BBmix : ces initiales évoquant un hommage au rétro-futurisme autant qu’un melting-pot des courants musicaux passés sur le grill ne vous disent peut-être rien, mais elles font résonner en nous la possibilité d’une ville, Boulogne, et de ses usines endormies, ses sièges sociaux d’entreprises high-tech, ses nouveaux quartiers standardisés, son mal-être de banlieue, sa bonhomie profonde aux charmes culturels discrètement distingués, ainsi que cette touche de zen des jardins Albert Khan. En bref, le festival boulonnais, qui fête cette année sa huitième édition, esquisse un portrait imaginaire urbain qui n’a de monotone que son côté hautain.

Chaque année, le festival BBmix redonne ses lettres de noblesse à l’underground musical dans le cadre guindé du carré Hautefeuille, ce haut lieu culturel plutôt dédié aux théâtres et aux danses qu’aux frasques de freaks aiguisant leurs guitares, armés de cette même patience qu’il faut avoir en réserve pour voir le public se lever et rendre hommage à leurs élans lyriques, leurs escalades psyché.
Mais enfin, il en a fallu du temps pour voir un public enfin déchaîné bouger son booty boot sur un Ty Segall d’enfer, multivitaminé, prêt à porter la Terre sur ses épaules d’orfèvres du rock voilé et vif, tel un marin incapable de contourner le reef, fracasser sa carlingue sur les rives du samedi.

Avant cela, le vendredi nous avait réservé une belle audace sudiste dans un enchevêtrement classique et flamenco : Gaspard Claus et son père, Pedro Soler sans voix, guitare en bandoulière, histoires de femmes maudites, gitanes sacrées uniquement saisissables par l’intensité des nuances et des harmonies produites par les cordistes père et fils. Gaspard Claus est un simple génie qui traverse la salle dans son immensité par des mouvements splendides d’âmes et d’archers. Le passage de témoin en famille assuré, la petite comédie de Spain ne produit pas son effet. Un simple groupe d’ombres travaillant à la mort de chaque temps par des mines décomposées, une froideur inversement proportionnelle aux multiples couleurs que font résonner leur nom.  Ce groupe est un simple nom, une posture, ou mon inculture restera gravée dans le marbre face aux passionnés qui ont fait le choix de rester dans la salle. Chaque chanson du groupe faussement culte achève toute raison d’espérer. Mieux, ou simplement quelque chose. « Le claviériste ressemble à Laurent Romejko qui aurait pas fait mai 68. » Et ce n’est pas le petit hommage lo-fi jazz à Moondog par Stefan Lakatos et Dominique Ponty qui me feront changer d’avis sur le caractère policé de cette soirée pas klaxonnée, heureusement taquinée en son milieu par une flamme brute.

Avant Ty Segall, il n’y avait rien. Après Ty Segall, tout disparaîtra. Le duo de The Rebel n’a pu légitimer son nom qu’à travers son habit de lumière au treillis volte-face et les Chain and the Gang se contenteront de parader dans une blues-pop feutrée d’une attitude vintage à faire passer Nick Waterhouse et les Black Keys dernière fournée pour de véritables punks. Rien de bien excitant, mais suffisant pour chauffer un public désireux de troquer la fourmi des p’tits soirs contre le Segall des vraies nuits. Rien à redire sur la prestation du Kid de Frisco, il a foutu le feu à Boulogne, a transformé la salle en véritable champ de bataille avec ses envolées mélodiques et son sens du trash imparable. Un garage ambulant qui transforme une R5 en carrosse d’un soir au pays de Renault, c’est hors-compétition. Fin de soirée arrosant un public allumé.

Dimanche, après le passage d’Irmin Schmidt des mythiques Can donnant le top d’une soirée carbonisée au krautrock, les Lumerians prennent place sur la scène devant une foule impatiente de découvrir en live la déflagration sonique de « Transmission for Telos Vol IV ». Les Californiens font décoller la salle vers l’immensité des cieux obscurs pour mieux faire s’écraser le public dans un tourbillon psyché dark, entêtant, sordide mais si beau. Une révolution Schumpetérienne, Einstein en plus. Comme si la destruction et la création se fondaient dans un même processus long de bassification de l’espace. Comprenne qui pourra, mais la basse est si énorme qu’elle en ferait presque oublier la claque que nous administre ensuite Beak>. Le trio krautrock de Geoff Barrow sonne comme une bande de mômes voulant jouer du Radiohead down-tempo avec trois bouts de bois, un clavier Bontempi cassé, des cordes et des bouts d’os trouvés dans une veille caisse à jouets. Une perfusion au BPM qui donne corps à la thanatophilie musicale la plus extrême sur fond d’humour anglais et de basse catatonique, je prends. Et le public se fend. D’un rire nerveux qui rétablit le rythme cardiaque. Rideau, l’anesthésie s’achève, le corps peut retrouver l’esprit tout éprouvé. BBmix, un coup de (Julie) Tippex[1] et ça répare. Merci à eux.

http://bbmix.org/


[1] Julie Tippex est le tourneur co-organisateur du festival.

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