de même – il regardait la télévision. Continuellement, inlassablement, perpétuellement, l’écran diffusait sous ses yeux ses programmes, ses couleurs, ses goûts, ses vertus et ses préférences. Continuellement, inlassablement, perpétuellement, l’écran imprimait sur le cerveau du jeune homme des clichés et des idées devenant réalité. Continuellement, inlassablement, perpétuellement, l’écran l’a endormi, l’écran l’a réveillé, l’écran l’a éduqué et construit. Comme il nous construit tous. Qu’importe notre façon de procéder : on ne peut ni échapper à la télévision ni échapper à la publicité. L’écran est pour nous une sorte de miroir déformant, où tout est plus beau, plus riche, plus vulgaire, plus violent, en un mot : plus extrême.

Sans titre-2A partir de ce constat glaçant quant à l’omniprésence des écrans et de leurs messages dans notre mode de vie actuel, Charlie, devenu adulte, en a fait des histoires. Des histoires qui poussent à l’extrême toutes les facettes aliénantes de ces technologies.
Ici, vous verrez par exemple une société où la mémoire a été remplacée par une puce électronique grâce à laquelle on peut aller et venir comme bon nous semble à l’intérieur de nos souvenirs après les avoir projeté sur un écran. Cela pourrait être utile pour savoir enfin où se trouve la télécommande, non ? Cela pourrait aussi être utile pour revenir en arrière afin d’en ressortir des mensonges et des promesses non tenues. Utile pour se repasser en boucle nos ébats amoureux ou nos soirées d’ivresse, nos succès et nos petits moments de gloire. Utile pour se remémorer le meilleur, les concerts en plein air et les pique-niques sous acides. Utile pour s’arrêter de vivre et ne plus faire que s’observer, éternellement.

Là, une autre histoire nous décrira comment, dans un avenir proche et suite au décès d’un être cher, il s’avèrera possible de discuter quand même avec le défunt en se servant des différentes données enregistrées sur les réseaux sociaux. Ici, les réseaux sociaux sont des toiles avant tout autre chose, ce sont de fins filets qui finissent tôt ou tard par nous emprisonner…

Tel est l’univers de Charlie Brooker, un univers où toutes les dérives touchent à leur paroxysme, et ce jusqu’à un point de rupture nécessairement noir, absolument désenchanté. Oh, il ne faut pas croire pour autant que cela sera emmerdant de visiter ce monde, car il demeure un monde de fiction, dans tout ce qu’elle a d’effrayant et de réconfortant. Et de marrant (youhou !) comme ça l’est toujours un peu lorsque l’extrême tourne au grotesque et que l’on se surprend à rire nerveusement de notre propre décrépitude.

Du reste (sortez couverts !), l’irrévérence avec laquelle ces thèmes graves sont traitées nous permet également de passer un moment agréable au cours duquel on ne peut s’empêcher de penser que ce que l’Anglais fait dans une dizaine d’épisodes de 50 minutes, les américains l’auraient fait au travers de plusieurs longs-métrages extrêmement coûteux tant son industrie cinématographique paraît assoiffée de nouveautés et ne jure actuellement que par le sacro-saint « high concept ». Ce même « high concept » ou cette quête interminable de scénarios tenant sur UNE idée géniale, sur UN twist dévastateur, sur UNE surprise finale, au détriment de toutes les autres règles scénaristiques et de toute espèce de sentiment humain. Hmmm, je suis certain que Charlie aurait pas mal de trucs à raconter là-dessus…Euh, Charlie ? Charlie, tu es là ? Mais où est Charlie ? Ahhh le voilà…

P-S : Ce papier est légèrement hagiographique, je l’admets mais ne vaut-il mieux pas serrer la main des grands chirurgiens plutôt que de tirer sur les ambulances ?

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