« Saurais-je plaire à quelqu’un / Qui n’a pas la télé ? » (Bertrand Burgalat, vendredi 30 janvier dernier)

« Saurais-je plaire à quelqu’un / Qui n’a pas la télé ? » (Bertrand Burgalat, vendredi 30 janvier dernier)

Je crois bien que je conchie copieusement la révélation. Sec et net, qui plus est. Œuf corse, loin de moi l’idée de mouliner crânement sur une dissection du chatoyant point d’interrogation de mother-Marie-qui-comes-to-me.  Mais il s’agit ici, ô lecteur gonzaïen de mon coeur, cher scolopandre à oeilleires /forte personnalité à opinions tranchées (je te laisse le choix de l’épithète le plus approprié), de traiter de cette acception popeuse du «voir la lumière».

Tu l’auras très certainement remarqué, elle fait depuis longtemps déjà florès. Il ne se passe pas un pauvre concert, il ne sort pas une petite bidouille mélodique sans que certains minots déjà édentés du bulbe, parfois rejoints par quelques calvitieux inassumés et aux envies de bougeotte inassouvies, se répandent en un nuancier tendancieux de bodily fluids, piaillant partout : « CE TRUC A ETE UNE VRAIE REVELATION POUR MOI !!! » [Observez au passage l’usage pertinent de la majuscule tabuscrite, témoignant chez l’ôte-heure d’un explicite désir de rameuter un éventuel lectorat féminin adolescent msnien friand de gros caractères vénères à la Lol Pille]. Ce genre de larmoyances, bien souvent relayé par le courrier des lecteurs de tout bon canard muzakal qui se respecte, prend son terreau dans un très vilain faisceau de pratiques protozoaires aux justifications pour le moins douteuses. A en croire ces glandus se croyant désormais perpétuellement enveloppés d’une laque de lumière, l’on ne saurait se camper en déchiffreur/défricheur de sons qu’en prenant part à une sorte de procédé – préférablement plastronné live – frôlant de très très très près le lichen du « toucher des écrouelles » capétien. C’est-à-dire, pour donner dans le synthétique : le spectateur/fan/andouille notoire se doit d’être frappé par un instantané qui, au détour d’une note, d’une grimace décochée par Sa Majesté L’Artiste, va froisser sans retenue aucune la petite page gribouillée de l’existence dudit fantassin des fosses, et réécrire, cette fois bien sûr en lettres de sang (oui, l’emoglobine ça fait plus classe) une nouvelle Vraie Vie.

Une sorte de rite initiatique en carton-pâte, de passage de proche à la Stargate, en somme. Eh ben moi, mes petits amis, ça me botte pas le moins du monde cette carnavalerie. Je suis plutôt du genre à me faire turbiner la carafe et mes autres diverses pompes à sang SIMULTANEMENT lorsqu’il s’agit de l’appréciation d’une volée de sons, voyez ?

Ainsi, quand le majestueux concert s’en vient me faire saliver l’usine à tableaux, je ne dédaigne pas l’usage d’une certaine forme de recollection a posteriori. Je me plais à quadriller et recoder quelques persistances, quelques fois rétiniennes, de petits paradigmes d’un moment particulier. « Sacrilège ! », s’écrieront sans doute aucun les adorateurs de l’immersion totââle, ceux qui exigent de pouvoir renifler la sueur de l’évènement dans le moindre petit caractère publié par ses rapporteurs. Comme si la rétrospective ne pouvait prétendre à la médaille du « vivant » qu’en tapant systématiquement dans le lexique du «au plus près».

Ces considérations aidant, je peux à présent passer au gril de ma recollection ces deux concerts de la fake fake tournée d’adieu de Bertrand Burgalat. Hachons donc, histoire d’introduire en bonne et due forme: Virons déjà les appellations «décalé», «rétro», «kitsch», et «volontairement ringard», tout cela qui bourgeonne bien trop souvent près du mot «Tricatel» . Bien sûr, Bertrand entretient un rapport plus que singulier avec l’idée d’époque. Mais ses propres disques comme ses productions subtilisent cette part de subtilité dans la soul futuriste des Jackson Sisters comme dans l’easy-listening suranné des nineties comme dans les vrombissements du Canterbury Sound, etc… Chéri B.B. (2007) ne semble pourtant connaître qu’un seul temps : celui, visiblement loin de s’installer dans nos chaumières, du tube OVNI.

D’où un travelling mental qui ne cesse de me scander la mémoire, à Paris comme à Chelles: un grand hall d’aéroport désaffecté, où le lierre s’est greffé sur les colonnes en acier trempé. De temps à autre, les hauts-parleurs interceptent et recrachent une brève du futur, captée d’on ne sait où. Aux Cyclades Electroniques gonfle les vitres zébrées d’éclats, et le concert attaque.

« All that we ever dreamed/Evolved a small surprise ». (Count Indigo, Homme Fatale, sur Homme Fatale, Tricatel, 2003)

Les chansonnettes rondes de Bertrand sont salutairement claquemurées. Bulles gris métal, elles explosent en vol inopinément, répandant un lot de craquements inattendus. Au New Morning, le trio de cordes pigmente This Summer Night ou Anonyme Amour de pizzicati au cordeau, se lovant autour du micmac magistralement soutenu par les gars d’Aquaserge. Une de ces trouvailles bluffantes dont BB sait si bien s’acquitter, appliquant le précepte du svengali malgré lui : toujours bien s’entourer. Et le nouveau backing band toulousain ne donne pas dans la préciosité, faisant démentir l’adage burgalien « je suis seul dans ma chanson » par des ricochets d’effets savamment dosés. Aux Cuizines de Chelles, la formation resserrée tape plus dans l’acéré, dévoilant le squelette triste-léger de J’ai quelque chose à dire.

Le ruisseau de voix suave de Bertrand est toujours aussi classe, et s’accommode sans mal aucun de l’encombrant piano à queue de la salle parisienne, comme du lémurien quinqua monté sur ressort qui s’agitera sans interruptions dans la mini-fosse des Cuizines, les pouces levés en bon mâle blanc dansant.
Il faut revenir sur Sans Titre, bestiole au groove trissant ; Bertrand dérobe la basse, le temps de faire place au micro à Yattanoel. Autre comète au trajet croisant parfois celui de la nébuleuse Tricatel, cet étrange fileur de mots endimanché vient briser ses alexandrins sur le disco crescendo. Mais que sont devenus ces gens que j’avais vu ? Déclame Yattanoel, entre deux dodelinements sévères. Nappé d’un trois-pièces rouge coquelicot à Paris ou noir aux Cuizines (rappelant le port incongru de Jerome Benton, ce faux « homme à tout faire » mais vrai entremetteur du Minneapolis sound de Prince), son tour de piste césure le set, et prépare l’arrivée d’April March.

Lorsque vrombissent les toms cheyennes de Caribou, la demoiselle/dame se faufile pour une perf’ aisément intitulable : « variations autour de Bird In Space ». L’ondulement timide, le délié filiforme de la voix, tout chez miss March rappelle l’irréductible poésie aérodynamique des travaux de Brancusi. Le Cœur Hypothéqué résonne, pianoté par Bertrand, lançant une longue ode à Triggers, cet album (putain, cinq ans déjà) qu’il a toujours considéré comme son travail le plus personnel. Le show s’en ressent, prenant une tournure de songe-au-cœur-lourd. Sugar et Sometimes When I Stretch, grands titre-méduses, promène le couple dans des bois plus recueillis. Superbagnères fait toujours son petit effet poppy neigeux, mais le rappel Chick Habit rompt le coton acide dans un chorus de « Waa – waa – waa ».

Le final Ma Rencontre, vrai/faux classique de Bertrand, tinte autant qu’il cogne ; qu’avons-nous vu depuis ces presque vingt-et-un ans, Laz ? Beaucoup de choses sans valeurs, quelques-unes qui crament encore quelque part. Au rang des concentrés de grande pop noble, belle et trichant avec tous les temps, ma fréquentation assidue du monde Tricatel reste encore ce que je connais de plus revigorant, quelque soit l’espace colonisé. Futur/passé/présent meltingpotés, que demander de plus ?

http://www.tricatel.com/

Photos: Vlad Doorak

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