Oh tiens, même pas un an après son Small Craft of a Milk Sea, voici déjà un nouveau disque pour Brian Eno. Programme alléchant, on s’en frotterait presque les mains. L’ennui, c’est que le sexagénaire commence à sérieusement faire penser à ces campagnes de com’ destinées aux jeunes.

Souvenez-vous, ces gens pleins de bonnes intentions qui venaient au collège, porteurs de messages tels que « l’alcool c’est vraiment très dangereux, surtout au volant », « attention aux MST, utilisez des préservatifs », ou encore « insultes, racket… La violence, si tu te tais, elle te tue ». Ils avaient toujours une cassette VHS avec eux, on apportait une télé dans la salle de classe et hop ! on avait droit à un court-métrage moralisateur censé mettre en scène des jeunes comme nous, sauf que ça ne prenait pas : mal foutus, bourrés de clichés éculés sur la jeunesse, ces vidéos nous faisaient bidonner, surtout les dialogues qui sonnaient faux. Les acteurs voulaient « parler jeune », sauf qu’évidemment ils employaient des termes ringards, comme « c’est sensass » ou « c’est tip-top ». Et pendant que devant tant de ridicule nous nous tenions les côtes, nous avions tout de même l’impression qu’on se foutait gentiment de notre gueule. Du coup, ces films produisaient pile l’effet inverse de ce pour quoi ils étaient faits ; au lieu de nous responsabiliser, ils nous donnaient envie de nous bourrer la gueule puis de prendre la voiture (et de baiser sans capote dans la voiture, tout en insultant et en rackettant les plus petits que nous) juste pour leur faire comprendre, à ces adultes coincés du cul, qu’il fallait pas trop nous prendre pour des cons.

Le rapport avec Eno ? Jetez simplement un coup d’œil à la pochette de son nouvel album, Drums between the bells, et vous comprendrez.

Un tableau futuriste du début des 90’s, qui aurait eu sa place dans le hall de la MJC de Meaux en 1994. Brian Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno est un ancien génie précurseur qui, à 63 ans, refuse de ne plus être à la pointe de l’avant-garde musicale, intellectuelle, artistique, scientifique. Ce non-musicien autoproclamé a toujours été fasciné par les nouvelles technologies : depuis les synthés au début des 70’s, jusqu’à l’informatique (il faut le voir s’extasier, dans son journal de l’année 1995, sur les premiers CD-Rom et leurs nombreuses possibilités) en passant par les Stratégies Obliques*, l’homme expérimente tout et n’importe quoi. Il veut être le premier à découvrir les nouvelles machines (il fabrique d’ailleurs lui-même des instruments de musique novateurs), les techniques les plus récentes, et à les utiliser dans sa production musicale. Il explore, sans relâche, curieux de tout, ne rejetant aucune innovation. Parfois, le résultat est heureux ; parfois il l’est moins, comme ici, sur ce Drums between the bells décevant.

Décevant, car l’ancien glameux arty, en plus d’avoir réussi l’exploit d’avoir la classe ultime en ayant une calvitie ET des cheveux longs et en portant plumes, paillettes, maquillage et vêtements léopard au sein de Roxy Music, nous a offert des disques inoubliables : quatre albums solo d’une beauté renversante (Here Come the Warm Jets, Taking Tiger Mountain, Another Green World et Before and After Science), sans parler de ses collaborations avec Bowie (la fameuse trilogie berlinoise), Talking Heads, David Byrne (My Life in the Bush of Ghosts), John Cale et autres Devo, collaborations auxquelles il apportait ses idées souvent brillantes… Brian Eno, après avoir refusé le statut de rock star et les clichés sex, drugs & rock’n’roll, est devenu la référence d’à peu près tous les musiciens électro, d’Aphex Twin à… Eric Serra, préférant la recherche sonore (et intellectuelle) aux paillettes.

Mais tout cela appartient désormais au passé. Or le passé, Eno refuse catégoriquement d’en parler ; dernièrement il a même prévenu les journalistes qui devaient l’interviewer : « Ne me posez aucune question portant sur le passé. Uniquement des questions qui concernent le présent et l’avenir. » Blam ! Se retourner n’est pas dans la politique d’Eno, obsédé qu’il est par la modernité et le futur. Il confesse d’ailleurs vouloir « faire une musique qui n’existe pas encore ». Pourquoi pas ? Sauf qu’à l’écoute de son dernier album truffé de chant parlé passé dans des filtres, qui raconte sans doute un truc mais on n’a pas envie de savoir quoi, et de synthés qui sonnent comme le jeu Simon, c’est bien la musique du futur qu’on entend… Mais la musique du futur du début des années 90.

De la benne à ordures, on sauvera tout de même Cloud 4, la 14e plage musicale de l’album, ballade qui rappelle un peu les belles heures de Before and After Science et qui met en valeur la voix d’Eno, toujours sublime, sur une mélodie simple – car, avant d’être ringard, ce chauve amateur de sexe avec les grosses dames est aussi, on a tendance à l’oublier, un très grand mélodiste capable d’enchaînements d’accords bouleversants, et un excellent chanteur.

Brian Eno (and the words of Rick Holland) // Drums between the bells // WARP
http://brian-eno.net/drums-between-the-bells/

* Les Stratégies Obliques sont un jeu de cartes conçu par Eno et Peter Schmidt, censé pallier au manque d’inspiration des artistes au cours du processus créatif. En cas de panne, on tire une carte qui va nous donner une nouvelle piste à explorer pour sortir de l’impasse. Les cartes contiennent chacune un message plus ou moins énigmatique. Quelques exemples : « A-t-on besoin de trous ? « , « Ne fais rien le plus longtemps possible » (je connais pas mal de musiciens qui appliquent activement cette stratégie – NDA), « Imagine une chenille en mouvement », ou tout simplement « Courage ! ».

6 commentaires

  1. Cet Eno là n’est effectivement pas très Brian. Demain je vais à Meaux, j’irai faire un p’tit coucou à la MJC avec mes vieilles VHS.

  2. Il y a erreur sur la personne, et à lire cet article j’aurai plutôt tendance à croire que le merdeux aujourd’hui, celui qui a foiré c’est le journaliste à 5 balles.
    Heureusement, la musique, l’auditeur la recrée comme dit si bien Klaus Schulze.
    Alors quid des capacités de recréation du journaliste ?
    0/10 ?
    Excellent album.

  3. Je découvre votre site en cherchant des articles sur cet album.
    Malheureusement la faiblesse de votre article fait froid dans le dos : je m’en vais.

  4. Encore un message de ce type et ça sent la manif « sauver le soldat Brian ». Bah, j’ai fait l’effort d’écouter le truc en entier, c’est de la bonne musique pour ascenseur années 2050 aseptisées.

  5. Je suis complètement d’accord avec cet article, je passe littéralement à cote de tt ces expérimentations à Eno.
    Aujourd’hui n’importe quel connard peut faire joujou avec des plugins et des effets et finir par créer des « son de fous », mais pour écrire un album comme « Here Come the Warm Jets », là il faut un sacre putain de talent.

    Parmis tout les truc que j’ai pu lire sur Eno c’est la première fois de mémoire que je lie qu’il est « un bon mélodiste » et un « excellent chanteur », c’est con mais c’est tellement vrais.

  6. rooooh
    la différence entre fondamentale ce chroniqueur et Brian Eno c’est que ce dernier « sait écouter » avec ses oreilles et sa modestie. Eno n’a jamais rien revendiqué d’autre que l’écoute ; surtout pas d’être un bon chanteur, ce qu’il n’est manifestement pas (cela n’emp^che pas des chansons sublimes « By this river » par exemple)
    Je comprends que le monsieur ne veuille plus parler du passé, et de toute façon il y aura toujours du journaleux à 2 balles pour placer les clichés Glam de Roxy Music ou de ses premiers albums, belles oeuvres pop certes mais pas aussi personnelles et atemporelles que ses albums experimentaux et ambient. faut il le rappeler premiers essais d’Eno, et courte période.
    Il a pour lap remière fois à ma connaissance collaboré avec un poète concernant les « lyrics » ; il conviendrait peut-être d’en saisir un minimum le sens. mais là ou Eno n’a pas à rougir de ses titres de noblesse, c’est qu’il a toujours conçu ses disques « ambient » pour le degré de lecture que l’auditeur lui-même y prête (cf, la citation de Klaus Schulze , fort judicieuse)
    Bref le problème quand on chronique des disques au kiliomètre, c’est qu’on ne sait pas prendre le temps d’écouter… encore faut-il savoir le faire. Laissons le temps à cet albums d’Eno, comme à tous les autres, inépuisables. Considérons encore que la musique est une oeuvre d’art, pas juste un procédé (en 2011, on devrait bien se foutre d’utiliser un synthé has been… le sujet est has been de lui même)

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