Les histoires d’A (et aussi de B, et même de C, vous allez voir) se finissent mal. A pour L’Association, maison d’édition créée par Jean-Christophe Menu, Mattt Konture, Stanislas, David B., Killoffer, Lewis Trondheim et Mokeït au début des années 90, digne représentation de la bande dessinée dite alternative. Sauf que (il y a toujours un « sauf que » dans les histoires d’amour qui finissent mal) depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et la grande majorité de ses pères fondateurs est allée se faire la paire ailleurs. Jean-Christophe Menu reste seul capitaine à bord, mais pour combien de temps encore ? B pour BD, puisqu’il est principalement question dans cet article de ce 9ème art s’il en est. Et C pour Copi, parce que le dramaturge argentin s’est aussi essayé à buller en dessinant des bulles. D pour démarrage.

L’étendard « Passion’s not dead » était en berne en ce vendredi 14 janvier 2011. La veille, j’avais assisté à L’Encyclopédie des guerres de Jean-Yves Jouannais. Faisant fi de sa fièvre, JYJ l’avait au contraire dispensée façon puzzle aux 160 malades volontaires. La lettre E faite, from A to B and back again on repartait, et tout le monde en redemandait. (Minute pub) Pas besoin de Pass : si vous avez du temps, et que votre boulot alimentaire vous permet de rejoindre Châtelet pour 19h, vous pouvez assister à des rencontres-conférences gratuites qui valent leur pesant de pistaches. Comme celle-ci.

Mais pas celle-là : vendredi soir, je suis rentré dans la grande salle. J’ai tout de suite reconnu l’homme sur l’estrade, c’était pas bon signe. J’ai demandé confirmation à mon voisin de strapontin : c’était bien l’historien spécialiste de la symbolique des couleurs, Michel Pastoureau. Je sortis en hâte, avant qu’il ne flashe sur mon nouveau pull acheté aux premiers jours des soldes, pull d’un bleu pétrole qui lui aurait aussitôt inspiré un livre (la chanson étant déjà prise).

Direction la petite salle. Je retrouve un ami d’un ami, fana de BD. Mon ami n’est pas arrivé, mais il va arriver avec un ami à lui. OK, l’ami. L’auditorium est trois fois moins rempli qu’hier à la même heure. La fille qui tient la compta me sourit jusqu’aux oreilles quand je lui dis que deux de mes amis vont pas tarder. Si la BD est un art sans mémoire, est-elle aussi un art sans auditoire ? En même temps, moins de people, ça fait underground. On a l’impression d’écrire l’Histoire, enfin, de la dessiner. Ce que fait Jean-Christophe Menu. Encre de Chine et taches de vin, l’homme a les joues passées au tanin. Dernier parallèle avant le début des débats dans les salles mitoyennes du niveau -1 du Centre Pompidou : Pastoureau a-t-il écrit sur la couleur rouge ?

Le concept est simple, et pas chiant du tout si les choses se déroulent comme elles sont écrites sur le papier, que je vous détaille par le menu : l’auteur, Jean-Christophe Menu, nous fait partager les disques qu’il écoute quand il est en train de gribouiller. Ça crayonne, ça chante, ça boit : beau programme en perspective.

Mais le destin guette. Et le destin s’acharne, parfois. Jean-Christophe Menu passe à la bière. S’en décapsule une, deux… On s’attend à ce que l’animateur (Benoît Mouchart aka le Directeur Artistique du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, siouplé) joue de cette situation, qui est vraiment loin d’être critique car deux bières n’ont jamais tué personne (même si l’audience soupçonne déjà que les bulles vont, ce soir, se remplir plus vite dans son verre que sur ses planches). Or, au bout d’une heure, force est de constater que le navire prend l’eau. Loin de s’affoler, Mouchart se fait Pivot, et Menu Buko. On ne souffle ni le chaud ni le froid, on n’essaie même pas d’allumer le réchaud. Le cadavre de L’Asso se mangera donc froid.

Je répète : j’étais venu curieux. J’y connais rien question cases, on me parle de Tardi et je dis « oui mardi, je peux ». Si, au cours de la caf’conf’, j’arrive un moment à sortir la tête hors de l’eau, c’est pour apercevoir Jean-Christophe Menu borborygmer Lounge Act de Nirvana… « Le mec qui a édité les premiers Max Andersson », me glisse là-dessus mon voisin, auquel je rends un « tout de même » qui j’espère masque mon inculture… Oui, ça passe, puisqu’il ajoute : « c’est triste, pas vrai ? ». Je dodeline. Je crois aussi apercevoir deux hommes bedonnants et mal rasés recueillir religieusement avec une pipette les postillons du Maître… Vision apocalyptique à mettre sur le compte de mon demi-sommeil ?

Je crois maintenant pouvoir dire que non, je n’ai pas halluciné. La preuve : les loups débarquent. Les fétichistes du numéro épuisé vont, ce soir, s’en donner à cœur joie. Au premier rang, une série de mains se lèvent, l’autre main occupée dans le caleçon. Et vas-y les questions de vieux garçons vivant chez maman : allez-vous rééditer les premières planches de X, blablablabla ?.. En temps normal, ce genre de questions ne m’aurait pas dérangé. Mais là, on n’est pas là pour ça, et c’est la goutte d’eau qui fait que moi aussi, sous influence menuesque, je vais sous peu passer au vin. Que dit Confucius dans ces cas-là ? Confucius dit : « si t’as encore assez de jus, va dans la salle d’à côté écouter Pastoureau« . Mais Confucius, je suis lessivé, moi, là. Bon, bah alors Roman, dépêche-toi de rentrer, y’a du monde à la maison.

Crimée, 22h. Au milieu d’amis, un Byrrh à la main, je m’interroge : que fait Jean-Christophe Menu à cette même heure ? Je ne pense pas qu’il soit en état de dessiner, en tout cas, s’il est resté régulier dans son exercice (réussi, celui-là) de lever du coude. Cette conférence à la BPI n’était pourtant pas loin de l’annulation de dernière minute, dixit Benoît Mouchart. Elle eut bien lieu, ce papier l’atteste et en rajoute une couche. Vous allez me dire : mais pourquoi tu signes et persistes, Roman ? D’une, pour étrenner mon premier article sur Gonzaï. De deux, pour pousser ma gueulante contre la tiédeur ambiante de ce genre d’animations soi-disant « culturelles », où tout est tapis rouge, chausse-pied, vaseline : si Monsieur Mouchard est fatigué ce soir, pourquoi ne va-t-il pas donc retrouver bobonne et goûter la toute dernière tisane qu’elle a leur achetée, avec un bon René Château Vidéo ça fait une soirée pas chère et avec son quota de tendresse, non ? Rrrrh… Mais pourquoi es-tu aussi méchant, Roman ? Parce que c’était pas la première fois qu’on assistait à une opération de torpillage au sein du Temple de la heu Culture et heum de la Communication (opérateur, please ?) : lors d’une précédente rencontre des revues parlées de la BPI, José Muñoz (dessinateur de la série Alack Sinner) avait répondu par une pirouette en croquant un beau petit perroquet, illustrant le fait que dans ce genre de débats, on pose et repose toujours les mêmes questions inintéressantes.

Vendredi soir, un homme, un seu,l voulut changer le cours des choses, mais on y était déjà trop jusqu’au cou pour pouvoir remonter à la surface proprement : Benoît Jacques. L’auteur belge présent parmi nous (on était peu mais faut croire qu’il y avait du beau monde) jeta une bouée de dernier secours, et ne récolta qu’une grimace de premier recours. J’étais venu pour appr…, attends, j’étais venu pour quoi, déjà ? Si, j’ai appris une chose en deux heures de temps : que Copi a fait de la BD. Je la ressortirai en société, celle-là, elle claque bien.

A mon deuxième verre de Byrrh, un ami parmi mes amis vient me voir et m’apprend que L’Association a récemment annoncé un plan de licenciements. Ce que je ne savais pas. Coup dur après le départ au milieu des années 2000 de tous les surdoués qui la composaient, ajoute-t-il. Ah, je comprends mieux… Oui, mais moi, j’étais venu pour, enfin, bon…

A mon troisième verre de Byrrh, comme Menu trois heures avant, un ami d’un ami que je ne connaissais pas mais qui connaissait un de mes amis m’a demandé s’il pouvait mettre un disque. Why not, man ? Et alors ont résonné dans la pièce, et sont entrées en résonance, les paroles de You were the last high des Dandy Warhols : I am alone/But adored by 100,000 more/Than I said when you were the last/And I have known love, like a whore/From at least 10,000 more/Then I swore when you were the last high. Je venais de revenir à la raison. A la fin de la chanson, je suis allé droit voir mon inconnu : « Eh, au fait, tu serais pas du genre à savoir que Copi a fait de la BD, toi ?« 

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