Il y a le fantasme cyberpunk, qui voyait des êtres fluides se faufiler à grande vitesse dans les circuits imprimés. Puis il y a aujourd’hui, maintenant : nos cyber-ectoplasmes coincés dans la réactualisation vaine de nos profils sur un quelconque réseau social. Quand la chair bugge, la machine ricane et le carnet de routine digital tourne en rond comme un poisson rouge.

C’est le genre de réunion où j’ai le droit de ne pas être complètement là. Pas celles où il faut parler en trois langues, ou pallier l’inattention stratégique du chef. Il faut juste s’asseoir dans un coin, peut-être opiner de temps en temps, essayer de lever les yeux de son ordinateur portable une fois ou deux.

Une notification inhabituelle. Ce matin, j’ai créé une nouvelle playlist collaborative et thématique — du genre « Pour un petit-déjeuner équilibré », « Mort sur l’autoroute », « Sugar never tasted so good ». Ajouté trois-quatre chansons pour donner le ton, envoyé à trois-quatre amis — toujours les mêmes — qui se prennent à présent au jeu.

À présent, deux d’entre eux se battent, ajoutent des titres en tirs groupés, et je réfrène un gloussement à chaque nouvelle salve. Les notifications s’empilent. J’aimerais bien me lancer dans la bataille, mais je répugne à ajouter quoique ce soit sans l’avoir préalablement réécouté. Il faut être sûr que ça colle, que les enchaînements marchent bien.

Je trépigne en voyant les autres violer toutes les règles immuables de la bonne playlist collaborative — qui n’existent apparemment que dans ma tête. Trois titres du même artiste, vraiment ? Plus de deux chansons débiles, qui correspondent au thème mais qu’on n’a jamais envie d’écouter jusqu’au bout ? Plus de quarante titres, au total ? Aussitôt créée, aussitôt boursouflée. Bienvenue au paradis des compilations très drôles à composer mais inécoutables, tu vas y retrouver toutes tes petites amies décédées d’obésité morbide.

La réunion s’étire, la guerre musicale s’étiole. Dans le paysage désormais calme de mon lecteur, à côté du cadavre frais de cette nouvelle création, je remarque un répertoire musical comateux, une playlist mort-née. Celle qui a changé cinq fois de nom pour essayer de clarifier sa raison d’être, en vain. Celle qui n’est collaborative que parce que j’ai coché l’option et dans laquelle ne j’ose plus rien ajouter parce qu’elle n’a l’air d’intéresser personne. Qui vivote, que je n’ose pas euthanasier. Le vilain petit canard de la playlist postmoderne, sans thème sarcastique ni concept farfelu. Celle qui, coupable de premier degré, devrait probablement s’appeler : « Voici de la musique que j’aime, des gens que j’aime, maintenant débrouillez-vous avec ça. »

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