Cet américain pourrait être une réincarnation du folk-singer à l'ancienne, ou le descendant de Bert Jansch. Mais derrière le masque de Ryley Walker, il y a bien plus qu’un visage, et bien plus d’influences. Notre journaliste a passée deux soirées avec lui. Au programme : porte fermée, chemise ringarde, bière éventrée et haine de l'Oncle Sam.

J’ai rencontré rencontré Ryley Walker au point éphémère fin septembre. Il ouvrait pour Kevin Morby, la « star » de la soirée, dernier stop d’une tournée européenne menée tambour battant depuis plusieurs semaines. En découvrant l’album ‘’Primrose Green’’, j’ai été happée aussitôt par ses envolées folk-psyché-jazz troussées avec élégance par cet Américain de l’Illinois. D’un coup d’un seul, je replongeais dans mes premiers éveils intimes et identitaires. Mes tripes vibraient au souffle de cette nouvelle révélation, qui venait ranimer ma gorge alors desséchée par un désert naissant. Ryley et sa bande, tous vraiment à part, explorent de nombreux chemins de traverse : jazz, expérimental, musique progressive, psyché, folk, road songs… Revenons-en au Point Ephémère. L’homme danse seul avec sa guitare. Mes yeux, mes entrailles et mes orteils dansent avec lui. La foule est surprise, curieuse et satisfaite de son jeu de picking à l’ancienne, de sa transe et de ses petits cris, parfois presque orgasmiques, expulsés soudainement par sa voix éraillée.

Un détail va précipiter la rencontre : la porte est fermée.

Alors que Kévin Morby s’apprête à monter sur scène, je traîne un peu dehors, encore remuée par la prestation de Ryley. Seule, je finis tranquillement ma bière quand l’intéressé passe pour rentrer dans les coulisses. Un détail a priori insignifiant va précipiter la rencontre : la porte est fermée, le folkeux est bloqué à l’extérieur. Le temps de lui tendre ma blague à tabac, nous voilà doucement en train de faire connaissance autour d’une bonne cigarette. Brève mais intense, cette rencontre ne sera pas la dernière. Je le sais.

Nantes. Ryley joue au festival Soy, dont la programmation me paraît uniforme et lourde de tous ces groupes « alternatifs » beaucoup trop bruyants pour mes tympans délicats. En vérité, je n’ai pas vraiment ma place ici, dans ce trop plein de sons et d’humeur (faussement) underground. Une fosse vide s’interpose entre sa belle prestation posée, sensible, et des gradins à quelques mètres derrière, très sages, alors qu’elle allait se remplir et se déchaîner devant le final psyché et noisy d’Ariel Pink. Entre temps, le duo Jack Name joue sa musique cosmique et les garageux de Rats On Rafts se purgent en s’énervant sur leurs instruments. Peut-être que Ryley, qui présente ses nouveaux morceaux pointus (Sullen mind, The great and undecided) ainsi qu’une reprise parfaitement allongée de Van Morrison (Fair play), aura été la vraie découverte du festival et que le public s’en souviendra. Ou bien lui et sa troupe auront été immédiatement tapis dans l’abyme d’une mémoire molle.

« Il porte un vieux pull de touriste Wichita sur une vieille chemise ringarde »

Dans les loges. Marginaux dans le festival, marginaux dans la vie. Ces mecs n’ont pas de style. Ils ne cherchent pas à en avoir un, d’ailleurs. A la vérité, ils ne cherchent rien. Ils sont bruts par rapport à tout ce beau monde aux expressions vestimentaires toutes aussi diversement similaires et bien affirmées, dont je fais probablement partie. Eux ne se prennent pas au sérieux, en tout cas dès qu’ils quittent la scène. Ryley porte un vieux pull de touriste Wichita sur une vieille chemise rayée ringarde, Bryan à la guitare électrique, des lunettes à quadruple foyer façon inspecteur Derrick, alors que le contrebassiste Julius est vêtu d’une fausse chemise en jean portée à l’envers. Quant à Ben au synthé,il est allé se coucher direct’ après le concert avec un cardigan qui semblait mité. Hors-catégorie. Un groupe aux visages multiples, doté d’une belle cohésion dans la déviance. J’observe tout ce petit monde aller et venir dans la loge, froide et fumeuse en tout point. Les gars sont vraiment fatigués, et la bière vient à manquer. Pas de speed, du moins pour certains. Alors les artistes errent, en zombie hyperactif, sans trop savoir quoi faire.

« I hate America »

Riley ne veut pas terminer sa tournée. Il veut continuer de s’exploser ici en Europe, en brûlant le dur d’une ville à une autre. Sur la route : c’est sa drogue. « I hate America », me lâche-t-il un brin désabusé. Un paradoxe destructeur qui semble lui coller à la peau. En attendant, il n’a pas vraiment le choix. Il va falloir rentrer. Composer à nouveau, avant de revenir. C’est toujours la même histoire. Quelques divagations plus tard, c’est l’heure du taxi. Chacun sa route. Parce qu’une fille à l’hôtel avec 9 mecs, c’est vrai que ça passe moyen. Je leur claque une bise avant de les voir s’enfoncer dans la nuit. En attendant, il reste ce live organisé à New York par le label Tompkins Square, monument des dernières créations de la bande à Ryley, bien au-delà de la folk.

Ryley Walker // Primrose Green // Dead Ocean Records (Pias)
http://ryleywalker.com/

 

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