Il est des groupes qui ne naissent pas tous les quatre matins et dont on a envie de parler, parce que nager dans le sens du courant n’est que la promesse de s’échouer sur les rives de l’éphémère. Loin du bord du canal Saint-Martin.

Vous allez me taxer de parisianisme, mais si Arun Tazieff n’était pas né ici — dans l’antre de l’underground de la capitale, mêlant rock garage, psyché, progressif, noise et autres déboires krautrock de notoriété avérée — il serait encore probablement sur le banc de touche des groupes en devenir, en perpétuelle répétition dans l’attente d’une date pour s’exprimer. C’est le lot quotidien de nombre de groupes de rock prog de l’Hexagone condamnés à fantasmer sans cesse la possibilité d’un concert bien carré au chaud dans une SMAC, à défaut d’un passage annuel au Triton — avec tout le respect que l’on peut avoir pour cette salle lorsqu’on aime la musique qui sort des sentiers battus. Sauf que les quatre types du combo aux conations éruptives ont plus d’un tour dans leur sac à vinyles, et réussissent la parfaite synthèse de Tame Impala, King Crimson et Soft Machine : modernité des synthés, déstructurations rythmiques et tradition des arpèges ou autres breaks qui font la marque de fabrique de ces groupes reptiliens qui ont construit l’autre histoire du rock ; avec en trame de fond l’aventure cosmique, et non des synchros pour des marques de bagnoles. Un magma d’idées en fusion qui ne sont pas sans rappeler le groupe du même nom, qui reste une influence majeure pour bon nombre de groupes de cette veine.

De là, Those visions have no end, premier titre de l’album « At Such a Speed », prend tout son sens et permettra certainement à Arun Tazieff d’entamer une belle progression auprès d’un large public aussi friand de rock progressif que de pop psyché. Stone Lover convoque avec moult facéties mélodiques un Wyatt sur la voie du déclin pour l’emballer de toute la candeur des références plus modernes du psyché prog comme Tame Impala ou Wooden Shjips. Les nuances sont bien maîtrisées et le minimalisme soigné, dans un esprit stoner. Newspapers démarre comme du MGMT nouvelle version avec ses claviers nerveux vibrant dans les aigües pour dérouler avec prudence une pelote de variations fuzzy construites autour d’un thème mélodique tout droit sorti d’une chanson des Beatles ou peut-être du Floyd. Enfin bref, un truc très 60’s anglais. Her Eyes, dernier titre de l’album, va plus loin dans l’audace expérimentale à l’instar du groupe Aquaserge, avec qui le combo a déjà joué et qui les a épaulé pour l’enregistrement dans leur studio (La Mami à Toulouse). Le titre rappelle une longue fugue électro-spatiale ancrée dans l’héritage crimsonien, avec une progression saccadée de riffs distendus à souhait débouchant sur un final mêlant synthés lancinants et chœurs. Du beau travail, en résumé.

Le groupe a déjà donné plusieurs concerts en Europe et montré toute l’étendue de son répertoire, plus large que ces quatre chansons néanmoins représentatives de la variété de leur répertoire. On peut dire qu’ils excellent dans l’art de maîtriser et reproduire avec fidélité des morceaux plutôt longs et compliqués à jouer en live ; en gros, les gars envoient du lourd techniquement en plus de synthétiser des influences de grande qualité. Les « compétences » déployées sont clairement à la hauteur de l’audace et de l’ambition affirmée de ces Français, cousins éloignés des Wall of Death. En attendant qu’un groupe de premier plan ne les embauche sur une tournée européenne, prions pour que ce volcan reste en effusion.

Arun Tazieff // « At Such a Speed » // Autoproduit
Release party au Bus Palladium le 12 octobre

Those Visions Have No End by Arun Tazieff

1 commentaire

  1. Ça me fait penser que, depuis mes 14 ans, je rêve de sortir un EP intitulé « Tazieff & Tazieff » en hommage au « Around & Around » des Stones… Comme il est assez probable que cet EP ne paraisse jamais (du moins pas sous ce titre), je veux bien laisser l’idée aux Arun Tazieff.

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