Un bon album n'a jamais fait une bonne interview. Et ce n'est pas ma rencontre avec Baxter Dury pour son « Prince of Tears » qui me fera dire le contraire. Tentative d'explication.

Pour que l’entretien soit bon, voire correct, les deux interlocuteurs doivent être au niveau. Et ce soir, j’ai fait du sale. Peut-être parce que j’ai toujours énormément apprécié la musique de Dury tout en pensant que ce qu’il avait à dire était déjà raconté dans ses albums.

Je le retrouve entre chien et loup, à la terrasse du bar « Le Napoléon », en plein 10ème arrondissement de Paris, pour éclaircir ce qui ne doit donc pas l’être. Tout de blanc vêtu, dégustant un Pouilly fumé pendant que j’avale un Brouilly, il répond poliment à mes questions convenues. Il sort d’une journée de répétition et d’une session photo pour nos collègues mais néanmoins ennemis de Magic. De mon côté, je suis cuit. Nous sommes là sans y être. Moins présents en tout cas que tous ces gens qui passent, que ce camion poubelle qui stationne soudainement devant nous ou que ce sans-abri lunaire qui mendie de quoi manger ce soir.

baxter

Heureusement, l’essentiel n’est pas cet interview. L’essentiel, c’est évidemment c’est ce très bon « Prince of Tears » qui sortira fin octobre. Un album labellisé « Baxter ». Soit un objet sans grandes surprises qui s’inscrit pourtant dans la très belle lignée de ses quatre disques précédents. Rassurant comme peut l’être un doudou légèrement abîmé, confortable comme une doublure de doudoune élimée, un album de Dury s’écoute surtout comme on boit un verre de très bon pinard. Avec considération, respect, et plaisir. Mais aussi frustration car on en voudrait encore plus. Vraiment plus. A l’école des critiques, un album de Dury se verrait probablement affublé de la mention « Peut mieux faire ». Car oui, ce qui est gêne chez l’ami Baxter, c’est qu’on sent qu’il a en lui plus que ce qu’il ne donne. A l’image de cet interview de 14 minutes et 26 secondes qu’on partage quand même avec vous.

Salut Baxter. En quoi ce cinquième LP est-il différent des quatre précédents ?

Baxter Dury : Les temps changent. Les problèmes aussi. Rien n’est vraiment différent, même si les règles que je me fixe intérieurement ont peut-être évoluées. Je reste la même personne. Je suis très satisfait de cet album. Et fier d’avoir produit exactement ce que j’avais en tête quand j’ai commencé à l’écrire. C’était pas forcément évident, j’ai parfois eu l’impression d’escalader une montagne pleine de barbelés. 

Un nouvel album, c’est presque une obligation contractuelle avec un label, non ?

On a toujours envie de sortir un nouveau disque. Mais il faut qu’un label t’en donne la possibilité. Sans ça, tu ne peux rien faire. Il y a évidemment une petite part de business dans un monde qui ne devrait que parler création.

A tes débuts, tu as joué avec Geoff Barrow (Beak, Portishead) et Richard Hawley. Cela avait-t-il développé ton goût pour la musique mélancolique ?

Non, pas du tout. Ils ne sont responsables de rien. Je suis responsable de mes propres choix. De mes problèmes. Ca fait partie de notre matrice interne. On est responsable de ce qu’on produit. Tu peux te sentir proche de certains artistes parce que tu partages une sensibilité commune mais au final, c’est toi le décideur.

La première phrase de ce nouvel LP sonne comme de l’ironie pure. « I don’t think that you know how successful I am ». Tu ne parles quand même pas de toi, si ?

Ce n’est pas ironique du tout. C’est juste une information dans une chanson. Dans ce morceau, Miami, j’utilise un personnage pour délivrer un discours très libre. Ca ne veut pas dire que je crois ce que dit le personnage, et encore moins que je suis lui. « Miami » est un monde que j’invente, un personnage qui a perdu ses illusions. J’adore chanter ce morceau, mais je ne crois pas forcément ce qui est chanté.

« Si je pensais aux hits, j’aurais certainement arrêté de faire de la musique depuis longtemps. »

La question du succès est tout de même intéressante te concernant. Penses-tu un jour décrocher ce qu’on appelait autrefois un hit ?

Si je pensais aux hits, j’aurais certainement arrêté de faire de la musique depuis longtemps. En tout cas cette sorte de musique. Je n’ai aucune envie de me lancer dans de la voyance ou d’essayer de prédire un futur forcément abstrait. Inutile que je pense au succès.

Tu jettes parfois un œil sur les charts anglo-saxons, par curiosité ?

Aujourd’hui, il y a tellement de styles de musiques et de charts différents que potentiellement, tout le monde peut à un moment se retrouver dans un classement sans même comprendre comment c’est arrivé. Si on parle des charts généralistes, je ne m’y retrouve pas. Il y a quelques bons trucs mais le niveau général est quand même terriblement bas.

Et la pop music dans tout ça ?

Je me demande parfois si ça ne deviendra pas une musique de salon. Aujourd’hui, on vit dans le fake. Le paraître est presque devenu plus important que la musique. Je dis presque parce que je pense que la musique restera forcément la chose principale, au final. C’est difficile pour moi de parler de tout ça, car ma musique ne correspond pas forcément à l’époque actuelle. Je serais d’ailleurs incapable de te dire s’il y a beaucoup de pop dans les meilleures ventes, et qui elles sont s’il y en a. Je trace ma propre route.

 « D’une certaine manière, le monde de la musique est devenu plus socialiste. »

Il y a souvent du storytelling dans tes morceaux. Que penses-tu du fait qu’il faille aussi en faire pour vendre correctement de la musique aujourd’hui ?

Aujourd’hui, tu dois construire toi-même ton bateau avant de naviguer, fabriquer ta propre voiture si tu veux espérer gagner la course. Tu ne peux plus te contenter de monter dans du préfabriqué. Tout est à construire. Sinon ça ne peut pas marcher. D’une certaine manière, le monde de la musique est devenu plus socialiste. Mais pour moi, rien n’a vraiment changé. J’ai toujours fonctionné ainsi.

Pourtant les choses ont changé. La culture du clash sur les réseaux sociaux pour faire parler de sa musique a par exemple pris pas mal d’importance. Je sais que tu ne pratiques pas ça, mais as-tu un avis là-dessus ?

Je crois que c’est très anglo-saxon. Très anglais, même. On a une énergie incontrôlée qui déborde parfois un peu. Si on parle des frères Gallagher, par exemple, c’est très intéressant. A un moment donné de leur histoire, ils apparaissaient presque comme des mauvais garçons. Des mecs durs. Pendant longtemps, j’avais presque l’impression que Liam était une merde. Et en fait, il est très britannique. Je trouve que la manière dont il s’exprime, la façon dont il gère son truc alors qu’il vient des classes très populaires, c’est la classe. Imagine ce gars très jeune qui aurait pu exploser avec tout le succès qu’il a connu, tout cet argent qui a coulé à flots. Ce mec mérite le respect. Je ne suis pas forcément un grand fan de sa musique, mais ce mec mérite le respect.

Après 15 ans de carrière, qu’est ce qui te fait encore rêver dans cette industrie ?

Franchement, je ne sais pas. Je me contente de faire mes morceaux. Ce qui est gratifiant, c’est de faire de la musique, de travailler avec quelques personnes sur un album, d’exprimer tes sentiments, tes pensées. Exprimer ce que tu es, c’est pas donné à tout le monde. Il n’y a pas grand-chose de plus spécial dans le monde. Donc ça reste très, très excitant. Ce qui me plaît aussi, c’est que tu dois toujours te remettre en question, ne pas rester sur tes acquis. La musique qui me plaît le plus est presque toujours faites par des gamins de 20 ans. Sans le savoir, ils me mettent un coup de pied au derrière et c’est très bien. J’aime les morceaux assez simples, je ne suis pas du tout un dingue du rock alambiqué, tortueux. Ce qui m’excite, c’est l’abandon dans la musique. Et cet abandon, tu l’offres plus facilement à 20 ans qu’à 40. Les mecs qui jouent avec moi sur scène sont assez jeunes, ils me font souvent découvrir de nouveaux groupes. 

Qu’est ce qui est le plus dur à accepter dans l’industrie musicale ?

Le trafic routier (NDLR : réponse inspiré par le camion-poubelle qui vient à l’instant de se poser devant nous). Ce qui peut être aussi difficile, c’est qu’on te demande de produire des albums, de créer. Particulièrement quand tu commences à travailler chez des gros labels. Et c’est là que ça devient un peu précaire, car j’ai du mal à garantir que je vais parvenir à réaliser ce que je décris à une maison de disques. Le plus dur à accepter, c’est que tes réalisations soient éloignées de tes souhaits de départ. Il faut parfois être courageux dans ce milieu et aussi savoir courber l’échine. Car c’est un milieu gangréné par un paquet d’enfoirés. 

Comment décrirais-tu ton parcours depuis 15 ans en trois mots ? Sex, drugs et pop ?

Non. Certainement pas. Je dirais plutôt fromage, cinémas et magasins pour chiens. Voilà comment je décrirai ces 15 années.

Au fait, qui est ce prince des larmes auquel fait allusion le titre de ton album ?

C’est un peu moi. Et toi. Je ne suis pas Mickaël Jackson qui avait fini par se surnommer le roi de la pop, je ne m’autoproclame pas prince des larmes. On n’est pas aux élections présidentielles et je n’assène pas cela dans un discours. Le procédé est un peu différent. Le prince des larmes, c’est aussi un des personnages que j’incarne sur l’album. Nous sommes tous un peu ce genre de princes, non ? Le monde est une mosaïque qui …(NDLR : l’interview s’achève dans une bouchée de popcorn).

Baxter Dury // Prince of Tears // PIAS (sortie le 27 octobre)
https://www.facebook.com/baxter.dury/
 

7 commentaires

  1. Sympa cet article cher collègue « ami’ du coup. Honnête et drôle, et puis je suis aussi partisan de la nonchalante chialade à la Baxter..

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages