Pour son premier film, le réalisateur américain Bill Pohlad a décidé de se placer dans la tête de son héros pour enfin raconter la véritable histoire du compositeur génial des Beach Boys. Plongée dans les bad vibrations de "Love & Mercy".

Rarement les films contiennent leur propos dans leurs premières minutes. En tirant sur une cigarette, Brian Wilson appuie mollement sur la touche de son piano et radote dans le vague : « Qu’est-ce que je ferais sans l’inspiration ? Qu’est-ce que je ferais ? ». Zoom progressif sur l’oreille de l’artiste, fondu au noir et générique. Vous ne le savez pas encore mais en un plan rapproché sur la tête pensante des Beach Boys, le film vient de surfer sur toute son étendue.

God only knows

418613Bill Pohlad, réalisateur de Love & Mercy, la véritable histoire de Brian Wilson ne s’y est pas trompé. Pour filmer la vérité vraie, le cinéaste américain a décidé de se placer dans la tête du chanteur des Beach Boys. Là où beaucoup se sont perdus, le cinéaste américain a trouvé la ligne directrice de son biopic, scindé en deux parties par la frontière toujours poreuse entre création et autodestruction. Malin, le premier film de Pohlad, qui jusque-là se contentait de produire ceux des autres (Le Secret de Brokeback Mountain, Into The Wild, 12 Years A Slave…), ne propose pas une narration linéaire de la vie de Brian. Le clair/obscur, alternativement campé par Paul Dano et John Cusack, donne au film le contraste saisissant qui a souvent accompagné un groupe dont l’énergie solaire brillait aussi bien qu’elle laissait son génie créateur dans l’ombre.

Brian Wilson entend la musique. Pourtant, dans Love & Mercy, de la musique il y en a peu. Une main sur l’accoudoir du siège, l’autre sous le menton, nous assistons aux atermoiements de l’artiste comme un psy face à son patient. Curieux, de voir à l’écran un mec s’échiner à construire des mélodies sans qu’elles ne prennent forme. Deux tentatives d’explications sur le divan. La première, très pragmatique, c’est que le réalisateur a travaillé avec Brian himself et sa femme Melinda Ledbetter (jouée par Elizabeth Banks). Le film a donc été réalisé dans l’optique de prendre le moins de libertés créatives possibles, par respect pour l’artiste mais aussi par opposition aux autres productions consacrées à la carrière des Beach Boys, type American Family, une série télévisée des années 2000 que Wilson avait déprécié. La deuxième recouvre la problématique centrale du film à savoir dans quelle mesure un jeune homme un peu cinglé a-t-il pu créer l’un des chefs d’œuvre de la décennie la plus importante de l’histoire de la pop music : l’album « Pet Sounds ».

L’histoire, on la connaît. Les Beach Boys partent en tournée et Brian Wilson supplie ses frères et son cousin de rester à L.A pour enregistrer « des trucs incroyables qu’il a dans la tête ». Ces « trucs » donneront des morceaux comme Wouldn’t It Be Nice ou God Only Knows. Évidemment, la caméra reste à Los Angeles et s’attarde sur le visage bouffi et enfantin de Paul Dano qui devient complètement barge lorsqu’il s’agit de mettre en musique ce qu’il entend dans sa tête. Tout y passe, les aboiements d’un chien, ses propres incantations, ou l’utilisation de barrettes pour trafiquer le son du piano… Calées sur la mesure de l’excitation de Wilson, ces scènes d’enregistrements restent sans aucun doute la partie la mieux réussie de Love & Mercy. Elles seront aussi le prélude à la véritable entrée dans le vif du sujet. À l’issue d’une prise, le batteur membre du « Wrecking Crew » – les musiciens de studio qui préparent les playbacks de « Pet Sounds » avec Wilson – lui avoue que parmi tous les musiciens avec lesquels il a travaillé (Phil Spector, Nacy Sinatra, Simon&Garfunkel, The Byrds…) il est le plus doué. C’est à partir de ce moment là du film que Brian Wilson devient « un cas ». Et à la moitié de son bopic, Bill Pohlad vient déjà de raconter sa véritable histoire.

Brian massacre

La suite de Love & Mercy s’apprécie désormais dans le prolongement de la problématique principale. Qu’est-ce que le talent ? Dans quelle mesure en jouir ? Et qu’advient-il de nous quand nous en sommes tout à coup dépourvus ? Constamment, le spectateur est renvoyé à la première scène du film et ce qui n’était qu’une divagation dans des volutes de fumée prend rapidement la forme du piédestal sur lequel va s’appuyer la suite. Tous les éléments mis à la disposition du spectateur portent à croire que le premier jour du reste de la vie de Brian Wilson doit s’apprécier à la lumière de son don. Pour le Yin : l’envie pressante de livrer une réplique au nouvel album des Beatles, le souhait de satisfaire un père tyrannique et un groupe relégué au rang d’interprètes et enfin, le besoin de proposer quelque chose de nouveau. Pour le Yang : la schizophrénie, le repli sur soi et le rejet d’à peu près tout ce qui sont les ingrédients du bonheur. Wilson s’isole, organise des réunions dans sa piscine, prend du LSD… Sous la pression du « mauvais » succès de « Pet Sounds » (qui n’atteindra « que » la dixième position du hit-parade américain, ndlr) et de son cousin (le charismatique Mike Love, ndlr) le compositeur se remettra à écrire des chansons qui sentent bon le barbecue comme Good Vibrations.

Seulement, la caméra de Bill Pohlad a déjà quitté la tête de son héros et s’en remet beaucoup au flash-foward au cours duquel un Brian Wilson « lonely and scared » rencontrera sa future femme, Melinda Ledbetter. Love & Mercy quitte alors les confins du génie pour rentrer dans l’histoire presque banale d’un triptyque où Melinda et l’abominable Docteur Landy (le psy de Brian joué par un Paul Giamatti qui bave) se dispute la possession de leur sujet. Le « cas » du film est désormais pathologique. Il n’est plus du tout question d’un musicien mais d’une âme en peine, filmée en un animal blessé, comme le cinéma américain aime beaucoup (trop) le faire. Les paroles du morceau Love & Mercy, écrites par l’ancien leader des Beach Boys en 1988 pour son premier album solo, nous donne un indice : « Seems like we never win ». Seulement, il vous faudra choisir la question à laquelle vous voulez répondre après avoir vu le film : faut-il avoir pitié de la véritable histoire de Brian Wilson ? Ou plutôt s’abandonner à la sensation que tout ça fut un immense gâchis ?

Love & Mercy, la véritable histoire de Brian Wilson // En salles

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