Un rockeur qui rappe, il y a 20 ans c’était comme voir un clebs en chaleur monter sur un chat. C’était drôle mais ça ne se faisait pas. On choisissait son camp et basta. Aujourd’hui ton iPod mélange les genres et les décennies comme une soirée chez Dodo la saumure. Or c’est bien connu, les mélanges ça fait gerber. Le changement ? Il a juste 20 ans. En 1994, trois rappeurs blancs clouaient tous les punks à leur skate(bored) en jouant mieux qu’eux sur "III Communication". Listen all, y’all, it’s a sabotage !

C’était l’été. Un printemps aurait donné de la consistance à cette anecdote, l’idée d’un commencement, d’une renaissance, je ne sais quoi. Mais non, c’était l’été. Le soleil recuisait les pierres du Var où je passais des vacances dans la maison de mon oncle avec mon jeune cousin et ses copains collégiens.

91dj2MkyWKL._SL1300_Moi ? Je suis un ado tout ce qu’il y a de plus cliché, blue jeans et t-shirt noir de groupes de heavy metal. Ha oui, carrément. Dans mon walkman tournent les spirales crantées de Iron Maiden, Manowar et les Guns’n’Roses et si je sais déjà qu’il ne faut pas en parler à moins de vouloir passer pour un zozo, je ne peux pas m’empêcher d’être très fier de ces références contre-(sous ?)culturelles exécrées du grand public. Je me sens hors normes, entouré d’un imaginaire violent repoussant les masses qui ne m’ont de toute façon jamais voulu grand bien. Cette musique et son imagerie guerrière, méd-fan, ou horrifique rejoint ma passion pour le jeu de rôle de l’époque et traduit – quoique moins bien que Kurt Cobain – ma détestation de ce monde que j’appréhende si mal. Ha je vous avais prévenu, un pur cliché de l’adolescence… L’année ? Je ne saurais dire avec certitude mais c’était les années 90. Plus probablement 1995 que 1994 car j’ai souvenir d’une pochette de « Paris sous les bombes » sur le lit d’un des collégiens. Tout rebelle maudit écorché et rageur, je passais l’été à courir sous les figuiers trop mûrs aux heures caniculaires, à lire Moorcock, Tolkien, ou Frank Herbert, et autant que possible à harceler les fonds marins de la grande bleue. Tuba serré en bouche et masque vissé au visage, je rasais tout autant les fonds sablonneux que ceux de la culture, de l’avis de ma famille. Le soir, des barbecues soufflaient des odeurs de poissons grillés jusqu’au plafond de la voûte étoilée pour nous rappeler que nous avions la chance d’être né du bon côté de la classification socio-professionnelle. Va être rebelle avec ça ! De toute façon ça n’allait plus durer longtemps désormais.

(B-Boys come and rock the) Sure shot !

La gifle est tombée à l’heure de la sieste. Tous les mômes dans une même carrée jouant aux cartes au lieu de pioncer ; plus sûrement un huit américain qu’un tarot. Un CD tourne dans le baladeur au volume baissé pour ne pas alerter tonton qui s’était endormi le nez dans un « S.A.S. » en maraude à Marrakech ou sur la piste de Carlos. Click. Fin du CD, Police ou Eurythmics se tait. On ramasse les cartes, vérifie que derrière les rideaux jaune moutarde le soleil est encore haut à nous attendre dehors et on refait une donne tandis qu’un collégien change de disque. C’était le plus jeune ; j’étais leur aîné à tous, j’aurais dû être révéré pour ma connaissance et craint pour mon look (effectivement craignos) et pourtant il m’a giflé. D’autant plus fort que c’était avec une flûte traversière. Slap ! J’avais encore une carte en main, le bras stupidement tendu, mais la tête tournée vers le baladeur. Figé. C’est quoi ce foutoir ? Ça part avec un bruit de clébard geignant, comme encaissant un kick dans le cul, puis cette flûte part comme une alarme de bagnole. Un scratch ripe. Le sample de batterie compact fout son bordel et les b-boys lancent leurs « y’ all », « rock the mic » et tout le charabia pô-pô-pô-pô ! Putain : du rap. L’ennemi. Ca saccade, ça joue les super-huit et tire jusqu’à la dernière seconde de salive de chaque homeboy. C’est plus une flûte c’est une sarbacane !

Fuck. Je hais à la seconde même où j’entends démarrer ce Sure Shot. Je le hais parce que j’en suis tombé amoureux. La pochette déjà. On jurerait un Belushi démoniaque venu tenter une vilaine farce au MacDo du coin. La typo des Beastie Boys née des doigts bénis des dieux tiki de Jim Evans. Mes yeux courent sur le disque, mon cœur se paye un haut-le-cœur à chaque syncope, un vertige à chaque nouveau sample… Et ça gueule partout que c’est à moi de jouer alors que je ne sais même plus que j’ai des cartes en mains.

Je pioche, et pose une merde au hasard. Mettons les choses au clair, ce n’est pas la première fois que j’entends du rap les cocos. Je me souviens des apparitions miraculeuses et saugrenues de Sidney à la téloche, et j’ai écouté un certain nombre de fois les premiers LP de MC Solaar et Benny B. Ha tu peux rire lecteur, mais je ne vois vraiment pas comment Run-DMC aurait fait sa route jusqu’à moi et encore moins N.W.A. ! Papa veille… D’ailleurs de quoi vous me parlez, yo all ? De rap ! Alors que ça y est la track 2 vient de partir avec une guitare/ponceuse folle, ce que je ne sais pas encore être un hardcore pur-sucre mais qui m’électrise déjà les veines. 50 minutes plus tard, il y a eu du funk à papa, du psyché à la Clinton, des machins tropicaux et même des moines tibétains qui chantent. Impossible aussi de faire l’impasse sur le tube parfait, Sabotage, sa basse en fuzz qui claque dans le rouge, et devrait inspirer à tout batteur une réflexion sur son rôle au sein d’un groupe. Incontournable également le clip de Spike Jonze, ses moustaches, ses moumoutes, ses cadrages de low-rider…

Et jamais, pas une fois, cette attitude idiote de poseur, voulant sauver la téci des griffes d’on ne sait quoi, ni montrer que dans son futal extra-large il y a des balls extra-big. Moi je dis Cacadetaureau ! En tous cas, ça n’a plus rien à voir avec ce que je crois connaître du rap. Ces mecs là ne peuvent PAS porter de bonnet de ski ou une casquette à l’envers. Impossible. Bordel, ils reprennent Black Sabbath et jouent sur des amplis racheté à Pink Floyd ! Même si les lyrics m’échappent à 90 %, je capte la fracassante promesse « Hurricane will cross-fade on your ass and bust your ear drums ! ». Garanti sur facture.

« He’s Got The Savior Faire / Because He’s Debonair »
(B-Boys Makin’ With The Freak Freak)

Halte aux miracles en 8 000 signes : cette anecdote n’a pas changé mon alimentation musicale. Je n’ai pas renié pour autant le metal – je me suis même enfoncé dans le grunge et le noise dans les années qui suivirent – ni écouté plus de rap. Exception faite des Rage Against The Machine mais c’était plus pour la grattoire à Ron Asheton que la chèvre de Monsieur Zapata. Mais chaque fois que j’ai été confronté à ce genre c’est cette anecdote qui m’est revenu en tête. Les cartes, la canicule, la flûte. Bam ! C’est le point de rupture. La preuve sortie de terre qu’il y a plus que ce que l’on voit, que la limite des genres n’existe pas tant.

Beastie-Boys-007

Impossible d’expliquer pourquoi ce disque me marque mieux que les autres. Les instruments ? Clair, ils savent jouer, mais des mecs sortis du conservatoire vous feraient aimer le rap vous ? Nan, ça ne tient pas. Souvenez vous du ridicule du clip de Useless de Depeche Mode, ce couillon sortant une basse de sa bagnole… Le côté rock alors ? Pfff, comme je l’ai déjà dit, j’ai écouté Cypress Hill pendant les trois ans que j’ai partagés avec mon ex et leur période « à guitare » est la plus mauvaise. La culture black music ? Pas encore, c’est venu plus tard, quand le docu Godfathers and Sons m’a fait comprendre que le hip hop et le blues se font la bise chaque Noël. Et tiens je vais vous dire, j’adorais Assassin à l’époque et franchement il m’a fallu creuser longtemps pour y déceler le moindre sillon de funk là-dedans. A la rigueur cette volonté de tordre cette culture pour la pousser ailleurs. Comme ils disent dans Get it together : « Well, I freak a funky beat like the shit was in a blender ».

Je n’ai pas d’explication, je crois. C’est juste l’un de ces disques qui vous plie la tête en quatre et font une boule de vos convictions pour tenter un panier à 3 points. Ou bien il faudra se résoudre à accepter que ce disque est parfait. Là où les RATM tentent avec plus ou moins de succès de réconcilier deux publics qui se regardaient en biais depuis l’union salace Run DMC / Aerosmith, les B-Boys ont prouvé qu’ils savaient faire autant Led Zep que Ice Cube. Voire mater plus loin. Le rock fusion allait crever de sa vilaine maladie. Même Mike Patton jettera le micro de Faith No More. Les gratteux qui pensaient avoir payé assez cher pour incarner à jamais la rébellion se foutaient le gros doigt dans l’œil. Le rap, avec son approche plus studio que compos, ouvrait le champ à plus d’expérimentations que n’importe quel clavier de prog-rock. Rien que le trip-hop à venir allait changer la vie de folkeux comme Eels comme de popeux Radiohead. Et humblement, ma gueule. Dire que pendant ce temps là, on se bouffait les Fugees, Alanis Moissette et Seal… Il allait falloir du temps. Mais quand même : Ill Communication mon cul ! Message très très bien reçu.

4 commentaires

  1. marrant ça : ce disque m’a fait un peu près la même chose mais à l’envers : fan de rap, j’ai commencé à aimer la musique à gratte qui couine grace à ce disque !
    A une époque ou lorsqu’on écoutait un style, on s’y cramponnait, j’ai découvert qu’il n’y avait pas d’ennemis en musique.

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