Alors qu’on n’en menait pas large chez Gonzaï un soir où les idées de sujets arrivaient au compte-goutte, Bob Le Flambeur plaisanta bien fort avec sa grande gueule qui nous sauve souvent des silences pesants : « sinon on a qu’à encore interviewer Burgalat ! Au moins c’est un mec qui a des trucs à dire ! » Gag. Rires. Vérification in real life.

Deux ans après ce quolibet qui marqua les mémoires, j’avais rencard avec le B.B. chéri de nos plus ou moins colonnes à l’occasion de la sortie voilà quelques mois de « Toutes Directions », son quatrième et meilleur album. « Toutes Directions » est un album formidable. Quant à Bertrand Burgalat, même si sa nouvelle armada de tubes (Bardot’s Dance, Double Peine, Sentinelle Mathématique…) est indécrottablement confinée à un succès d’estime, il est indiscutable que la presse aime son style. À son compte les louanges pleuvent, les interviews fleuves coulent et Monsieur B. reste intarissable. Cette interview généreusement rallongée de trente minutes a donc été construite pour ne parler que du disque, faute de temps de cerveau disponible face à un mec qui a toujours de quoi poursuivre la conversation.
Pas très loin de la place de Clichy, Paris, dans un bar où les ivrognes se lancent des « hey Laurent, t’as pas une histoire à raconter ?! », Bertrand Burgalat raconte quelques histoires.

En préparant cette rencontre, j’ai vu énormément d’interviews de vous. Pourquoi aimez-vous tant parler ? Vous avez déjà été boudé par la presse ?

C’est un privilège d’avoir la possibilité de s’exprimer. Les artistes qui se plaignent d’avoir trop d’interviews sont des enfants gâtés. Et non, je ne me sens pas du tout artiste maudit ou incompris. Je suis même plutôt sceptique sur cette espèce de « carapace autiste » qu’ont certains. Même Brian Wilson – dont je connais des proches, je ne dis pas que c’est Patrick Sébastien tous les jours mais il surjoue son personnage, comme si c’était une protection.

À propos de protection, il paraît que vous prenez les mauvaises critiques directement pour vous ?

J’y suis sensible, c’est vrai. D’autant que quand on vend peu de disques, on ne peut pas se réconforter en se disant que notre public nous aime. Dans la critique, je suis touché par la démarche. Il y a un journaliste dont je parle souvent, Bertrand Dicale (ancien du Figaro, spécialiste de Gainsbourg, pilier dans la création du magazine Serge) que j’aime lire alors que nos gouts sont très différents. Mais j’aime le lire parce qu’il écrit vraiment ce qu’il pense après écoute. Les argumentaires « trois bonnes raisons d’écouter… », ce ne sont pas des papiers intéressants, ce sont des papiers qui font bon genre.

Vous le présentez tout de suite quand vous allez faire les frais d’un journaliste qui vient « poser » avec du Burgalat ?

Non, enfin… En tout cas les surprises que j’ai eu en sortant mes disques, c’est que les plus proches étaient souvent les plus durs avec moi. VoxPop va fermer et je n’aurais jamais eu un papier dans leur magazine. Alors que c’étaient des amis.

Portant « Toutes Directions » a été apprécié unanimement, non ?

Les gens qui ont parlé de ce disque ont retenu des choses de cet album. Quand on sort un disque, même sans enjeux financiers colossaux, c’est extrêmement réconfortant de voir que d’autres personnes sont intéressées. Mais ce qui guette les artistes, ce n’est pas tant la mauvaise critique, c’est l’indifférence. Si je ressortais un disque dans six mois, quand bien même ça serait mon meilleur album, les rédactions ne pourraient pas en parler. Je suis obligé de ne rien sortir pendant quatre ans.

Justement, il y a deux ans, vous avez failli arrêter la musique. Et là vous revenez avec « Toutes Directions », mon album préféré de vous, qu’est-ce qui s’est passé ?

J’essaie d’interpréter le demi-échec, aussi appelé « succès confidentiel », en sortant des choses nouvelles. Je ne sors pas un disque pour les ventes, mais parce que je sens que j’ai avancé dans ma façon de travailler. Au moins je ne suis pas prisonnier d’une recette, j’ai juste « le souci » de garder de l’appétit.

« Je ne suis pas croyant, je suis pessimiste. »

À propos d’appétit, on dirait que c’est aussi votre disque le plus enthousiasmé ?

Il y a toujours un moment où on a peur de faire du surplace; et je suis très heureux de cet album parce que j’ai l’impression d’avancer. La plupart de mes disques ont été fait en prenant le temps ; pour mon premier album « The Sssound Of Music », j’avais sorti en 2000 des morceaux mixés en 1995 ! C’était très frustrant. Alors là je suis rentré au studio quand tout était prêt pour un enregistrement rapide. C’est la première fois que j’enregistrais hors de chez moi (c’est-à-dire hors de son appartement, nda) et que je confiais le mixage à quelqu’un. Stéphane Lumbroso a fait un beau travail de mixage, il a réussi à rendre le disque compact en gardant toute l’esthétique et les couleurs des compositions.

Il y a une question à laquelle vous répondez différemment à chaque fois : pourquoi l’album s’appelle-t-il « Toutes Directions » ?  

La réponse qui me vient aujourd’hui, c’est de se dire que tout est possible dans la vie. J’arrive à un âge où on peut se dire qu’on va vivre sans cesse les mêmes choses, et « Toutes Directions » c’est l’inverse, c’est une manière de conjurer le sort, de se dire que tout n’est pas figé.

C’est plus dur pour les auteurs de travailler avec vous ou pour vous de confier l’écriture d’un texte à quelqu’un d’autre ?

J’ai remarqué que je pouvais être emmerdant, parce qu’il y a un décalage entre mon idée de base et la manière dont je la traduis, en disant les choses comme elles me passent par la tête peut-être… Ça peut aussi se passer très bien, comme avec le texte de Marie Möör, Sous les colombes de granit. J’avais l’idée d’une vision triste et athée sur la mort et son texte va au-delà de ça.

Vous n’êtes absolument pas croyant ?

Non. J’aimerais bien, mais malheureusement je suis plutôt pessimiste.

« Ce qui fait le plus de mal à la culture française, c’est la culture française. »

La chanson Très Grand Tourisme fait la description d’une zone pavillonnaire de banlieue et vous avez vous-même déjà évoqué Ricardo Bofil (architecte « Bistrot Romain » des villes nouvelles, de Montpellier et de derrière la gare Montparnasse, nda) en interview ! Vous avez connu ce genre d’environnement de banlieue ?

Oui, c’est vrai qu’on imagine bien Bofil dans cette chanson ! Non moi j’ai vécu à Bobigny, c’est pas vraiment Bofil… Pour moi, c’était plutôt une version contemporaine du sketch de Fellini pour Les Histoires Extraordinaires d’après Edgar Poe. C’est tourné vers 1967 à Rome, on voit Terrence Stamp débarquer à Rome pour réaliser le premier western financé par le Vatican. C’était l’époque où Fellini prenait du LSD…

Pour continuer avec les « directions » et les lieux qu’on peut rapprocher de l’album : à quel endroit vous fait penser Survet’ vert et mauve ?

C’est marrant parce qu’on pourrait croire aujourd’hui que c’est une chanson pour se moquer des beaufs qui font du tuning alors que pas du tout. Laurent Chalumeau a écrit ce texte il y a très longtemps. En fait j’adorerais en faire un clip avec la fille de Dominique De Villepin et des gens des beaux quartiers, les bobofs qui se la jouaient zarma en Sergio Tachini il y a quelques années. Ça m’a toujours fait marrer les mecs du XVIème qui se donnent un genre en écoutant du mauvais rap.

Et à quel endroit vous fait penser Bar Hemingway ?

C’était le nom du bar de l’hôtel Ritz. Il y a 25 ans, j’étais chauffeur de limousine. La première fois que je suis rentré dans un palace, c’était au Ritz. À l’époque je roulais pour Henry Ford II, le petit fils d’Henry Ford. C’est un endroit très intimidant au début, et puis on finit par s’y habituer. À la fin je connaissais le coin comme ma poche.

Vous êtes bien placé pour connaître la (nouvelle) scène française, pourriez-vous défendre une sorte de « consommer français en musique » comme le ferait Montebourg en économie ?

Pas du tout. Non. C’est paradoxal, mais je pense que ce qui fait le plus de mal à la culture française, c’est la culture française. Même si le gouvernement veut toujours bien faire, l’industrie musicale est telle qu’elle dévoie toujours les bonnes intentions des gouvernements. Regarde : les mecs d’AS Dragon n’arrivent pas à avoir leurs heures pour être intermittents, les quotas de chansons françaises nous ont fait émerger des Zazie en tout genre… Le monde de la pop est mondialisé mais complètement différent selon les pays car c’est une industrie structurée sur plusieurs niveaux, sur le plan international, avec des stars internationales, et au niveau local, avec le Lenny Kravitz portugais, le Lenny Kravitz norvégien, etc.

Qu’est ce que vous aviez pas encore eu l’occasion de dire à propos de ce « Toutes Directions » ?

J’ai peur de radoter d’une interview à l’autre. Je ne sais pas ce que je pourrais rajouter, je suis bavard quand même…

Bertrand Burgalat // Toutes Directions // Tricatel
http://www.tricatel.com/

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