Étrange idée que celle d'une musique de film sans film. Qu'il s'agisse des compositeurs hallucinés que sont Lalo Schiffrin ou Ennio Morricone, ou des génies du diggin comme Tarantino, l'art de la BO tient surtout à la relation fusionnelle de quelques notes incrustées dans une poignée d'images. Qui peut encore écouter Nancy Sinatra sans penser à Uma Thurman en survet ?

Alors une BO sans film… Ce serait un peu comme préparer son mariage sans trop savoir qui l’on va épouser, c’est pourtant ce qu’on trouve sur une poignée de disques ; de la musique en attente d’être gravée au scalpel dans la rétine de ses auditeurs…

John Carpenter le premier, le maître, compositeur de la plupart de ses musiques de film, de la lancinante ritournelle de son assaut sur le central 13 à l’hallucinant thème d’Halloween, en passant par les riffs un peu lourdingues de ses films de vampires. Carpenter publie « Lost Themes », un album de morceaux orphelins, des morceaux qui laissent à l’auditeur le loisir d’imaginer ce qu’il pourrait bien se passer de terrible à l’écran.

Thématique, un peu didactique, Carpenter déroule un savoir-faire qui impressionne, mais se prend aussi un peu à son propre piège. Alors que ses motifs les plus efficaces sont des pépites minimales, ses « Lost Themes » cherchent parfois à rattraper l’absence d’images, les morceaux se font parfois un peu bavards et c’est finalement dans les moments faibles, lorsque les compositions retombent sur une sorte de brutalité sonore que l’on retrouve l’appel des images.

John Carpenter // Lost Themes // Sacred bones records

C’est plus ou moins à l’opposé du spectre que l’on tombe sur Anton Newcombe et un album franchement intitulé « Musique de film imaginé ». Francophile au point de composer un morceau pour Soko, Newcombe surfe sur la (nouvelle) vague et compose a posteriori pour Truffaut, Godard et consorts. Plein d’un spleen sincère, Newcombe se trimballe néanmoins une vision de la France digne d’un prequel hipster d’Amélie Poulain. On est bien loin de Georges Delerue et François de Roubaix, et les morceaux valent surtout par l’écart entre un cinéma disparu et son souvenir lointain, la mélancolie des années soixante déchiffrée dans une partition perdue qu’on lirait à tâtons.

The Brian Jonestown Massacre // Musique de film imaginé // Differ-Ant

On serait tenté de clore le dossier, si on n’était pas tombé sur un outsider. Obscur combo italien, La Batteria s’attaque aussi à la question de la BO. Suintant le giallo et transpirant la série B, les Italiens s’intéressent moins au film qu’ils pourraient inventer qu’au principe même de cette musique d’illustration, en quête d’image. D’une pauvreté rétro et assumée, les thèmes se déroulent ici avec moins de pose et plus de plaisir. Modestement pensé comme de la musique au kilomètre, les morceaux de la Batteria réveillent une veine narrative, une envie d’image, l’air de rien les Italiens renouent avec l’énergie d’une jeune fille à demi dénudée qui court pour sauver sa vie dans un faubourg désert de la banlieue de Rome.

La Batteria // La Batteria // Penny Records

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