Débuté la semaine dernière avec un épisode où il était question de service public et de résistance dans un pays subventionné, le roman Burgalat continue cette semaine avec la deuxième et dernière partie d’un entretien accordé par le patron de Tricatel à la cantine de Radio France. Sans transition, voici une interview où l’on apprendra qu’un livre sur le diabète est en cours d’écriture, que Fauve aurait pu être signé chez Tricatel et que tous les musiciens de cirque sont des connards. Après 20 ans d’activisme, que retenir de l’aventure Tricatel ? « Si c'est un peu prétentieux, on a au moins la satisfaction de pouvoir écouter nos productions et de se dire que ça vieillit plutôt bien ». Ouf, la morale est sauve.

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G : Selon toi, quel est le meilleur album sorti sur Tricatel ?

BB : C’est pas facile de répondre. Pour certains disques, on a énormément ramé pour les sortir mais ils ont une bonne postérité. Je pense au Houellebecq qui n’est pas sorti dans l’indifférence générale mais qui avait été peu soutenu à l’époque. « Homme fatale » de Count Indigo était un disque vraiment novateur, et c’est pourtant celui sur lequel on a eu le moins de retours. On a eu quasiment aucun article sur cet album-là. Je n’en pouvais plus du R’n’B tel qu’il se faisait à l’époque, et je voulais en même temps qu’on fasse un album de soul futuriste, d’aujourd’hui, mais qui échappe aux clichés de cette musique, y compris à ses clichés sociologiques. Et ça a été un échec total. Un titre comme Trinity sortirait aujourd’hui, on se dirait pourtant que c’est vraiment pas mal. Je suis aussi fier de « Trigger »s d’April March. Depuis quelques années, on se sent moins à part. Dans les années 90, je me sentais vraiment en dehors de ce qui se faisait, mais dans les années 2000, j’ai eu la sensation que tout les gens qui jusque-là nous regardaient un peu d’un air méprisant étaient en train d’aller dans la même direction que nous. Tout d’un coup, je me suis senti rattrapé par le truc, mais je n’ai jamais eu aucune envie de changer d’univers pour me singulariser. Désormais, on a dépassé cette question, et la plupart des artistes sortis par Tricatel sont compris par le public et les médias. Chassol est compris, Jef Barbara l’est également par pas mal de gens. Et en même temps, je n’ai pas du tout l’impression qu’on se répète, ce qui est assez exaltant. Vers 2004, on avait sorti une compilation qui s’appelait L’Age d’or de Tricatel, mais en réalité l’âge d’or de Tricatel, c’est maintenant.

G : Tricatel est un label qui a une esthétique très forte : le logo, les numéros sur la tranche des disques, etc.. Quelles ont été tes inspirations quand tu l’as créé?

BB : Au début, je voulais monter le label avec Mike Alway de El records. Le truc de Mike, c’était  la continuité graphique. A tel point que chez El, les musiciens n’étaient pas crédités. J’ai fait des trucs pour lui et je n’ai jamais été sur une pochette. C’est frustrant, et en même temps il y a un certain mystère pas déplaisant. J’ai aussi connu ça avec Laibach, le truc où personne ne sait qui fait quoi. Moi je ne le fais pas sur Tricatel, parce que j’en ai un peu souffert à l’époque. Tu fais des disques et des disques, et les gens ont l’impression que tu ne branles rien de ton temps ou que tu es un mytho. Donc j’essaye vraiment d’être très précis sur les crédits pour les autres musiciens. Déjà que les gens ne gagnent pas très bien leur vie avec la musique, si en plus ils ne sont pas mentionnés… Pour en revenir à l’esthétique du label, je n’ai aucune notion de design. J’avais réfléchi à un truc en 3 volets : le titre en haut, le logo en bas, pareil derrière avec le tracklisting en haut, les mentions légales en bas et l’illustration au milieu. Après on a conservé ce truc là, ces proportions, mais on l’a assoupli et on a progressé graphiquement. Au début, je me battais souvent avec les graphistes avec lesquels on travaillait. C’était des gens très intéressants, mais qui amplifiaient les ambiguïtés du label dans notre rapport avec les références et le passé, au lieu de les déjouer. Je trouvais ça dommage. La pochette du disque d’Eggstone, par exemple, je la regrette. Je n’en voulais pas du tout. On avait une super belle photo, assez simple, et c’est celle là qu’on aurait dû conserver comme pochette. Même pour la pochette du disque de Valérie Lemercier (ndlr : 1ère référence sortie chez Tricatel), je voulais autre chose, une photo normale, avec Valérie dans un bus. Mais Vogue, qui avait pris le truc en licence, a décidé de faire une photo avec Jean-Baptiste Mondino, qui est un mec extra et super talentueux, mais le résultat rendait l’album plus passéiste qu’il n’était. Je suis revenu vers Vogue pour leur demander de faire des nouvelles photos, mais ce n’était pas possible pour des raisons financières. On s’est retrouvés avec une pochette qui nous a mis dans toutes les fausses pistes possibles.

« La première pochette que j’ai vraiment adoré, c’est celle de « Présence humaine » de Houellebecq ».

G : C’est pour ça que quand vous l’avez ressorti, vous l’avez assorti d’une nouvelle pochette?

BB : Oui. Avec toujours une photo de Mondino, issue de la même séance, mais avec une maquette plus sobre. En dehors de la pochette de « 36 erreurs » d’Etienne Charry, qui était très réussie,  la première pochette que j’ai vraiment adoré, et celle à partir de laquelle le label trouve une identité plus marquée, c’est celle de « Présence humaine » de Houellebecq. C’est paradoxal, car on s’est disputé à cause de cette pochette. Pour moi, c’est la première du label qui n’était pas une fausse piste.

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G : Avec « La nuit est là », tu sors un disque live. Pourquoi sortir un live en 2014? C’est un format qui semble un peu anachronique.

BB :  Je ne sais pas. J’en avais déjà sorti un, « Meets AS Dragon ». En fait, je me suis dit que c’était bien de fixer ces moments-là. On avait enregistré le concert du New Morning avec Aquaserge il y a 4 ans, et beaucoup plus récemment, le concert avec AS Dragon. Ce sont des témoignages, qui montrent une lecture assez différente des morceaux par rapport aux enregistrements initiaux. Sur « Meets AS Dragon », j’avais tout fait pour gommer l’aspect live, bizarrement. J’avais par exemple supprimé les applaudissements, et je voulais rendre l’album le plus clinique possible car je trouvais que la façon de jouer des Dragons se suffisait à elle-même. Pour « La nuit est là », je n’ai pas mixé le disque, c’est Frank Redlich qui a enregistré les concerts et les a mixés. Il a souhaité le garder très vivant, sans retouches, alors que j’avais par exemple eu tendance à enlever le maximum de réverbération sur « Meets AS Dragon ». J’étais content que la version des Cyclades avec Aquaserge, que je trouve incroyable, soit sur un disque, ou Sans Titre avec Yattanoel et Hervé Bouétard à l’orgue.

G : Ce qui peut sembler paradoxal, en tous cas sur la version vinyle que j’ai écouté, c’est de mettre deux concerts différents sur le même disque, et sans réelle continuité. Le dernier titre de la face A, c’est la fin d’un concert. C’est un peu déstabilisant pour l’auditeur, non?

BB : Je l’ai évidemment fait exprès. Les seuls critères sur le vinyle, c’était de mettre les morceaux les plus funky, en tous cas ceux qui bougeaient le plus. Je souhaitais également ne pas en mettre beaucoup, pour avoir le meilleur son, avec dans la pochette un lien pour le téléchargement MP3 HD des concerts dans leur continuité. Il y a 1h17 de musique, et même avec un double vinyle, on ne serait pas parvenu à tout caser avec un son de qualité. J’ai fait ce choix car un vinyle, après 17 ou 18 minutes par face, ça ne sonne pas terrible. Il nous aurait fallu un triple album. Indigeste, cher et un peu prétentieux. Donc on a mis sur le vinyle uniquement les titres les plus nerveux.

G : Tu sors donc des vinyles. Chez Tricatel, ça n’a pas toujours été le cas sur des références antérieures. Tu as un avis sur le fameux « retour du vinyle », dont les médias parlent régulièrement?

BB : Moi j’aime la musique. Je trouve l’objet très intéressant, car je ne suis pas du tout obsédé par la dématérialisation, mais après, ce qui est important, c’est que le plus de personnes possible puissent écouter la musique dans de bonnes conditions. Les bonnes conditions, c’est celles que eux préfèrent. Franchement, si tu écoutes ça sur vinyle, je trouve ça super, mais si c’est sur un autre format, c’est très bien aussi. Par contre, j’en avais ras le cul d’entendre des gens me demander « vous allez le sortir en vinyle cet album? » quand on ne sortait un disque qu’en format CD. Quand on le sortait plus tard, on en vendait 15 car les mêmes mecs oubliaient de l’acheter. Et si tu sors un disque uniquement en vinyle et pas en CD, c’est une démarche assez élitiste. Donc désormais on sort nos productions sous les deux formats en même temps, comme ça on est tranquille. Et même si on ne vend pas tout au moment où ça sort, on vend sur la longueur. Parfois, on a eu des disques qui ne sont pas sortis en vinyle, parce qu’à l’époque, on n’avait pas de distributeur et des problèmes de trésorerie. On avait déjà du mal à presser des disques en CD. Et puis à ce moment là, la vente par correspondance était moins bien foutue, et peu de magasins distribuaient le vinyle. Par contre, on a aussi sorti des EP uniquement en format vinyle et en numérique. Je pense au premier EP des Shades qui est un super disque. Et ça me frustre qu’il ne soit pas non plus en CD. On a eu plusieurs EP comme ça, les 2 EP des Shades, celui de La Classe, le Allegra, des très bons disques… Et j’aimerais bien un jour qu’on les regroupe dans une collection de EP parce que c’est un peu dommage.

« Je ne vais pas aux concerts, j’ai déjà du mal à aller aux miens ».

G : Tu es reconnu comme un grand mélomane. As-tu dans ton panthéon personnel des Live qui t’ont marqué?

BB : Ecoute, je ne m’en rends pas compte.

G : « Under a blood red sky » de U2, pour le côté rock héroïque?

BB : Il existe un live de Sardou avec une version démente des Villes de solitude.

G : J’aime beaucoup ce titre également. Il me semble que c’est une de tes marottes.

BB : C’est un titre que j’ai adoré. Sardou n’a jamais été une influence pour moi, mais j’ai toujours trouvé ce morceau fantastique. C’est assez génial quand la version live est mieux que la version studio, et sur un live à l’Olympia de Sardou, c’est le cas. Quand ça se passe, c’est magique. C’est un peu étonnant qu’il y ait si peu de live aujourd’hui. La technologie a évolué, et c’est quand même beaucoup plus facile de faire un enregistrement live aujourd’hui qu’il y a 25-30 ans. Je me souviens d’avoir enregistré un concert de Crime and the City Solution à Paris. Il fallait un camion mobile et des infrastructures de dingue. Maintenant, c’est beaucoup plus simple. Bien sûr, il ne faut pas que ce soit bavard et rempli de trucs inutiles, mais je pense que ça vaut le coup d’enregistrer un live de temps en temps. Pour « La nuit est là », no, on avait en tout une trentaine de morceaux. On a élagué pour finalement en arriver à 17, en supprimant des reprises et des choses pas forcément nécessaires.

G : Je t’invite chez moi, et tu t’aperçois que je n’ai que 3 disques : Fauve, « Random Access memories » de Daft Punk et le dernier album de Phoenix. Lequel souhaites-tu poser sur la platine?

BB : Je sais pas. Comment dire… Il n’y a rien dans ce que tu dis là qui m’agace. Actuellement, il y a beaucoup de gens qui s’extasient et d’autres qui se chauffent sur un truc, c’est un peu le cas de ces trois choix. Au début, il y a un pic, tout le monde est content d’en parler. Je pense à Fauve, là. Puis les gens voient que tout le monde en parle et ils commencent donc à débiner le truc… C’est marrant parce que Fauve, je crois que je les ai connus quand ils s’appelaient The Fleets. Ils étaient venus me voir mais il se trouve que c’était pas du tout mon truc…Je me souviens de trois mecs. Ils avaient fait la première partie des Shades à la Cigale ou au Cabaret Sauvage, et ils m’avaient dit après le concert « Tu entendras parler de nous ». Je les avais trouvés un peu présomptueux et malins, finalement ils étaient pas si présomptueux que ça. Après, je ne suis pas sur Facebook ou Tweeter. Et je ne lis pas des tonnes de choses sur la musique. Je lis Gonzaï, Brain, ce genre de sites, mais je ne suis pas complètement au courant des choses qui marchent et des groupes sur lesquels tout le monde se précipite dans le moment.

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G : Tu es un working boy. As tu encore le temps de découvrir des groupes, d’écouter de la musique pour ton plaisir?

BB : Truc n°1 pour ne pas me faire engloutir, je ne vais pas aux concerts. Je gagne pas mal de temps comme ça. J’ai déjà du mal à aller à mes propres concerts, alors… Si j’étais directeur artistique d’une maison de disques, la première chose que je ferais, ce serait de ne jamais aller aux concerts. J’écouterai les trucs à l’aveugle en me demandant si ça me plaît ou non. Je fais pareil à France Inter quand j’écoute des morceaux, je ne veux rien savoir sur les gens avant d’écouter. Je ne lis les biographies des artistes qu’après écoute. Après si tu dois signer un groupe, tu as évidemment besoin de te renseigner un peu plus. Est-ce un connard? Les types sont-ils bidon? etc…. Mais j’essaye toujours d’écouter des choses. Il y a des gens qui m’envoient de la musique pour le label. Si ça me plaît, ça m’emmerde, car je me demande immédiatement comment je vais faire pour le sortir. On a déjà tellement de mal à sortir nos disques. Sortir encore un autre truc, c’est savoir qu’on va ramer un peu plus.
Truc n°2 : la radio. France Inter a une playlist, et dans mon émission Face B, je suis obligé de passer trois morceaux de cette playlist. C’est une contrainte positive qui m’oblige à écouter des choses que je n’aurais probablement pas écoutées sinon. Il y a dedans des gens qui parfois ne m’évoquent rien de bon humainement parlant. Le chanteur Christophe, par exemple, je l’ai vu mal se comporter avec des paroliers. J’ai l’impression qu’il est dur avec les faibles et faible avec les puissants. Bref j’ai des a priori négatifs mais son titre avec Cascadeur, je le trouve nickel, vraiment superbe. Et chaque fois que je peux le passer dans l’émission, je le fais. Récemment, j’ai écouté Love Letters, le single de Metronomy que je trouve vraiment extra. C’est vraiment bien fait. Ca fait des années que je vois Pharrell Williams et ses montres en or, son vélo en or… Un abruti qui s’est fait récupérer par le monde du luxe, voilà ce que je me dis. Mais j’écoute son titre Happy, et je me dis, putain, c’est super. Avec Face B, je veux aussi en profiter pour mettre en avant des gens qui ne passent pas forcément à la radio, ou pas encore. A chaque fois que je peux passer Aquaserge, Cobra, La Féline ou encore Cheval Blanc, je le fais. J’essaye de le faire au maximum, car c’est aussi selon moi la vocation d’une radio.

G : Tu as cette image de grand manitou d’une certaine pop française. As tu déjà imaginé, à l’instar d’Olivier Libeaux qui reprend Queens of the Stone Age ou qui a cartonné avec Nouvelle Vague, monter un projet du type Bertrand Burgalat presents?

MI0001773930BB : Je sais pas… Déjà, on fait des reprises pour le Ben & Bertie Show. Dans la dernière émission, on avait repris The Model avec Kate Moran. Là on vient de faire Love to Love You Baby en arabe avec Yasmine Hamdan. Nouvelle vague, c’est un projet très bien pensé, mais moi, je n’ai pas l’infrastructure marketing pour. Faire des disques de reprises ça peut être marrant, mais… J’ai peut-être été échaudé, car il y a 22 ans, j’ai travaillé sur un disque de reprises de Polnareff pour Sony. Dans ce projet, je voulais justement prendre le contrepied en faisant reprendre Polnareff uniquement par des non-francophones. Il y avait les Résidents, Pulp, Saint Etienne, Ali Hassan Kuban ou encore les Nits. Le disque n’est jamais sorti tel quel parce que ça a chié ensuite entre Polnareff et Sony pour son disque à lui. Et Sony a eu peur que Polnareff les emmerde pour les adaptations. C’est vrai qu’il avait commencé avec sa manageuse qui était une dingue. Dans ce projet, il y avait une reprise en hébreu d’un morceau par Malka Spiegel, et Samy Birnbach (de Minimal Compact) et Colin Newman (de Wire). Et Polnareff et sa manageuse étaient allés faire traduire les paroles à l’ambassade d’Israël pour être sûrs qu’il n’y avait pas d’entourloupe dedans. A partir de là, on s’est dit que c’était mal barré et qu’on aurait beaucoup de mal à sortir ce truc. Dix ans plus tard, les gens du label XIII bis ont sorti la compilation mais ils ont complètement bousillé le truc en y intégrant des titres en français. Les adaptations avaient disparu. J’avais passé un an sur ce projet et j’ai été super frustré. Les reprises on avait beaucoup donné avec Laibach. J’ai aussi fait les arrangements sur les disques de Mick Harvey qui reprenait du Gainsbourg, et à chaque fois, aucun de ses ayant-droits ne nous a jamais dit merci. Pourtant, je pense que les disques de Mick ou les productions d’April March ont beaucoup contribué à faire (re)découvrir Gainsbourg aux anglo-saxons, bien avant que Beck ne s’en empare.

G : Tu me parles de ton travail d’arrangeur. A part des grands noms comme Jean-Claude Vannier, y-a-t-il des gens dont tu admires le travail? J’ai récemment rencontré Jacqueline Taieb, et elle me parlait notamment de Jean Bouchéty qu’on connaît peu.

BB : C’est marrant, parce que Bouchéty, je l’ai rencontré justement quand je montais ce projet Polnareff. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais dit à Nick Cave qu’on pourrait reprendre Goodbye Marilou avec des musiciens de cirque, peut être à cause des Ailes du Désir, tout ça…Je lui avais vendu le truc comme ça et ça lui plaisait mais après je savais pas comment j’allais m’y prendre. Du coup j’étais allé demander conseil à Pierre Etaix. Il m’avait dit : « Ne prenez pas des musiciens de cirque, ce sont des connards qui vont vous faire chier. Mais moi, j’ai travaillé une fois avec un très bon arrangeur qui s’appelle Jean Bouchéty« . Je suis donc allé le voir à Neuilly et je lui présente le projet en lui disant que voilà, je veux faire un disque de reprises de Polnareff par des non francophones. Mec adorable. On discute, puis je rentre chez moi, et je me dis que ce nom, Bouchéty, quand même, ça me dit quelque chose…Je cherche dans tous mes disques, car il m’avait dit qu’il avait par exemple travaillé avec Michel Fugain. Les disques de Fugain période Big Bazar sont très bien arrangés. Et en regardant mes disques de Polnareff, je me rends compte que 80% de ses trucs sublimes, c’est Bouchéty. Quand je l’ai revu, je lui ai dit « Vous avez dû bien rigoler quand je vous parlais du projet Polnareff« . Et là, il m’explique pourquoi il avait arrêté de travailler avec Polnareff. Je me suis un peu battu à l’époque pour réévaluer le travail de David Whitaker, Arthur Greenslade, Jean-Claude Vannier, Alain Goraguer ou Jean-Pierre Sabar, tous ces gens qui ont bossé avec Gainsbourg. Mais il y en a encore pas mal d’autres en France qui sont très peu appréhendés. Bouchety est mort. Un mec dont on parle jamais, c’est Yvan Julien, qui avait fait du Nougaro et beaucoup de shows télé à l’époque. Il a aussi une griffe à lui. Son truc, c’est de donner avec 3 cuivres l’impression d’en avoir 20. Je crois qu’il vit aujourd’hui vers Nice. Il y a plein d’arrangeurs méconnus. Par exemple, quand j’entends le Christophe avec Cascadeur, c’est vraiment bien mais je ne sais pas qui a fait ça. Je ne sais pas qui a produit, ni qui a arrangé, et j’aimerais bien le savoir.

« Quand je vois dans un journal « 3 bonnes raisons d’aimer ce disque », j’ai envie de coller des claques au mec. »

G : Actuellement, tu enregistres Le Ben & Bertie show avec le cinéaste Benoît Forgeard, une émission qui passe sur Paris Première. Tu ajoute la casquette d’acteur à ton éventail. Tu envisages une carrière au cinéma, comme Katerine ou Benjamin Biolay?

BB : Non, non, pas du tout. Là, c’est très marrant à faire, mais le cahier des charges, c’est qu’il faut que j’aie l’air le plus ridicule possible. C’est très important, et c’est ce que j’ai dit à Benoît. L’effet comique vient à la fois de son écriture magistrale conjuguée à mon jeu lamentable. Je ne pense pas du tout à une carrière là-dedans. J’aime la musique, et j’aime faire des choses. Quand on me propose quelque chose, j’ai souvent tendance à dire oui, mais je trouve que ce serait complètement irrespectueux de dire que voilà, maintenant, je suis acteur. Pour ce qui est du Ben & Bertie show, je suis sidéré par le talent de Benoît, son inventivité, son écriture et par sa capacité technique après le tournage à rendre fluide des choses très complexes. C’est un peu pareil avec les romans ou avec les chansons. Certains font des trucs avec trois accords et tu te dis que c’est simple à faire. Et quand tu t’y colles, c’est autre chose… Je suis super admiratif de son travail. Mais je ne me vois pas du tout acteur. Pour Le Ben & Bertie show, on a une liberté totale, principalement parce que la chaîne nous file très peu d’argent pour faire ce programme.

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G : Tu parlais à l’instant de roman. Nick Cave en a écrit, Daniel Darc a toujours dit qu’il voulait en écrire un. Peut-on imaginer un jour un roman signé Burgalat?

Non. J’admire des romanciers comme Jonathan Coe, et c’est tellement virtuose sur la forme et sur le fond qu’à aucun moment, je ne me dis que je pourrais en faire autant. Pour les films, c’est pareil. Quand je vois un film de Valéria Bruni-Tedeschi, ou plutôt sa bande-annonce, je me dis que moi aussi, je pourrais être cinéaste. Par contre, quand je vois Benoît Forgeard réaliser, je sens bien que je n’en suis pas capable. C’est tellement fort. Mais bon, tout le monde peut écrire un mauvais roman, ou faire un film merdique avec un bon chef opérateur. Donc un roman, non… En revanche, je vais écrire un livre sur le diabète. Je viens de signer avec un éditeur. Ca fait vingt ans que j’ai envie d’écrire là-dessus et que je me dis que quelqu’un va le faire, parce qu’il y a beaucoup d’approximations, et des choses importantes à dire sur cette maladie qui est très mal traitée. Et donc je veux écrire un livre là-dessus. Je m’en voudrais de ne pas le faire, et ça aussi, ça va me prendre du temps. Actuellement, j’ai plein de trucs super excitants à faire, même s’ils ne me rapportent que peu ou pas d’argent, et il faut que je fasse des choix car je ne peux pas me démultiplier. C’est difficile, car tout tombe au même moment.

G : Il y a quelques années, j’avais découvert grâce à une de tes interviews un très beau disque, le « Soul visa » de Shawn Lee. Te voilà prescripteur, alors aurais-tu un conseil à  donner? 

BB : le Shawn Lee est un très beau disque, en effet, avec des magnifiques descentes de cordes. Le morceau qui pour moi submerge tout actuellement, c’est Tout arrive d’Aquaserge. Je suis heureux qu’ils aient réussi à condenser sur un morceau toute leur richesse harmonique, tout leur côté savant mais en le mettant au service de la musique. Ce morceau est magnifique. Il y a tellement de systématismes dans pas mal de productions actuelles que ça fait vraiment du bien. J’écoute beaucoup de nouveautés pour France Inter et c’est souvent sans surprise sur le plan harmonique. Alors, quand tu rencontres un truc très fin, ça fait plaisir. Harmoniquement, et même si ça n’a rien a voir, ça se situe entre Olivier Messiaen et Henry Cow. Si on veut gagner la guerre harmonique, c’est important que tout ne soit pas fait avec les mêmes accords. Il faut lutter pour que Tout arrive passe partout. Parce que c’est quand même affreux l’oreille… On s’est habitué au rétrécissement, au fait que ce soit tout le temps les mêmes suites d’accords. On a mal utilisé le mot punk pour des titres écrits à la va-vite mais qu’on a passé deux mois à enregistrer. C’est bien quand le songwriting est soigné. Le Pharrell et l’Aquaserge se complètent. Des très bons titres d’aujourd’hui, qui ne sont pas des resucées. La musique, si c’est ça, ça me va.

G : Malgré ton emploi du temps chargé, parviens-tu encore à écouter de la musique avec naïveté ou découpes-tu mentalement chaque séquence d’un morceau?

BB : Oui, car j’ai une réaction assez instinctive et immédiate. Je sais de suite si ça me plaît ou non. Le plus difficile quand on écoute de la musique, c’est de rester neutre. Parfois, on écoute des choses et on a envie de les aimer. Et d’autres qu’on a envie de ne pas aimer. Il faut essayer de se détacher de ce truc là, et le mieux pour ça, c’est d’essayer le plus possible d’écouter les titres à l’aveugle, sans savoir. Quand je vois dans un journal « 3 bonnes raisons d’aimer ce disque », j’ai envie de coller des claques au mec. Ca veut dire quoi, les bonnes raisons? Qu’il y a machin qui a joué dedans? Ca part d’une bonne intention, mais il ne faut surtout pas appréhender la musique de cette manière, car là, on essaye de te convertir à une musique avec de mauvais arguments. Les bons arguments, c’est de dire « Voilà, cette musique m’a touché et je vais essayer de vous expliquer pourquoi ». Avec tout ce que cela peut avoir d’arbitraire et de subjectif, bien évidemment. L’oreille est fragile, et il ne va pas être commode de revenir dans l’écriture vers des choses plus subtiles. Même le public dit « connaisseur » se fait parfois fourguer des groupes qui sont de la pure esbroufe. Parfois, il y a aussi des trucs très bien écrits qui vont vers le grand public, et quand ça arrive, c’est un grand plaisir.

Burgalat // La nuit est là // Tricatel
http://www.tricatel.com/

3 commentaires

  1. Mr Burgalat est toujours intéressant à écouter…
    Me souvient d’une compil de Tricatel qui a beaucoup servie pendant de nombreuses fêtes Genre Dauerfish ou Corduroy …
    Donc pour tout ça je vous dit merci Mr Burgalat mais juste une chose….
    pitié NE CHANTEZ PAS!!!

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