La télé réalité pratique l'enfermement volontaire, le nouveau clip de Romain Gavras, Born Free, met en scène un punishment park à la Watkins, Michaël Jackson vivait dans un bu

La télé réalité pratique l’enfermement volontaire, le nouveau clip de Romain Gavras, Born Free, met en scène un punishment park à la Watkins, Michaël Jackson vivait dans un bunker fantaisiste du nom de Neverland… Alors qu’on prône la liberté à tous crins, jamais le principe de claustration n’a été aussi médiatiquement tendance. Dans son nouveau roman, Le ParK, Bruce Bégout s’essaie à l’anticipation, celle qui imagine la réclusion comme un divertissement, mêlant toutes nos références (Disneyworld, Treblinka, Guantanamo, Coney Island…) pour un trip sidérant et extrémiste. Bienvenue en enfer.

Au large de Bornéo, sur une île tropicale, un milliardaire russe taré (Attention: pléonasme) a fait construire un parc d’attractions d’un genre nouveau. Elitiste par essence (15000$ le ticket d’entrée et seulement 100 visiteurs par jour), le ParK s’inspire de tous les modèles d’emprisonnement (ludique ou forcé) du XXe siècle. Leur seule représentation ne serait que choquante, alors la vraie plus value du ParK, c’est l’enchevêtrement des modèles et de leur symbolique.

Première étape : le Todeskamp (camp de la mort). Si vous êtes amateur de poker ou aficionado de la roulette, ce casino est fait pour vous. Dans un baraquement de camp de concentration, éclairé par des miradors, vous pourrez dépenser des sommes folles tandis que des serveurs en guenilles vous porteront « sur des plateaux d’argent des coupes de champagne et des quignons de pain rassis ». Si vous êtes plus jeux vidéo, pas de souci, le Cabaret des utopies perdues est fait pour vous. Là, dans une immense salle d’arcade, vous vous initierez à la confection de bombes, à la création de cellules terroristes ou à la mise au point de coup d’état, dans une ambiance bon enfant. Enfin pour les nostalgiques des bons vieux zoos, vous trouverez dans le Reptilarium Inc. toutes les bêtes rampantes imaginables. Derrière les vitres des vivariums vous observerez les mambas, pythons et autres serpents cohabitant, dans un open space classique, avec des fonctionnaires de bureaux affairés, qui à la photocopieuse, qui à la machine à café… La journée se terminera par la grande parade du ParK. A la nuit tombée, les rues sont envahies par des chars époustouflants. Vous pourrez acclamer les Drag-queens et les Einsatzgruppen (groupe d’intervention du IIIe Reich) dansant ensemble au son tonitruant de la techno fascisante », et applaudir « un sosie d’Ahmadinejad assis sur les genoux d’une fausse Madonna », tous deux accrochés au canon d’un vétuste char américain.

Ce télescopage obscène, qui traduit l’histoire mortifère du siècle passé en jeux du cirque  moderne, dérange, détonne, et surtout met le doigt (voire la main) là où ça fait mal.

En aplanissant les différences entre profane (le divertissement) et sacré (l’Histoire), Bégout démontre en creux la fascination qu’exerce l’horreur, les fantasmes qu’elle véhicule. A l’heure où des tours sont organisés dans les prisons soviétiques pour « découvrir » par mimétisme l’épouvante ressentie par les détenus, où des émissions de télé usent d’une coercition malsaine à la dénonciation (Secret Story), Le ParK, jusqu’au-boutiste,  affirme la déliquescence morale de notre société, qui se complaît dans la fange tout en défendant des principes moraux.

Choisissant une narration collectiviste (le nous) pour prendre au piège son lecteur, stylisant avec panache un univers parfaitement décadent (la beauté du mot au service de l’ignominie la plus perverse), Bégout hypnotise avec son île-monde. Il se perd parfois dans des théories architecturales inutilement complexes (sauter des pages est un droit inaliénable du lecteur) mais l’inventivité démoniaque de son ParK, sa thèse sur le principe d’enfermement (quête profondément humaine face à la peur de l’infini) font de ce petit roman (150p à peine, même pour les allergiques livresques, c’est jouable) une réussite esthétique tout autant qu’une réflexion sur notre appétit pour le spectacle et ses mises en scène scabreuses. Alors que le politiquement correct gagne du terrain en apparence (lénification des discours, ostracisme de la parole taboue…), les formes de divertissement, soupape de sécurité fictive au trop plein d’interdits, s’épanouissent dans l’avilissement et la turpitude. Les dealers d’opium populiste ont encore de beaux jours devant eux.

Bruce Bégout // Le ParK // Editions Allia

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