Le film a tout pour plaire : un casting impressionnant, un scénario sur fond de réflexion sur la condition d’acteur, sur l’industrie du cinéma. Après être sorti aux Etats-Unis, au Mexique, et surtout avec la palme du meilleur réalisateur et du meilleur film dans la poche lors des derniers Oscars, le film consécration d’Iñárritu arrive en France. Et le Mexicain réussit à laisser son empreinte sur Hollywood Boulevard.

birdmanposterAprès le poignant Biutiful, brut, tragique, c’est le film grand public, mais qui, mine de rien, fait un peu réfléchir ton cousin venu parce qu’il a cru que c’était un film de super héros. Le genre de film où tu peux montrer à ta tata Michael Keaton (l’ex Batman jouant l’ex-Birdman, où le rôle du loser magnifique colle à la peau) ou Edward Norton déambuler dans les images rassurantes de Broadway filmées à l’infini. C’est ce qui pourrait faire peur au spectateur habitué à être malmené par le cru, la cruauté d’Amores Perros ou Babel. Un confort de lecture avec des péripéties en forme de rival trop parfait et de critique aigri comme en ont trop vu les films sur ce thème – des images trop belles, trop lisses. Comme le sourire d’Edward Norton.

Techniquement, on pourrait reprocher ce même gout de trop, ou à vouloir trop en faire Iñárritu transforme des trucs brillants et bien pensés en obsessions dispensables. C’est particulièrement le cas avec la façon de filmer et ce (faux) long plan séquence. C’est une manie du réalisateur, la caméra à l’épaule qui donnait du vrai, du vivant au drame précédent (Biutiful) et qui se transforme en long plan séquence-fuite en avant ici. Plus net, plus lisse ici encore. Mais l’idée est à saluer, pour un film en forme de chute vers la folie. La forme préfigure le fond, et esthétiquement le décor du théâtre se prête d’ailleurs bien à cette avancée labyrinthique dans le dédale des coulisses. Cependant, l’élection d’une contrainte n’est à saluer que lorsqu’elle est prolifique sur le plan artistique, et force est de constater que certains raccords sont plus qu’artificiels. Une suite de plans séquence n’aurait pas impacté sur l’effet produit – tout en évitant ces horribles plans de coucher-lever de soleil en accéléré pour figurer la nuit passée.

La bande-son est également à saluer. Cette batterie unique, jouant solo tout au long du film sied bien au décor, aux travelings dans le théâtre, et surtout à la frustration et aux explosions de Carver – en plus de tirer un lien avec l’autre film de ce début d’année, qui n’a comme rapport que celui de l’agenda et l’instrument mais concourrait dans certaines des mêmes catégories aux Oscars. Cependant, ce rythme obsédant se suffit à lui même et gagne en force par ses nombreuses occurrences, son insistance sonore, alors qu’Inarritu, voulant ici encore aller trop loin, fait apparaître le batteur aux moments opportuns dans des endroits incongrus, façon Nouvelle Vague. Comme si le spectateur n’avait pas compris que Raymond Carver vivait dans un film dont nous écoutions la bande originale.

Ainsi, le casting, le décor, un ton un peu lisse et quelques scènes attendues (la drague sur un toit de Broadway, la fameuse critique acerbe qui peut briser la carrière et la crise destructrice dans les loges) font de ce film celui qui s’évertue à prendre tous les atours du film hollywoodien. Ou bien serait-ce simplement un film hollywoodien qui viserait juste?

Au final peu importe. Iñárritu a toujours été partie de ceux qu’on appelle les trois mousquetaires, (avec Del Toro et Cuarón, les trois chicanos exilés à Hollywood). Ce n’est donc pas une surprise, et n’a-t-il pas de plus simplement choisi la meilleure manière d’illustrer son propos? Des images façon Hollywood pour illustrer l’industrie du cinéma. Et quel meilleur décor pour des illusions perdues et la vanité d’un acteur que Broadway? Et quel meilleur langage pour cela que l’Hollywoodien ; côté mots ceux de l’argot branchouille éculé du super-double imaginaire, côté image celles des explosions impressionnantes. Car on ne doute pas que Birdman fantasme les choses de cette manière, ses délires nourris par ce film-malédiction, comme le ceux sont de Keaton peut-être. C’est donc a travers le meta-langage d’Hollywood que ce film se lit, a travers ses personnages, ses dialogues et ses scènes codifiés: “Tout est faux” gueule Mike Shiner (Edward Norton) en capotant la première générale de la pièce de Carver. Mais les faux bibelots ne sont que le langage convenu de Broadway, comme Iñárritu parle le langage d’Hollywood, le magnifie en racontant quelque chose à partir de ses symboles creux.

C’est donc le signe d’un cinéma intelligent. Un film pas intello (les ficelles en étant un peu surjouées), mais où Iñárritu déploie une grande intelligence. Aptitude d’un être humain à s’adapter à une situation, à choisir des moyens d’action en fonction des circonstances. C’est la meilleure définition de l’intelligence, et elle s’applique bien à notre film. Celui d’un réalisateur versatile qui sait s’adapter a son propos (a son budget disons également), abordant un genre nouveau, la comédie, en surprenant avec un film loin du dernier Biutiful et de ses aspérités, de son caractère authentique et poignant. Et qui, a l’inverse d’un cinéma branleur qui reproduirait film après film les même trucs, saurait réutiliser des manies, comme la caméra épaule, tout en les adaptant pour nourrir son propos.

Alejandro González Iñárritu // Birdman // En salles

4 commentaires

    1. Surfait ? En quoi ? prétentieux ? Comment ? Ennuyeux… par quel truchement ?
      Votre commentaire est disons court, modeste et pas bien profond…

  1. Oui, fine analyse en effet. L’effet miroir Hollywood / Broadway est un thème vraiment intéressant. Par ailleurs, tous les clichés du genre sont également court-circuités par la précision chirurgicale des dialogues (les deux scènes avec la critique par exemple, ou la scène sur le toit). Seule la scène de dispute entre Riggan et sa fille sent un peu trop l’artificiel à mon goût, mais enfin, la conclusion dans le regard d’Emma Stones rattrape tout.

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